2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 29

justice de femme 29



Il n'a pas mal choisi, le petit bonhomme. Les yeux de Jean sont les
plus beaux que je connaisse. Ma foi, je trouverais ça très bien qu'il
eût des yeux comme Jean.
 
Il posa son fils entre les bras de la nourrice, et, venant tirer
gentiment l'oreille de sa femme:
 
Ah! madame, je vous y prends. Vous aurez trop regardé les prunelles
saphir du beau d'Espayrac. Je lui conterai ça à notre ami Jean.
 
Oh! je t'en supplie!... s'écria-t-elle.
 
Et ce fut un tel cri d'angoisse, qu'effrayée par l'altération de sa
propre voix, Simone reprit en essayant de sourire:
 
Entre nous, c'est très bien, mais avec ce jeune homme, des
plaisanteries pareilles...
 
Petite prude! dit son mari. Enfin, c'est bon. Si vous promettez de ne
plus recommencer, on n'en parlera pas.
 
Et il l'embrassa,tellement tourné ce matin-là à la drôlerie et à la
joie qu'il ne sentit pas, sous sa lèvre, la joue de Simone froide et
rigide comme de la glace.
 
Pendant les jours qui suivirent, lorsque Mme Mervil se trouvait
seule près de son fils, elle épiait les yeux de l'enfant, avec une
attention anxieuse, obstinée, sans pouvoir penser à autre chose qu'à
ces prunelles, d'une transparence de pierre précieuse, dont le bleu
semblait devenir d'heure en heure plus profond. Parfois, comme prise de
l'espoir qu'elles eussent changé de nuance sous les paupières closes
par le sommeil, la jeune mère éveillait le bébé dans son berceau et
guettait, haletante, le soulèvement des longs cils foncés. Mais, devant
son mari, Simone évitait de contempler Hugues; puis, si elle voyait
Mervil poser sur lui un regard prolongé, elle s'emparait du petit
garçon, l'excitait, le faisait jouer, ou l'emportait auprès de sa
nourrice.
 
Toutefois d'autres semaines, puis d'autres mois passèrent, et, à la
longue, cette crise atroce de doute et de crainte s'apaisa pour Simone,
comme s'étaient apaisés son coupable amour et ses remords. L'habitude
vint à tous de voir les yeux bleus de Hugues. Nul ne les remarqua plus.
Aucune comparaison nouvelle ne fut établie entre ces yeux d'enfant
et ceux de M. d'Espayrac. Et, une fois de plus, l'accoutumance et
l'illusionces baumes éternels du cœurengourdirent, puis dissipèrent
chez Simone le poison des cuisantes pensées.
 
Comme elle n'alla pas beaucoup dans le monde, cet hiver, et qu'elle ne
reçut point, elle ne rencontra que rarement Gisèle et M. d'Espayrac.
Déjà, du reste, elle pouvait les apercevoir, l'un ou l'autre, même
à l'improviste, sans cet élancement de douleur qui naguère, à leur
premier aspect, lui cassait les jambes et lui pâlissait le visage. Le
poète écrivait un libretto pour Mervil. Mais ce travail avançait avec
lenteur, et M. d'Espayracvolontairement sans douteoubliait de plus en
plus le chemin de la rue Ampère. Quant à Mme Chambertier, plus lancée
que jamais, perdue dans un tourbillon d'occupations folles, comment
eût-elle trouvé le temps de venir voir son amie? Tous les matins elle
conduisait au Bois; même elle se remettait à l'équitation, annonçant le
projet de se montrer prochainement dans l'allée des Poteaux, seule et
suivie d'un groom, ce que se permettent à peine quelques très grandes
dames, en dehors des écuyères et des cocottes: c'était d'un «chic»
hardi et exceptionnel qui la tentait. L'après-midi elle avait, avec les
couturiers en vogue, des conférences d'où sortaient des chefs-d'œuvre
de toilette, reproduits par les journaux d'illustration artistique et
mondaine. Puis, à cinq heures, il lui fallait être de retour dans son
immense hôtel du boulevard Haussmann, pour présider son _five o'clock_.
Et, le soir, c'étaient les dîners, les premières représentations,
les bals. Si bien qu'avec les heures réservées à ses rendez-vous
d'amour, c'est à peine si elle pouvait suffire aux visites officielles,
indispensables. Une furie de mouvement, d'éclat, de vie à outrance,
l'avait prise depuis que la langueur inquiète de ses sens et de son
esprit se trouvait secouée, dissipée par les réalités de la passion.
D'ailleurs elle s'affichait. Sa liaison avec M. d'Espayrac n'était plus
guère inconnue que de l'aveugle Chambertier. Même, comme la chronique
scandaleuse avait épuisé ce thème, on lui prêtait d'autres amants.
 
