2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 28

justice de femme 28



un tel frémissement parcourut la salle, que, cette fois, l'émotion,
l'admiration, durent se manifester. Des mains battirent, des
voix hautes prononcèrent: «Ah! bravo!... bravo!...» Le chanteur
s'interrompit. Alors le tonnerre des applaudissements roula longuement,
puis s'éteignit, puis reprit avec tant de force, que Simone, secouée de
larmes heureuses, se retourna, et, dans l'ombre, saisit à deux bras le
cou de son mari, et lui baisa le front follement.
 
Cependant le chanteur, impassible, attendait pour continuer. D'un
battement de paupières, il fit signe au chef d'orchestre. Et l'on
aurait cru que de plusieurs minutes il ne pourrait se faire entendre,
car le public, une fois soulevé, ne se calmait plus. On remuait encore,
on échangeait des remarques, et les impressions longtemps contenues
s'échappaient en exclamations bruyantes. Mais le ténor ouvrit la
bouche; ce fut comme un enchantement. Le silence d'extase aussitôt se
rétablit. Et la douleur divine d'Éros s'exhala vers Psyché, dans un
récitatif d'une simplicité très noble, malgré son infinie tristesse:
 
«_Je l'ai juré, je n'en suis plus le maître;
Mais vous ne savez pas ce que vous demandez.
Laissez-moi mon secret. Si je me fais connaître,
Je vous perds, et vous me perdez!_»
 
La pièce, d'ailleurs, s'achevait dans le sentiment d'éternelle
mélancolie qui donne un sens philosophique si profond à cette fable
antique. Mervil n'avait pas adopté le dénouement de Molière, qui
désarme la colère de Vénus, fait intervenir Jupiter, et rend à Psyché
son amant, en l'élevant elle-même au rang des divinités. Son œuvre
finissait lorsque Psyché, ayant satisfait sa curiosité fatale, voit
disparaître pour toujours celui qu'elle aime, tandis qu'autour d'elle
s'évanouissent les merveilles des jardins célestes, et qu'elle demeure
seule au milieu d'un désert plein de ronces, de cendres et de pierres.
 
Voyez-vous, madame, dit d'Espayrac à Simone lorsque la toile tomba,
c'est une dissertation morale qu'il a mise là en musique, votre
grand homme de mari. Cela veut dire qu'il ne faut jamais regarder de
trop près son bonheur. Sans cela on le perd. Il ne faut pas trop en
analyser l'essence, mais le prendre comme il vient. Autrement, voilà ce
qu'il en reste: des mauvaises herbes, de la poussière et des rochers.
 
Mme Mervil comprit fort bien ce qu'il voulait dire. Cette voix qui,
sous le ton voulu de la plaisanterie, sonnait un peu âpre, lui fit
passer dans le cœur le frisson glacé d'un regret. Mais elle se raidit,
se tourna vers la scène, et la joie de ce qui suivit noya, emporta son
chagrin.
 
On avait rappelé les acteurs; on les avait même rappelés plusieurs
fois. Maintenant le rideau semblait retombé pour de bon. Mais le
public restait encore, demandait le nom de l'auteur. Et enfin le
régisseur parut, qui le dit, ce nom. Alors ce fut pour Mervil, et tout
autant pour Simone, et même un peu pour la petite Paulette, la minute
d'ivresse où les oreilles, la chair et l'âme boivent la clameur du
succès. Tous les trois enlacés écoutaient au fond de la petite loge
sombre. Et c'était un bonheur inouï, comme la vie n'en réserve qu'à de
bien rares élus, cette exaltation de la personnalité, ce retentissement
de son être dans des centaines d'autres êtres, cette prise de
possession des cœurs par l'étreinte de sa pensée, de son œuvre, de son
laborieux rêve d'artiste, tout cela traduit par un bruit de foule, par
des battements de mains, par des bravos envolés, par tout un grisant et
délicieux tapage.
 
Eh bien, mon vieux, dit Jean avec de sincères larmes de joie sous
les paupières, tous mes compliments, tu sais! Il n'est pas volé, ce
succès-là.
 
Les deux hommes se serrèrent la main. Et alors Simone, d'un geste fier
et brusque, tendit la sienne à M. d'Espayrac. Elle la lui avait déjà
donnée, au commencement de la soirée, lorsqu'ils s'étaient revus,
mais d'un mouvement obligatoire et banal, dépourvu de signification.
Maintenant il comprit que cette poignée de main voulait dire quelque
chose, et il ne sut pas au juste quoi. Mais il y sentit une allégresse
honnête, comme une force retrouvée, comme une alliance de loyauté
pour anéantir jusqu'au souvenir honteux de la trahison devant ce
noble artiste, et comme une réconciliation d'amitié par-dessus le
gouffre trouble de l'amour. C'était un inconscient appel à ce qu'il
avait de meilleur en lui. Il en fut surpris et remué, sans bien se
rendre compte. Et, tout en serrant la petite main de Simone, une chose
profonde et obscure qu'il tenait de sa race, une délicatesse d'honneur,
une crânerie de droiture, une chaleur de générosité, s'éveilla sous sa
légèreté, sous sa sensualité, sous son cynisme de Parisien.
 
«Drôle de petite femme,» se disait-il dans son cab, tandis qu'il
retournait rue de la Faisanderie, au trot allongé de son grand
stepper irlandais. «Drôle de petite femme... Moi qui croyais que je
la reprendrais quand je voudrais, pour avoir le plaisir de la lâcher
ensuite à mon tour. Eh bien, non... D'abord elle vaut mieux que ça.
C'est étonnant, mais je crois, parole d'honneur, qu'elle vaut mieux que
ça... Elle est bien la seule, par exemple, de qui j'en dirais autant...»
 
