2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 30

justice de femme 30


N'est-ce pas que c'est ignoble... monstrueux? dit la vieille dame.
Elle a de la chance, la misérable, que cette lettre soit tombée dans
mes mains et non dans celles de son mari! Mon fils aurait tout massacré.
 
Cette transformation du bon Chambertier en un justicier sanglant parut
tellement inadmissible à Simone qu'elle eut un geste de surprise et de
protestation.
 
Je vous dis que mon fils les tuerait, reprit la vieille dame. Et
voulez-vous savoir pourquoi? Ce ne serait pas par férocité, ni pour
faire le héros de roman, ni peut-être par jalousie seulebien qu'il
soit très épris et très jaloux de son monstre de femme.Non, ce
serait, dans le coup foudroyant de la surprise, quelque chosecomment
vous dirai-je?quelque chose en lui qui le pousserait à tuer, parce
que c'est comme ça, dans l'air, dans le sang, parce qu'on doit tuer
la femme qui vous trompe, ou son amant, ou les deux; qu'on l'a fait
autour de nous, dans notre pays, dans notre milieu. Et justement,
comme Édouard est doux, un peu routinier, n'est-ce pas? sans idées
très personnelles, il suivrait, au premier moment, les notions qu'il a
en lui, toutes formées, faute d'initiative pour leur substituer autre
chose.
 
Mon Dieu!... dit Simone impressionnée. Mais que pensez-vous donc que
je puisse faire, madame?
 
La vieille Mme Chambertier supposait qu'elle pourrait avertir, effrayer
Gisèle, et aussi lui faire de la morale, la rappeler au sentiment de
ses devoirs.«J'essaierai,» murmura Simone, que remuaient ce chagrin
maternel si sincère et les révoltes, l'indignation de cette antique
honnêteté. Au fond, sachant bien qu'on ne détourne pas avec des
paroles le cours d'une passion chez une femme comme son amie, elle se
promettait de lui conseiller surtout la plus extrême prudence.
 
Gisèle, qu'elle vit le jour même, prit fort légèrement l'anecdote, et
plus légèrement encore les avis que Simone crut devoir y ajouter. Elle
se moqua de sa belle-mère, puis fut prise d'un accès de fou rire à
l'idée de Chambertier surgissant le revolver à la main pour la mettre à
mort ainsi que son amant.
 
Pauvre Édouard!... Lui, me tuer! Mais je lui dirais que je ne donne
des rendez-vous à Jean que pour l'aider à trouver ses rimes... Il
serait trop content de me croire. Il m'aime comme un imbécile. C'est ce
qui est exaspérant.
 
Oh! dit Simone, je ne peux pas t'entendre parler comme cela de ce
pauvre homme. Tu le trompes... N'est-ce pas assez?
 
C'est qu'il me gêne avec son aveuglement. Ah! elle est loin de compte,
ma charmante belle-mère, si elle croit que je me cache de lui. Mais
je laisse traîner mes lettres exprès!... C'est stupéfiant qu'il ne
s'aperçoive de rien!
 
Comment? fit Simone. Tu veux que ton mari sache!... Pourquoi?... Je ne
te comprends pas.
 
Gisèle haussa les épaules, comme dédaignant de s'expliquer. Puis,
tout à coup, elle éclata. Certainement, elle voulait que Chambertier
vît clair; et, s'il n'ouvrait pas les yeux, elle finirait par tout
lui dire. Elle en avait assez de remorquer ce gros homme ridicule. Et
maintenant surtout que la belle-mère se mêlait de faire de la morale.
Ah! mon Dieu, quelle existence!
 
Qu'est-ce que tu espères donc? demanda son amie. Le divorce?
 
Tout juste. Jean est libre.
 
Simone eut une exclamation troublée:
 
Tu crois qu'il t'épouserait?
 
Lui? Mais il se traînerait à genoux pour me le demander.
 
En es-tu sûre? M. d'Espayrac, avec ses traditions de race, épouser une
femme divorcée!...
 
Oui, si cette femme c'est moi, certifia Gisèle avec la plus insolente
assurance.
 
Alors, raison de plus pour cacher ta liaison. La loi ne te permettrait
pas d'épouser ton complice.
 
Bah! Chambertier est si bonasse! Je lui persuaderai que c'est
chevaleresque et distingué de faire prononcer le divorce contre lui.
 
Simone regarda son amie, cherchant sur ce visageaux yeux et aux
lèvres de mystère, tels que les yeux et les lèvres des sphinxune
rougeur, une trace d'embarras, après un pareil aveu. Elle n'y vit
qu'un sourire de malice amusée, la confiance de Gisèle en sa beauté de
magicienne, et, pour le reste, la plus parfaite inconscience. «Est-ce
donc vrai,» pensa Mme Mervil, «ce que j'ai entendu dire je ne sais où,
que les femmes sont absolument dépourvues de tout sens moral? Mais moi
cependant qui ai voulu faire mon devoir?... Hélas! j'ai peut-être suivi
tout bonnement quelque instinct secret, une répugnance de ma nature
pour la trahison et le mensonge. Au nom de quel principe absolu me
trouverais-je meilleure que Gisèle?»
 
Ainsi, malgré l'écœurement dont la soulevaient les intrigues de son
amie, malgré l'irritation que lui causait la seule idée de voir Gisèle
devenir Mme d'Espayrac, Simone continuait à subir vers la personne
et vers les amours de cette femme une sorte d'attirance perverse.
Curiosité?... Involontaire préoccupation de Jean? Peut-être espérance
inavouée de voir une autre trouver à son tour dans la faute les fruits
d'amertume qu'elle-même y avait recueillis. Par moments même, il lui
semblait que les âpres sentiments avec lesquels, depuis quelques mois,
elle songeait à Gisèle, augmentaient sa tendresse pour cette créature
de charme et de folie. Parfois, tout à coup, elle était prise du désir
de la voir, et elle sautait en voiture, elle pressait son cocher, pour
embrasser Gisèle deux minutes plus tôt, pour l'entendre lui chuchoter
près de l'oreille quelque extravagante confidence. Et ensuite, elle
se sentait troublée d'un vague remords, se demandant si, près de son
amie, elle ne venait pas alimenter un reste d'amour pour M. d'Espayrac,
ou du moins nourrir l'anxieux intérêt que lui inspiraient encore les
sentiments et les actions de cet homme.
 
 
 
 
XVI
 
 
Cependant, quoique le mois de juin commençât dans une splendeur
ininterrompue de jours ensoleillés, et malgré la haine pour Paris que
professait la belle-mère de Gisèle, cette vieille dame ne se décidait
pas à partir pour la Suisse. Elle restait dans l'hôtel du boulevard
Haussmann, croyant sauvegarder par sa présence l'honneur et peut-être
la vie de son fils; car maintenant, ce qu'elle redoutait parfois,
c'était le suicide de son cher Édouard. Cette digne personne vivait
dans des transes accrues par l'âge et par l'ignorance ou l'oubli des
passions. C'était merveille que son affolement ne lui fît pas commettre
de trop insignes maladresses, lui permît de rester courtoise avec la
violente Gisèle. Celle-ci n'attendait qu'un mot pour la braver en face.
 
Enfin il arriva que la pauvre mère crut imminente la catastrophe
qu'elle redoutait. Ce jour-là, tout éperdue, elle accourut de nouveau
chez Mme Mervil. Il était deux heures. Le musicien venait de sortir.
Simone s'apprêtait à conduire au Bois ses enfants, leur nourrice
et leur gouvernante. La pâleur et l'émotion de Mme Chambertier
l'épouvantèrent.
 
La vieille dame ne put parler distinctement tout de suite. Elle
prononçait des phrases incohérentes, dans lesquelles revenaient les
mots: «Lettre anonyme... rendez-vous... y courir tout de suite... un
affreux malheur!...» Mais un nom frappa Simone; Mme Chambertier avait
dit: «Meudon.»
 
C'est à Meudon qu'ils ont un rendez-vous? demanda Mme Mervil.
 
Oui, à Meudon, ma pauvre enfant!... Mais c'est tout ce que je sais.
Comment les trouver?... Comment les avertir?... Meudon... c'est grand.
 
Simone se taisait, toute blanche. Elle n'aurait pas cru cela de Jean,
qu'il conduirait Gisèle dans cette même maison... dans cette même
chambre, sans doute!... Eh bien, que le mari les y trouve!... Ils
n'auraient que ce qu'ils méritaient.
 
Mais comme, devant son silence, Mme Chambertier se désespérait,
sanglotant, lui serrant les mains d'une étreinte de noyé qui se
cramponne, la jeune femme se sentit le cœur envahi d'une grande
miséricorde et d'une grande pitié.
 
Je crois, murmura-t-elle, que je connais l'endroit.
 
Vous le connaissez!... Ah! mais vous êtes un ange... Dites-le-moi, que
j'y coure... Car c'est aujourd'hui... tout à l'heure... Il n'y a pas
une minute à perdre!...
 
Oh! s'écria Simone, vous ne ferez pas cela!... Vous ne pouvez pas y
aller... Vous!... Et dans l'état où vous êtes...
 
Si, si!... répétait la vieille dame. Il le faut. Je vous dis qu'il va
se passer quelque chose d'effrayant!...
 
Sans rien ajouter tout de suite, Simone alla vers la porte qui donnait
sur le vestibule, l'ouvrit:
 
Miss! appela-t-elle, Nounou!
 
Des voix, des pas, répondirent aussitôt. Paulette cria:
 
Petite mère, est-ce qu'on ne va pas partir pour la promenade?
 
Oui, allez, dit Mme Mervil. Allez sans moi. Mais prenez un fiacre
jusqu'au Pré-Catelan. J'ai besoin de la voiture.
 
Puis, revenant vers Mme Chambertier, la porte close de nouveau.
 
Voyons, chère madame, courage! Dites-moi vite les renseignements que
vous avez. Puis, s'il faut aller à Meudon... eh bien... j'irai. Vous,
c'est impossible! D'ailleurs, je ne connais la maison que de vue... Je
ne saurais pas vous indiquer l'adresse... Troublée comme vous êtes,
vous ne trouveriez jamais.
 
Dans sa folie de terreur et de reconnaissance, Mme Chambertier voulait
se mettre à genoux devant elle. Mais comme, aussitôt, le sang-froid de
Simone la calma, la ramena aux nécessités de la situation, elle put
dire assez nettement:
 
Depuis quelque temps, j'en suis sûre, Édouard avait des doutes... Il
recevait des lettres anonymes... Il était triste... Mais il ne voulait
pas voir clair. Tout à l'heure, après le déjeuner, comme j'avais
remarqué qu'il ne mangeait pas, qu'il quittait la table avant la fin,
je suis entrée dans son cabinet. Il ne m'a pas vue tout de suite...
Il avait la tête dans ses mains, comme un homme accablé. Une lettre
était ouverte devant lui... une lettre sans signature... écrite très
gros... que j'ai parcourue d'un seul coup d'œil, avant qu'il eût relevé
le front... J'ai vu leurs deux noms, à EUX!... puis le mot «Meudon»,
suivi d'explications que je n'ai pas eu le temps de saisir; puis les
deux mots: «aujourd'hui même», soulignés d'un trait de plume. A ce
moment, Édouard a levé la tête... Oh! quelle figure! Un cadavre... Mon malheureux enfant!...

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