Jean, qui, fort ombrageux au sujet de ses maîtresses, prenait grand
souci de leur réputation, avait d'abord entouré celle-ci d'égards et
de mystère. Quand il s'aperçut des inconséquences qu'elle commettait,
sa délicatesse en fut froissée. Il lui en fit des reproches, et même
lui montra un certain mépris, lui parla durement. Elle s'emporta, lui
répondit par des bravades. Mais elle avait des colères si pleines
de séduction, avec l'ombre noyée de ses longs yeux, le dédain de sa
bouche, les ondulations de couleuvre tordant et redressant son buste
souple, que d'Espayrac, aussitôt, perdait le fil de son discours.
Alors Gisèle triomphait, le croyait vaincu. Il n'était qu'enivré. Aux
heures de réflexion froide, un fugace dégoût lui montait aux lèvres.
Peu à peu, il en vint à la considérer, à la traiter même comme une
courtisane. Dans son inexpérience, Gisèle en fut ravie; elle crut,
parce qu'il la respectait moins, qu'il l'aimait davantage. Mais M.
d'Espayrac avait trop d'élégance dans l'âme pour goûter des sentiments
et des façons de fille chez une femme du monde, une femme dont il
voulait se croire le premier, le seul amant. Elle le heurta, l'énerva
par ses manques de tact, de mesure, de pudeur. Devant lui, comme jadis
devant Simone, elle parlait de ses droits à l'adultère, se moquait
du mariage, ridiculisait Chambertier. D'Espayrac trouva cela d'un
ton détestable. Un tel défaut de tenue morale lui répugnait comme
des défauts de tenue physique: il se sentait aussi choqué que si sa
maîtresse se fût montrée à lui les mains mal soignées, ou vêtue, sous
la merveille de ses toilettes, d'une lingerie grossière. D'ailleurs, la
satiété accomplissait chez lui cette œuvre d'enlisement où, peu à peu,
les plus vifs désirs humains s'anéantissent, disparaissent. Si bien
que, malgré la beauté de cette créature de passion, moins d'un an après
sa conquête il commençait à se détacher d'elle.
 
* * * * *
 
Un matin, comme Simone était à sa toilette, sa femme de chambre vint
lui dire qu'une dame demandait instamment à lui parler. Quelle dame?
La domestique, nouvelle dans la maison, ne la connaissait pas. C'était
quelque solliciteuse, et Mme Mervil, obligée de se défendre sans cesse
contre les importunités de ces sortes de personnes, allait la faire
congédier, lorsque la femme de chambre expliqua qu'elle était fort bien
mise et qu'elle avait l'air bien comme il faut; que, d'ailleurs, elle
avait une voiture à la porte.
 
Alors, dit Simone intriguée, donnez-moi ma robe de chambre.
 
En bas, dans le petit salon, elle poussa un cri de surprise en
reconnaissant Mme Chambertier, la mère, la vieille dame qu'on ne voyait
guère à Paris, car elle passait l'hiver dans son château de Provence et
l'été en Suisse.
 
Vous, chère madame!... Je vous croyais encore à Hyères. Et pourquoi
ne pas dire votre nom? J'ai failli ne pas vous recevoir.
 
Je l'aurais dit au dernier moment, s'il avait fallu, répondit Mme
Chambertier. J'aime mieux qu'on ne sache pas que je suis venue ici, le
matin, pour vous parler de choses graves.
 
Des choses graves!...
 
Une appréhension serra la gorge de Simone. En même temps elle vit sur
le visage de la vieille dame un air de tristesse et de rigidité qu'elle
n'avait pas remarqué tout d'abord.
 