Ce fut à peu près l'unique réflexion que le beau Jean d'Espayrac
formula nettement dans son cab. Mais, arrivé rue de la Faisanderie,
dans son petit hôtel gothique, il envoya coucher son valet de chambre,
qui dormait debout, et resta longtemps vêtu de son habit de soirée, à
rêver au coin de son feu. Même il alluma une cigarette, et, plus tard,
lorsqu'il la jeta dans les cendres, on l'eût entendu qui murmurait:
 
Ah! petite Simone... petite Simone... C'est dommage! Car je vous
aurais vraiment aimée.
 
 
 
 
XV
 
 
Des mois s'écoulèrent,mois heureux pour Simone, mois remplis
d'une douceur profonde, telle que jamais elle n'en avait connu.
Certes, les premiers temps de son mariage n'évoquaient en elle que
des souvenirs de félicité. Mais alors, n'ayant pas souffert, ne
connaissant pas les pièges abominables où nous prend et nous meurtrit
la vie, elle avait au cœur une espérance illimitée qui dépassait et
diminuait les réalités les meilleures. Maintenant, au contraire,
le sentiment de son imprudence et de sa faute, la conscience d'un
amoindrissement d'elle-même et celle des risques courus, puis, parfois,
les tressaillements encore douloureux de ses récentes blessures,
accroissaient infiniment le prix de ses joies.
 
D'ailleurs l'attrait de l'avenir, dont s'était aveuglée sa jeunesse,
perdait pour elle de cette intensité qui rend trop longs les meilleurs
et les plus rapides de nos jours. Simone avait trente ans. Elle
atteignait cette période de la vie où la femme commence à mieux
savourer les heures, et où déjà l'inquiétude la prend à les sentir
couler si vite. Elle ne voulait plus se laisser souffrir d'aucune
chimère. Elle s'installait à présent dans son bonheur avec une
tranquillité résolue. Et ce bonheur était tel qu'il pouvait défier même
les pièges de sa fine imagination.
 
La célébrité, la fortune, prêtaient au petit hôtel de la rue Ampère
un peu du prestige qu'ont les royales demeures; les passants le
considéraient et retournaient la tête pour voir encore les étroites
fenêtres à vitraux; beaucoup de visiteurs sentaient leur cœur battre
en touchant la sonnette, inquiets de savoir s'ils seraient reçus par
«le maître». Dans l'atmosphère nouvelle de son très grand succès,
Mervil sentait un peu se calmer sa défiance de lui-même,cette vipère
que certains artistes portent en eux, sifflante et glacée, jusqu'à
la tombe, au milieu même de leur gloire. Aussi la nervosité de son
caractère se détendait; l'ironie lui montait moins souvent aux lèvres;
il accueillait plus franchement les privilèges de sa destinée, et tout
son entourage s'épanouissait à présent dans la chaleur de sa bonté
naturelle. Mais personne autant que Simone ne s'émerveillait, ne
s'attendrissait de cette bonté.
 
Cependant le petit Hugues sortait de la vie végétative propre à la
toute première enfance. Il devenait le petit animal humain, gazouilleur
et joli, que l'on commence à mettre en robes courtes, et dont les pieds
remuants se chaussent de minuscules souliers vernis, encore inutiles
d'ailleurs. Ses traits s'affirmaient, se dégageaient de l'ébauche
indécise, promettaient de la finesse et de la régularité. Sur son crâne
rose, une impalpable soie blonde, presque blanche, s'arrondissait en
bouclettes, et derrière l'ourlet délicat de ses lèvres, des dents
menues pointaient en gouttes laiteuses. Mais, pour l'adoration de
ses parents, ses yeux surpassaient toutes les autres merveilles. Ils
paraissaient immenses dans ce visage de poupée, et leur perpétuelle
admiration ravie éclairait la maison d'une lueur d'astres.
 
Je t'assure qu'ils seront bleus, disait chaque jour Mervil à Simone.
 
Quelle idée! s'écriait-elle. Personne dans la famille ne les a de
cette couleur. Moi je suis seule à les avoir clairs, et encore les
miens sont gris. Mais tous les petits enfants ont d'abord les yeux de
ce bleu incertain. Ça change vers huit ou dix mois. Hugues a tes yeux,
c'est frappant. Tu verras qu'ils deviendront très noirs.
 
Un matin, comme Roger faisait sauter son fils sur ses bras, il
s'arrêta tout à coup, et, portant le bébé dans le plein jour de la
fenêtre, il s'écria:
 
Oh! c'est un peu fort!
 
Puis s'adressant à la nourrice:
 
Nounou, venez voir ici. Peut-on soutenir que cet enfant n'a pas les
yeux bleus?
 
La brave femme convint que c'était difficile. A ce moment Simone
entrait dans la chambre.
 
Ils sont bleus, répétait Mervil. D'un bleu très pur, mais très foncé.
Tiens, veux-tu que je te dise, Simone: je ne connais qu'une seule
personne qui ait des yeux de cette nuance-là. C'est Jean d'Espayrac.
Non, mais c'est drôle, tu sais... Bébé a tout à fait les yeux de Jean.
 
Au milieu de sa paix reconquise et de son bonheur, cette parole frappa
Mme Mervil comme le coup imprévu d'une arme effroyablement pénétrante
et cruelle. D'un geste involontaire, elle porta la main à son cœur,
comme si le coup l'eût déchirée là. Et elle ne trouvait pas un mot à
dire, abasourdie, terrifiée.
 
Pourtant Roger, ne remarquant rien, très à l'aise, plaisantait.

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