2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 31

justice de femme 31


Mais, madame, fit Simone, il ne vous a rien dit?
 
Il ne m'aurait rien dit, si je n'avais pas parlé moi-même. Mais je
n'ai pas pu y tenir. J'ai voulu le consoler... J'ai pleuré... J'ai
imploré sa générosité. Alors il m'a regardée d'un air terrible et il
a dit: «Ah! vous, ma mère, vous le saviez donc aussi?» Puis il m'a
repoussée, et il est rentré dans sa chambre en ajoutant: «Cette fois la
mesure est comble, et, dès ce soir, vous saurez comment un Chambertier
peut venger son honneur.»
 
Et Gisèle? demanda encore Simone, vous ne l'avez pas avertie?
 
Gisèle?... la malheureuse!... Elle avait déjà quitté la maison.
 
Eh bien, madame, rentrez boulevard Haussmann. Je ne puis pas vous
ôter votre affreuse inquiétude. Mais je vous jure une chose. C'est que
je vais faire tout ce qu'il est possible pour empêcher un malheur.
Je cours à Meudon; j'ai un bon cheval, et, comme je connais bien
l'endroit, j'ai des chances pour arriver avant M. Chambertier, malgré
l'avance qu'il a sur moi.
 
Oh! dit la vieille dame, il n'avait pas fait atteler quand je
suis partie. Le rendez-vous n'est sans doute que pour la fin de
l'après-midi, puisque, à cette saison, Gisèle n'a plus son _five
o'clock_. Maintenant, Édouard n'aura peut-être pas voulu se servir de
sa propre voiture. D'un autre côté, s'il prend le train ou un fiacre...
 
L'abondance des explications revenait, chez l'excellente personne, avec
le premier sentiment de sécurité relative. Mais Simone ne l'écoutait
plus. Elle sautait déjà dans sa victoria, disant à son cocher:
 
A Meudon... Très vite. Filez par le plus court jusqu'à la gare, et là,
je vous indiquerai.
 
Chemin faisant, elle reconnut avec une sorte de honte que ce qui
dominait en elle, c'était une excitation presque amusée, le plaisir
mêlé d'angoissemais un plaisir tout de mêmede s'activer en plein
drame, d'apparaître comme le salut à ces gens condamnés à mort. La
conscience de sa grandeur d'âme à jouer ce rôle près de sa rivale et
de son ancien amant l'exaltait plus agréablement encore. Maintenant,
elle souhaitait que Chambertier eût les plus meurtrières intentions,
pourvu toutefois qu'elle arrivât la première. Elle aurait ainsi cette
rare satisfaction d'avoir sauvé deux existences. Quelques aiguillons
de jalousie qui la piquaient encore lui donnaient l'orgueil d'un peu
de lutte intérieure et d'une victoire disputée. Trop faibles désormais
pour lui causer beaucoup de mal, ils avaient juste l'acuité nécessaire
pour lui faire savourer plus complètement la beauté de ses propres
sentiments.
 
* * * * *
 
Lorsque Simone arriva près de la gare de Meudon, elle fit remonter son
cocher vers le bois, jusqu'à ce qu'elle aperçût les dragons japonais,
en faïence bleue, surmontant les pilastres de la maison bien connue.
Alors elle arrêta la voiture pour continuer à pied. Mais quand elle
sentit le sol sous ses petits souliers en cuir de Russie, des doutes,
des défaillances, des souvenirs aussi, l'assaillirent. Elle trouvait
la chose plus difficile qu'elle n'aurait cru. Une envie de retourner,
de se sauver, la fit hésiter une seconde. Et les promeneurs, assez
nombreux dans la coquetterie de cette campagne, dans toute cette
verdure et tout ce soleil, qui la voyaient passerd'une si délicate
fraîcheur blonde sous la soie pâle de son ombrelle, avec tant de
candide bonté dans ses yeux clairsne se doutaient guère de l'émotion
qui secouait la fragilité nerveuse de cette jolie femme, que l'on
prenait pour une jeune fille.
 
Machinalement, Simone tourna dans le sentier qui conduisait à la
petite porte où Jean l'attendait autrefois. Qu'espérait-elle? Cette
porte devait être fermée avec soin. Mais elle comptait vaguement sur
quelque hasard qui lui permettrait d'éviter les deux concierges de la
grille, un homme et une femme qu'elle n'avait jamais vus, mais qu'elle
connaissait comme des gardiens rébarbatifs, avec lesquels il serait
difficile de parlementer.
 
La voilà cette petite porte... O Dieu! comme elle la reconnaissait
bien! Elle souleva le loquet, s'attendant à rencontrer la résistance
de la serrure. A sa stupéfaction, le battant de bois s'écarta tout de
suite. «Ils n'y sont pas encore,» pensa-t-elle. Mais une autre idée la
glaça. «Ce n'est pas dans cette maison!... C'était impossible aussi.
Ah! folle que j'étais...»
 
Elle entra cependant, traversa le potager, hésita en se trouvant sous
une charmille. Les choses du dedans lui semblaient moins familières
que celles du dehors. Peut-être était-ce la verdure de l'été sur ces
branches qu'elle avait connues dans la nudité de l'hiver. Peut-être
aussi parce qu'autrefois, le seuil franchi, elle ne voyait plus rien
que Jean.
 
Une porte de vestibule ayant cédé aussi facilement que celle du
sentier, Simone pénétra dans l'intérieur. «Si la maison est habitée,»
pensait-elle, «je trouverai bien un prétexte; je dirai que je me suis
trompée.» Puis, saisie par le silence, elle eut un accès de terreur
folle. Sans doute, le mari était venu déjà, et deux cadavres gisaient
derrière ces cloisons!... Elle chancela, s'appuya contre un mur. Mais,
de l'autre côté de ce mur, un éclat de rire, une roulade de chanson,
partirent. Et elle reconnut la voix de son amie.
 
Alors elle frappa, elle appela d'un accent d'angoisse:
 
Gisèle!... Gisèle!... C'est moi... Ouvre... Viens! Au nom du ciel,
viens vite!...
 
La même voix rieuse dit à quelqu'unà Jean sans doute:«J'y vais...
laisse... Je te défends d'y aller... Je sais ce que c'est.»
 
Gisèle parut; et, quand elle vit Simone, un fou rire la secoua
convulsivement, la rabattit, fléchissante, contre le chambranle de la
porte. «Toi ici!... O ma pauvre petite!... Est-ce que tu viens pour me
protéger? Ça serait le comble!...»
 
Ne ris pas! dit Simone haletante. Ton mari accourt... Il a juré de te
tuer.
 
Ça m'étonne, répondit Gisèle, qui s'égayait de plus en plus à chaque
mot. Tu auras mal compris.
 
Tu es donc folle!... s'écria Simone. Sauve-toi!... Fais sauver M.
d'Espayrac!... Je te dis qu'il veut vous tuer tous les deux. Laisse-moi
t'emmener, j'ai ma voiture à deux pas d'ici. Mais rhabille-toi; tu ne
peux pas t'en aller comme ça.
 
Gisèle, en effet, se trouvait à demi vêtue par un peignoir oriental en
gaze et en soie brochée, d'une somptuosité étrange, qui rehaussait sa
beauté barbare, et sur lequel coulaient, débordées, les ondes de ses
grands cheveux noirs, aux artificiels reflets de cuivre.
 
Viens, répondit Gisèle en éloignant Simone de la portequ'elle avait,
dès le premier instant, refermée derrière elle.Viens... Tu n'es qu'une
petite bête, et tu ne comprends rien de rien.
 
Elle fit entrer son amie dans une pièce de devant,une pièce où Mme
Mervil n'avait jamais pénétré. C'était un salon, aux meubles couverts
de housses, dépourvu de bibelots, l'air à l'abandon des chambres que
l'on n'habite pas. Les volets d'une seule croisée étaient ouverts; et,
par cette croisée qui descendait jusqu'au sol, les yeux inquiets de
Simone aperçurent un balcon de vérandah garni de vases poussiéreux,
puis, au delà, un jardin mal tenu, dont la grande pelouse découverte
qui en occupait le milieu permettait de voir sans obstacle jusqu'à la
grille d'entrée.
 
M. d'Espayrac est sûr de ses concierges, n'est-ce pas? demanda Simone.
Et, Dieu merci, j'ai pu refermer à clef la petite porte du potager.
Quelle imprudence d'avoir laissé cette porte ouverte!
 
Tu as refermé la petite porte du potager! s'écria Gisèle d'un ton
brusque. De quoi te mêles-tu?... Quel ennui! Et je ne puis pas aller la
rouvrir maintenant!... Jean me verrait... C'est du côté de la chambre.
Il ne faut pas qu'il sache...
 
Mais?... fit Simone, abasourdie, gagnée par la gêne horrible de se
trouver là, maintenant que l'insouciance de Gisèle lui ôtait presque la
certitude du danger.
 
Ma pauvre mignonne, tu es gentille comme tout, interrompit son amie en
l'embrassant, mais tu n'as donc pas compris, quand Chambertier est allé
te montrer ses lettres anonymes?...
 
Ce n'est pas lui, c'est ta belle-mère... Elle ne m'a pas montré de
lettres, mais elle en avait vu dans les mains de Chambertier... Il
était hors de lui, criant qu'il serait vengé avant ce soir... Et elle
est accourue chez moi folle de peur.
 
Encore elle!... En voilà une qui m'aura fait haïr son fils... Tandis
que, sans elle, je le mépriserais seulement, dit Gisèle avec une
soudaine lividité de fureur sur son mince visage aux yeux longs.
 
Tais-toi!... reprit Simone. Pars, et fais partir M. d'Espayrac...
Comment ne vois-tu pas qu'il arrivera quelque chose de terrible, si ton
mari et lui se trouvent face à face?
 
Eh! dit Gisèle, il arrivera ce que je veux qu'il arrive.
 
Comment?
 
Est-ce que je ne connais pas mon Chambertier! Il ne tuera rien du
tout... Il tempêtera, menacera, jurera... Puis, devant le dédain
de Jean et le mien, la sueur lui viendra aux tempes et les larmes
aux yeux; il ne songera plus qu'à s'éponger. Ce sera tout. Ensuite,
je le forcerai à plaider en divorce, pour cause d'INCOMPATIBILITÉ
D'HUMEUR!... Et comme Jean m'aura fait perdre un nom et une fortune, et
qu'il est galant homme... Conclus... Rester Mme Chambertier quand on
peut devenir Mme d'Espayrac... Ce ne serait pas la peine d'être «une
sirène» et «une beauté fatale», comme mes nigauds d'adorateurs ont
l'habitude de m'appeler.
 
Mais, dit encore Simonedont un écœurant soupçon pâlissait la
lèvre,alors, tout à l'heure, quand tu as dit à M. d'Espayrac: «Je sais
ce que c'est?...»
 
Les épaules de Gisèle se soulevèrent, et elle recommença de rire.
 
... Et cette porte laissée ouverte exprès?...
 
Encore le rire... un rire, cette fois, immobile et muet, tendant les
lèvres rouges sur les dents aiguës, avec, véritablement, quelque chose
du mystère et de la cruauté des sphinx.
 
Simone, trop sûre maintenant d'avoir compris, murmura:
 
... Et ces lettres anonymes?...
 
Ah! enfin, nous y sommes!... Ça ne te crevait donc pas les yeux?...
Certainement, c'est moi qui les ai fabriquées. Et, bonté divine!... il
en a fallu des points sur les _i_ pour qu'il se décide!... Alors, bien
vrai, tu crois qu'aujourd'hui ça mord? Tu es sûre qu'il viendra?

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