2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 27

justice de femme 27



Il parut... Si charmant toujours avec sa haute taille robuste et fine,
et sa belle tête mâle où s'accentuaient la douceur des yeux, la fierté
de la bouche. Tout de suite, Simone eut un grand coup au cœur, suivi
d'un attendrissement, d'une crise de molle tendresse où se dissolvait
sa volonté. Puis une tristesse immense lui vint de penser qu'elle
l'avait perdu. Et la terreur de l'avoir aimé plus qu'elle n'avait cru,
de l'aimer peut-être encore, la bouleversait de remords, d'angoisse et
de regret.
 
L'attitude de M. d'Espayrac la rassurait d'ailleurs, tout en la
touchant profondément. Il avait dans la voix, dans les gestes, dans le
regard, quelque chose de gravement ému témoignant qu'il se rappelait
toujours, et, en même temps, la plus grande simplicité, un naturel
qui devait mettre Simone à l'aise, et une docilité de physionomie qui
disait à la jeune femme: «Votre volonté sera la mienne; je suis prêt à
vous suivre sur le terrain où il vous plaira de me conduire.»
 
Il fallait toute la liberté de cœur et d'esprit d'un homme que la
passion ne subjuguait pasne subjuguerait sans doute jamaispour garder
une si juste mesure d'élégance, de respect et d'amoureuse mélancolie.
La faible Simone était loin d'une pareille maîtrise de soi, et plus
loin encore de pressentir ce qui se passait dans cet être placé si
près d'elle que le velours de sa robe frôlait le drap de l'habit, et
pourtant situé à de telles distances morales que l'illusion de l'amour
même n'avait pu les rapprocher. «Il m'aime encore,» pensait-elle.
«Gisèle est bien jolie, mais elle n'a pas de cœur. Elle n'a pas su le
rendre heureux.» Car elle se figurait Jean dévoré du même besoin de
tendresse qu'elle-même, ne se doutant pas que cette sentimentalité
follement sensible et exclusive confinait à une maladie des nerfs et de
l'imagination dont cette vigoureuse nature masculine ne serait jamais
atteinte.
 
A un moment, elle eut pourtant l'intuition de cet équilibre entre la
tête, le cœur et les sens, qui mettait Jean si bien à l'abri de ses
propres tourments, à elle. Le jeune homme se mit à rire presque haut,
d'une drôlerie de Paulette; et Simone reconnut le beau rire clair, le
rire perlé comme celui d'une femme, dont Mervil avait noté la mélodie
pour en faire un _leit-motiv_ de gaieté dans une de ses pièces.
Comme il sonnait joyeusement, ce rire, en fanfare de jeunesse et
d'insouciance! Elle en eut le cœur tout serré.
 
Ainsi, au début de cette soirée, Simone connut de nouveau les amertumes
et les tentations dont elle s'était crue délivrée à jamais. Peut-être
même n'avait-elle point encore soutenu de lutte si âpre; peut-être
ne fut-elle jamais si près d'une irrémédiable défaite. Ce qui la
préserva, ce ne fut pas la présence de sa fille: car Paulette, accoudée
au bord de la loge, et tout hypnotisée par la musique et les bravos,
n'était pas un témoin gênant pour les deux êtres qui, derrière elle,
s'immobilisaient maintenant en un trouble silence. Et, non plus, ce ne
fut pas une persistance de discrétion et de respect dans les façons
de Jean: car le jeune homme, repris par le charme de cette blonde, si
fine en sa robe de velours noir, et peut-être lui-même perversement
surexcité par la présence, là-haut, de son autre maîtressedont il
devinait la place, dès le premier entr'acte, à la direction des
lorgnettes,eut, peu à peu, pour Simone, de ces regards et de ces
effleurements muets qui brisent la volonté d'une femme. Non: ce qui
sauva Simone, ce fut le génie de Roger, ce fut la puissance de sa
musique et l'orgueil de son succès. La personnalité de son mari, en
remplissant une salle entière, la domina elle-même, la disputa aux
tentations de sensualité, de jalousie et de mensonge, la raidit en
une indomptable fierté... Toutefois, au moment précis où, parmi les
applaudissements des spectateurs, elle sentit son âme se réfugier vers
le glorieux artiste, Simone comprit en un éclair, avec une secousse de
tristesse, qu'elle ne pouvait plus revenir à lui de tout son être, et
que nul devoir, nul affectueux élan, nulle admiration ne rallume cette
misérable étincelle d'amourfeu follet d'erreur et de hasard, éternel
égarement, éternel enchantement du cœur.
 
Dès la fin du second acte, le triomphe de Mervil paraissait assuré.
L'enthousiasme du public fit relever le rideau trois fois pour acclamer
les interprètes, et surtout les deux rivales, Vénus et Psyché, la
déesse et la mortelle, l'une si emportée de passion, l'autre si
touchante d'innocence, et toutes deux, dans leur incarnation de
théâtre, douées, par bonheur, d'autant de talent que de beauté. Comme
les fauteuils d'orchestre se vidaient, et qu'un remous d'habits noirs
se pressait tout contre la loge de Simone, elle put entendre des
exclamations admiratives, et même cette phrase prononcée très haut par
un influent critique:
 
Cristi! mais c'est de la grande musique!... Une œuvre de maître! Qui
est-ce qui se doutait, excepté moi, que ce gaillard-là avait ça dans le
ventre?
 
C'est vrai, murmura d'Espayrac à Simone. Les autres voulaient toujours
l'enfermer dans l'opérette. Eh bien, chère madame, j'espère que nous
sommes contente?
 
Mais, à ce moment, la baignoire s'emplit de toute la lumière du
corridor. Mervil faisait ouvrir la porte.
 
Hein? Qu'est-ce que vous pensez? On dirait que ça marche.
 
Si ça marche! s'écria Jean. Les critiques prononcent le mot de
«grande musique». Désormais il te faudra de la «grande poésie», et ce
rimailleur de d'Espayrac ne sera plus ton homme.
 
C'est stupide ce que tu dis là, mon vieux.
 
Dame! tu as Molière... Mais qui est-ce qui t'a réduit la pièce à un
scénario? Car tu n'as pas tout pris. Et c'est très habilement fait.
 
C'est moi-même.
 
Bah?...
 
Oh! ce n'était pas difficile. Tout le travail consistait en coupures.
 
Ferme donc la porte, dit Simone à Roger. Voilà des journalistes. Nous
allons être envahis.
 
C'est que les Chambertier vont venir.
 
Tiens! s'écria Jean. J'allais vous proposer de monter les voir dans
leur loge.
 
Oh! ce soir, nous ne voulons pas nous montrer.
 
A ce moment, Paulette cria très haut, d'un ton si drôle que plusieurs
messieurs, debout à l'orchestre, se retournèrent en riant:
 
Alors, papa, ça n'est pas un four?
 
Chut! dit Mervil, veux-tu te taire? Non... Mais tu auras du champagne
tout de même.
 
Bon, fit d'Espayrac, moi qui oubliais des bonbons pour Paulette! Je
vais aller lui chercher des fruits glacés.
 
Il prit son pardessus et sortit.
 
Cependant Gisèle arrivait, au bras de son mari, produisant, dans les
couloirs, un mouvement de foule, qui se refermait derrière sa longue
traîne. Sa robe se décolletait à peine, comme il seyait à son buste
mince et long, d'une souplesse de couleuvre; mais ses bras, nus jusqu'à
l'épaule, surprenaient par leur dessin ferme et pur, et l'on devinait
la solide finesse des hanches, sous la ceinture placée très bas,une
ceinture d'or, d'émail et de pierreries, à la façon barbare qu'elle
aimait. A côté de cette reine de légendes antiques, Chambertier étalait
le ventre satisfait, l'habit noir et le gilet à cœur d'un bourgeois du
dix-neuvième siècle.
 
A-t-il assez la tête d'un Georges Dandin? dit à un ami un jeune homme
qui venait de lui serrer la main.
 
Ne t'y fie pas, répliqua l'autre. Ces gros bonshommes pacifiques
restent longtemps sans rien voir, puis, un beau jour, ils ouvrent les
yeux, et tuent l'amant à coups de revolver dans la ruelle de leur femme.
 
Maintenant, au fond de l'étroite baignoire, Gisèle embrassait Simone,
et, pour mieux féliciter Mervil, elle voulut l'embrasser aussi.
Chambertier, renonçant à introduire son gros corps, allongeait
seulement d'énergiques poignées de main. Et, tout autour, dans le
couloir, des gens s'entassaient, les yeux vers cette loge sombre, avec
une effronterie de curiosité tranquille, les uns pour apercevoir «la
belle Mme Chambertier», les autres parce qu'ils avaient entendu dire
que l'auteur se trouvait là. D'Espayrac, qui revenait avec les fruits
glacés, ne put se frayer un passage.
 
Toutefois la sonnerie électrique dispersa le groupe. L'orchestre
se remplit avec un bourdonnement. Des violons, qu'on accordait,
grincèrent. Les Chambertier remontèrent dans leur loge. Et Mervil,
cette fois, resta dans la baignoire, avec sa femme et son ami.
 
Jean et Simone éprouvèrent un désappointement de sa présence, un
regret de la tentatrice solitude. Cependant ils n'avaient rien à se
dire. Pour des raisons diverses, l'un et l'autre avaient résolu de
ne pas renouer, de ne pas faire surgir sous la précision des mots ce
passé qui veillait, silencieusement et passionnément, dans le secret
de leurs deux cœurs. Et toutefois, même pour ne pas se parler de ce
qui les occupait tant, leur tête-à-tête, en l'obscurité de cette loge,
avec cette foule vibrante alentour, avec ces souffles d'harmonie et de
volupté venus de la scène et qui les enveloppaient ensemble, avait un
charme presque pénible mais d'une intensité singulière. Dans un pareil
affinement de sensation, les plus imperceptibles réflexes nerveux
les ébranlaient comme des chocs, et, tout à l'heure, la main de Jean
s'étant posée sur la sienne, Simone avait défailli, s'était crue près
de s'évanouir.
 
Le seul aspect du visage de Mervil, tendu vers la scène, un peu
pâle, avec la fulgurance de ses grands yeux de braise, suffisait à
dissiper ce galvanisme amoureux. Dès lors, Simone et Jean purent
se parler d'une façon naturelle; et ils sentirent, aux premiers
mots d'indifférence, comme un abîme qui s'élargissait entre eux. La
vie parisienne les reprit, la vie masquée, où tant d'élégance et de
politesse couvre les visages, que les cœurs faibles et impersonnels
en arrivent à ne plus reconnaître leur propre identité. L'artificiel
se substitue si bien à la nature, que celle-ci cesse de s'apercevoir
elle-même, et, dans un miroir, ne se reconnaîtrait plus. Simone
et Jean, avec leur habitude parfaite du monde, furent si bien,
extérieurement, l'un pour l'autre, même en tête-à-tête, ce qu'ils
voulaient être intérieurement, que, plus tard, il leur arriva de s'y
tromper. Mais, pour inconscient qu'il fût, le lien ne devait pas se
briser de sitôt entre ces deux êtres dont le préjugé, l'orgueil ou la
raison avait dénoué les bras sans que leur désir fût assouvi.
 
Cependant, sur le dossier du fauteuil où s'appuyait sa femme, Roger,
d'un doigt fébrile, suivait la mesure que battait le chef d'orchestre.
Ce troisième acte de sa _Douleur d'Éros_ déroulait des beautés
musicales de premier ordre, que le public écoutait dans une extase
muette, sans un mouvement, sans un bravo, presque sans un souffle.
La claque ayant voulu souligner la phrase de puissante harmonie par
laquelle l'orchestre appuie le serment de l'Amour jurant de se faire
connaître à Psyché, des «chuts» furieux éclatèrent.
 
Comment?... murmura Simone, qui se sentit pâlir. Ah bien, s'ils
n'applaudissent pas ça!...
 
Son mari, haletant, la fit taire. Mais d'Espayrac dit vivement à voix
basse:
 
Craignez rien... Ils sont empoignés, voilà tout.
 
Et, en effet, lorsque, après les nouvelles instances de Psyché, le
ténor qui jouait Éros reprit d'une voix saisissante de tristesse:
 
«_Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître..._»

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