Ma chère petite, commença Mme Chambertier, je viens au nom de l'amitié
qui vous lie à ma belle-fille... Je viens faire appel à votre loyauté,
à votre bon cœur...
 
Tout en parlant, elle sortait un petit portefeuille, l'ouvrait, en
tirait un papier plié, qu'elle tendit à Mme Mervil.
 
Connaissez-vous cette écriture?
 
La stupeur élargit les yeux de Simone. Dès le premier coup d'œil, elle
distingua l'écriture de Jean. Et toutes ses idées se confondirent,
toute sa raison chavira dans la folle peur qui la saisit. Rien
de logique ne lui vint à la tête. Évidemment Mme Chambertier lui
rapportait un des billets d'amour de M. d'Espayrac, écrit à elle,
Simone, et retrouvé Dieu savait où. Elle ne réfléchit pas qu'elle
les avait détruits tous, elle ne pensa pas à Gisèle... Elle n'eut
dans le cœur et dans l'esprit que la convulsion de son épouvante...
l'épouvante atroce du criminel qui sent la main du gendarme s'abattre
sur son épaule. Oh! les fruits d'angoisse et de honte qu'engendrait
sa misérable faute!... Cependant, comme Mme Chambertier répétait sa
question d'une voix sévère, Simone, malgré la rougeur violente dont
elle sentait le feu sur son visage, tâcha de feindre l'étonnement,
voulut nier:
 
Cette écriture?... Non... Non, je ne connais pas.
 
Pourtant, dit la vieille dame avec un sourire d'incrédulité, vous avez
dû la voir bien souvent.
 
Cette ironie acheva d'écraser la malheureuse Mme Mervil. Aussi fut-elle
un moment à se remettre, ne saisissant pas tout de suite d'où lui
venait la délivrance, lorsque Mme Chambertier ajouta:
 
Oui, vous avez dû la voir souvent, dans les mains de votre mari,
puisque M. d'Espayrac a été son collaborateur, et que c'est l'écriture
de M. d'Espayrac.
 
Simone se taisait, incapable de trouver une pensée, de formuler un mot.
 
Ma chère enfant, reprit la vieille dame en posant une main sur la
sienne, votre rougeur me montre que vous êtes au courant de tout...
 
Ici Mme Chambertier hésita, baissa la voix:
 
Vous devez savoir que Gisèle est la maîtresse de ce jeune homme.
 
Alors ce fut un coup de lumière. «Mais, mon Dieu!» pensa Simone, «ma
lâche frayeur pour moi-même m'a fait trahir ma pauvre amie. C'est à ses
dépens que mon embarras s'explique. Oh! comme je m'en veux! Comme je
m'en veux!»
 
Elle essaya de défendre Gisèle. «Savoir une chose pareille! Non, elle
ne le savait pas, car cela n'existait pas, elle ne le croirait jamais!»
Et Simone mentit avec abondance, avec éloquence, età mesure qu'elle
parlaitpresque avec sincérité.
 
Nous perdons notre temps, dit avec douceur la vieille Mme Chambertier.
Si vous ne le saviez pas, je vais vous l'apprendre. Lisez cette lettre.
 
Je ne veux pas lire... Je ne veux pas savoir.
 
C'est dans l'intérêt de Gisèle. Je suis venue à vous, ma chère Simone,
comme à sa meilleureje veux dire, à sa seuleamie (car je n'appelle
pas «ses amies» les envieuses poupées qu'elle fréquente). Vous avez
de l'influence sur elle. Et vous possédez tant de sagesse, tant de
raison! Je n'avertirai pas mon fils... Mais il faut qu'à nous deux
nous fassions cesser ce scandale, nous empêchions un malheur. Ce n'est
pas moi, vous le comprenez bien, qui puis parler de _cela_ avec ma
belle-fille.
 
Simone donc prit la lettre, la lut. Et elle y reconnut les __EXPRESSION__s
de Jean, les phrases amoureuses de Jean, ses mots câlins comme des
caresses, avec quelque chose de plus ardemment sensuel qui lui fit
mal. Il fallait donc que le destin lui mît ceci sous les yeux! Quand
aurait-elle fini de monter son calvaire?Hélas! elle n'était pas au
bout.Ce fut avec un gémissement de douleur qu'elle rendit la lettre à Mme Chambertier.

댓글 없음: