2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 32

justice de femme 32


Gisèle, dit Simone, c'est épouvantable ce que tu as fait. Laisse-moi
m'en aller. Je ne peux pas me voir ici... C'est trop horrible!...
Laisse-moi m'en aller!...
 
Mme Chambertier s'égayait de nouveau très franchement, comme d'une
indignation qui ne pouvait être sérieuse. Et elle retenait les mains
de son amie. Simone se dégagea, courut vers la porte. Mais, tout à
coup, elle revint.
 
Ah! Gisèle, tiens, j'ai pitié de toi!... Je te dis, je te dis,
malheureuse, que ton mari vient pour vous tuer tous les deux!...
Sauve-toi!... Sauve M. d'Espayrac!
 
Ceci fut dit d'un tel accent, que le rire se brisa puis s'éteignit sur
les lèvres de sphinx. Au même instant, un violent coup de sonnette à la
grille jeta les deux jeunes femmes aux bras l'une de l'autre, dans une
étreinte de saisissement et d'effroi.
 
Gisèle se remit d'ailleurs aussitôt, et courut à la fenêtre, dont les
rideaux de mousseline, transparents de l'intérieur, la cachaient aux
regards du dehors. Ce qu'elle vit dut lui causer une exaspération bien
extraordinaire, car elle frappa du pied, et Simone eut la stupéfaction
de l'entendre jurer comme un homme.
 
Oh! dit Mme Mervil, c'est lui, n'est-ce pas? Mais enfin, il ne va pas
entrer tout de suite... Les concierges vont lui dire que c'est une
maison inhabitée, que le propriétaire est en voyage.
 
Dans son trouble, Simone trahissait sa connaissance de la consignequi
devait être restée la même. Gisèle, emportée par une fureur inouïe, ne
remarqua pas ce détail.
 
Ah! le lâche!... le lâche!... criait-elle, en serrant les poings, en
grinçant des dents... Non, je ne l'aurais jamais cru!... Le lâche!...
 
Ce ne fut pas la seule injure qui monta aux lèvres de sphinx: elles en
prononcèrent d'autres, et des plus basses, que cette jolie Parisienne,
à visage de princesse barbare, hurlait dans un incroyable débordement
de rage, de haine et d'insulte.
 
Mon Dieu! qu'y a-t-il? Laisse-moi voir, dit Simone terrifiée.
 
Car Gisèle, se rabattant vers le milieu de la pièce, l'entraînait sans
lui avoir donné le temps de s'approcher de la fenêtre.
 
Non, non!... Viens!... Sauve-moi!... Oh! sauve-moi, Simone!...Et
la voix cassée de fureur devenait sanglotante et plaintive.Je suis
perdue!... Perdue!... Ma chérie... Invente quelque chose!... Ah!
sauve-moi!...
 
Il était bien tard à présent... Car un rapide coup d'œil de Mme
Mervil vers la fenêtre lui permit d'entrevoir le concierge ouvrant
toute grande la grille, derrière laquelle elle distingua la stature
corpulente et le visage de Chambertier. Alors elle crut deviner d'où
venait l'indignation folle de Gisèle: sans doute le mari avait payé ou
menacé ce portier de façon telle que le misérable homme consentait à
l'introduire. Et quelque menaçante évidence avait dû montrer à la femme
coupable que c'était bien son châtiment qui, maintenant, entrait par
cette grille.
 
Je te dis que je suis perdue!... Sauve-moi!...
 
Toutes deux se trouvaient maintenant dans le corridor. Et là, comme
un éclair, la même pensée les frappa. Simone pouvait se substituer à
Gisèle!...
 
Mme Chambertier, d'un geste à la fois de violence et de supplication,
poussa son amie vers la chambre où se trouvait Jean. Déjà même, elle
lui enlevait son chapeau, elle cherchait à lui dénouer les cheveux.
Simone eut une révolte. «Oh!...» Elle donnerait bien sa vie, si l'on
voulait. Son honneur, non!... Oh! pas cela, pas cette honte!
 
Mais on entendit des pas d'homme sur les dalles de la vérandah, puis
le bruit des clefs que le concierge essayait dans la porte extérieure,
tâtonnant, voulant gagner du temps. Et une si mortelle frayeur se
peignit dans les yeux de Gisèle, que Simone, songeant à la scène
sanglante, jeta son amie vers l'escalier, et se précipita elle-même
dans la chambre, où, jadis, elle s'était donnée à Jean.
 
Elle n'eut pas même à en ouvrir la porte. M. d'Espayrac, averti par
la femme du concierge,qui avait tourné la maison,s'élançait dans le
corridor, éperdu d'inquiétude pour Gisèle. Il reçut Simone presque dans
ses bras, et, comme elle le repoussait dans la chambre, il la lâcha,
puis recula, stupéfait.
 
Tout à l'heure, il n'avait pas reconnu, dans les chuchotements, la
voix de Mme Mervil, et, ne s'étonnant plus des idées baroques de
Gisèle, il s'était mis à lire sans impatience, croyant qu'elle s'était
fait apporter, qu'elle essayait peut-être, un déshabillé nouveau, et
qu'elle se réservait de lui en donner la surprise.
 
Maintenant il regardait Simone arracher ses gants, défaire ses cheveux,
dont la fine soie blonde glissa et moussa jusqu'à la taille. En même
temps elle murmurait, sans le regarder, le visage brûlé d'une rougeur:
«C'est moi... n'est-ce pas?... Voilà son mari... Donc c'est moi...»
 
Les pas maintenant retentissaient dans le corridor vide. Et le
concierge, toujours les égarant,car il espérait que les amants se
sauveraient par la petite porte,les conduisit pendant un instant de
chambre en chambre.
 
Et M. d'Espayrac était tellement bouleversé d'admiration, de respect
troublé, tellement honteux que Simone retrouvât leur petit sanctuaire
avec les mêmes meubles, les mêmes bibelots, etelle l'aurait pu
croireles mêmes fleurs disposées partout dans les mêmes vases, qu'il
ne pouvait que la regarder avec des yeux de repentir et de confusion,
sans songer à faire un mouvement.
 
Ah! dit-elle, ouvrez-lui donc... puisqu'il faut qu'il entre. Il serait
capable de monter... Et Gisèle est en haut.
 
D'Espayrac sortit dans le corridor. Mais, tout de suite, elle entendit
éclater sa voix en paroles d'une violence qui la surprirent. C'était
la même insultante indignation de Gisèle tout à l'heure. Et Simone
commença de trouver excessif ce mépris qu'on croyait devoir ajouter
aux outrages secrets et aux mensonges dont on bernait ce malheureux
mari. Cela l'étonnait de d'Espayrac. Mais un mot allait lui faire tout
comprendre,un mot qui lui ternirait son dévouement, qui lui en ôterait
la nécessité tragique, n'y laissant que la grotesque trivialité d'une
scène de vaudeville, et lui donnant à savourer sans compensation toute
l'amertume et tout le dégoût de l'ignoble aventure.
 
Un goujat!... Oui, monsieur, un pur et simple goujat, disait
d'Espayrac. Et vous allez être forcé d'en convenir vous-même devant M.
le commissaire de police, en lui affirmant, comme vous devrez le faire,
que ce n'est pas votre femme qui se trouve ici avec moi.
 
«Le commissaire de police!...» pensa Simone, «Il est venu avec le
commissaire de police! Voilà donc comment se venge un Chambertier!...»
 
Alors, elle comprit la rage et l'effroi de Gisèle. Ce commissaire de
police, que celle-ci avait vu, sans doute, montrant le bout de son
écharpe au concierge, avec le: «Au nom de la loi» qui avait fait ouvrir
la grille, c'était la constatation de son adultère, le ridicule et
la honte, le divorce prononcé contre elle, l'impossibilité légale
d'épouser son complice, sa déchéance comme mondaine, et, pour l'avenir,
la pauvreté avec l'oubli, ou le luxe avec le scandale. C'était, pour la
fière Gisèle, le vrai châtiment,Chambertier s'en doutait peut-être,le
châtiment pire que la mort, et qui l'avait affolée bien plus que si
elle avait vu son mari pénétrer de force dans la maison, la furie du
meurtre aux yeux et le revolver au poing.
 
Quand Simone entendit rouvrir la porte de la chambre, elle se cacha le
visage dans ses mains, pensant que ses cheveux et sa taille suffiraient
à justifier Gisèle sans qu'elle eût besoin de se laisser reconnaître.
Et, de fait, le commissaire de police de Meudon resta parfaitement
ignorant de ses traits. Mais, à l'exclamation de Chambertier, elle
ne put garder l'illusion que celui-ci eût hésité seulement sur sa
personnalité. D'ailleurs, le gros homme ne la regarda pas deux fois et
s'enfuit au plus vite. Il était plus convaincu de l'innocence de sa
femme, ayant trouvé là Mme Mervil, que s'il avait tenu Gisèle sous clef
dans leur chambre nuptiale depuis le jour de leur mariage. Une liaison
entre Simone et M. d'Espayrac, le collaborateur de Mervil, voilà qui
était vraisemblable, naturel, il pouvait même dire fatal! Comment
n'avait-il pas deviné cela plus tôt! Ah! c'est que cette délicieuse
petite Mme Mervil, avec son visage de suave et immatérielle madone
échappée aux pinceaux des Primitifs, trompait divinement bien son
monde. Désormais, Chambertier ferait attention que sa chère Gisèle la
fréquentât de moins en moins.
 
Monsieur, criait d'Espayrac dans le corridor, si vous croyez que
vous aurez pu venir surprendre une femme chez moi et que vous ne m'en
rendrez pas raison, vous vous trompez. Je vous y forcerai parbleu bien!
Un monsieur si respectueux de la loi ne doit pas se permettre un duel
pour peu de chose, mais prenez seulement la peine de m'indiquer le
nombre de coups de pied au derrière qu'il faudra que je vous applique
pour vous y décider.
 
Monsieur, disait le commissaire, tout en filant, les épaules
arrondies, excusez... Je regrette... C'est un malentendu.
 
D'Espayrac les laissa, rentra comme on se sauve; il avait trop peur
de lui-même, tant il se sentait emporté par l'envie d'assommer
Chambertier. Ah! ce n'était pas pour Gisèle qu'il tremblait ainsi
de souffrance et de colère! Il n'y pensait plus, à Gisèle! Il avait
oublié qu'elle existait là-haut, blottie dans quelque armoire. Mais
une telle humiliation pour Simone!... Quand il l'avait vue, là, tout
à l'heure, dans cette chambre où il l'avait tant aimée, dans cette
chambre où il l'avait trahie, prendre sur elle, si simplement, la
honte de l'autre, et défaire ses cheveux blonds pour mieux avoir l'air
de la pécheresse,elle!... elle, la petite sainte, la petite âme à
peine vêtue de chair des vieux maîtres flamands, et, mieux encore, la
Parisienne affinée, aux fiertés si délicates,ah! il avait compris tout
ce que, dans son cœur à lui, elle avait laissé de passion nostalgique
et d'inexprimés regrets.
 
Il vint la retrouver, ne sachant toutefois que lui dire.

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