2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 33

justice de femme 33


Simone avait de nouveau tordu sur sa nuque l'écheveau de soie pâle
de ses cheveux; elle avait piqué par-dessus sa mignonne capote; elle
mettait ses gants.
 
Jean tomba à genoux devant elle, prit le bas de sa robe, en baisa le
bord.
 
Elle retira l'étoffe avec irritation, et fit un mouvement pour sortir.
Il voulut l'en empêcher, il balbutia quelque chose.
 
Et l'autre, là-haut?... dit-elle, avec un petit coup de tête d'un
indicible mépris. Vous l'oubliez?... Voyons, monsieur, laissez-moi
partir... La comédie est finie, je pense; vous n'avez pas d'autre rôle
à m'y donner.
 
Le cinglement des mots et de la voix fut tel que les yeux de Jean
battirent et se mouillèrent. Il sentit cette femme outrée, écœurée,
au delà de tout apaisement, de toute guérison, de tout pardon. Il
s'écarta, s'inclina d'un geste d'infini respect.
 
Simone passa devant lui comme devant une chose inerte, les prunelles
mortes, sans un salut.
 
Puis elle sortit de la maison, traversa le potager, franchit la
porte... la petite porte verte qu'elle connaissait si bien.
 
 
 
 
XVII
 
 
Paris s'amusa fort, quelques jours plus tard, du duel
d'Espayrac-Chambertier, surtout à cause des puériles et
invraisemblables prétextes qui furent mis en avant, alors que Gisèle
affichait presque sa liaison. Vraiment le mari jouait trop bien son
rôle en feignant d'ignorer qu'il se battait pour sa femme. On trouva
qu'il dépassait même les limites du ridicule permis à l'époux trompé,
lorsqu'il voulut donner à entendre, d'un air fin, «qu'il y avait une
femme là-dessous», une femme que M. d'Espayrac et lui étaient trop bons
gentilshommes pour compromettre en avouant la vraie cause du duel.
 
Du reste, les discours à double entente du brave Chambertier ne se
produisirent que lorsque, rassuré sur sa propre existence après
l'échange de deux balles sans résultat, il s'avisa de vouloir savourer
toute la gloire d'un combat singulier avec un adversaire tel que
d'Espayrac,un gaillard cité parmi les jeunes gens les plus élégants
et les meilleurs tireurs de Paris; dont les ancêtres figuraient dans
l'histoire et dont les cartons étaient exposés chez Gastinne-Renette!
Chambertier ne pouvait plus parler que de cela. Au cercle, dans
les salons, au théâtre, partout, il trouvait moyen de ramener la
conversation là-dessus, de raconter qu'au commandement des témoins, il
n'avait rien éprouvé, «rien, mon cher, qu'un petit picotement sous les
cheveux, vers le haut du front»; et qu'ensuite M. d'Espayrac et lui
s'étaient donné la main sur le terrain,ce qu'il trouvait tout à fait
Pré-aux-Clercs, mousquetaire et raffiné.
 
Jean d'Espayrac s'était, après coup, senti fort ridicule d'avoir
provoqué le mari de Gisèle, qu'il ne pouvait tuer sans assumer un assez
vilain rôle. Il avait donc eu soin de tirer trop haut, pour l'épargner.
Son exaspération fut extrême de voir que, malgré l'inoffensif résultat,
cette sotte affaire ne serait pas étouffée, mais donnerait longtemps
encore à rire à la galerie. Parfaitement résolu désormais à rompre avec
Mme Chambertier, il quitta Paris, s'en alla au Havre, étala un goût
nouveau pour le yachting, se fit construire un bateau, s'occupa d'une
façon très active de l'armement de ce petit vapeur.
 
Mais il avait compté sans la passion de sa maîtresse,passion très
réelle, que sa retraite surexcita. Gisèle n'était pas de ces femmes qui
se laissent quitter sans lutte, et qui se contentent de pleurer dans
la solitude. Elle, qui ne s'inquiétait guère de l'opinion, la brava
tout à fait quand elle se vit menacée de perdre son amant. Elle suivit
M. d'Espayrac. S'étant fait donner par son médecin une ordonnance qui
prescrivait l'air de la mer, elle vint s'établir à Frascati, après
avoir interdit à son mari de la suivre, sous prétexte que l'énervement
qu'il lui causait par sa présence contrarierait l'effet de la cure.
 
Chambertier, qui, tout en croyant à l'innocence de Gisèle, ne pouvait
plus croire à sa tendresse, ne s'affligea pas outre mesure de cette
nouvelle rigueur. Une idée triomphante lui était venue: celle de faire
la cour à Mme Mervil. Puisque cette petite femme était facile,car,
pour un homme, est facile toute femme qui se donne à un autre que
lui,pourquoi n'essaierait-il pas sa chance et ne réussirait-il pas
aussi bien que d'Espayrac? Elle l'avait toujours tenté, cette blonde
aux lèvres et au cœur si doux, aux pudeurs si fines. Et maintenant que,
sous cette suavité d'apparence, il la supposait perverse, elle le
tentait davantage.
 
Simone, qui, depuis la scène de Meudon, ne pensait plus à Gisèle que
comme à une amie du passé, morte à jamais dans son cœur, et qu'elle
voulait oublier pour ne pas en arriver envers elle à la répugnance
et au mépris, s'était refusée à la voir quand elle était venue, le
lendemain, rue Ampère. Alors Mme Chambertier lui avait écrit, pour
l'assurermais avec des termes prudemment ambigus, pouvant aussi bien
faire croire qu'elle remerciait Mme Mervil pour un patron de corsage ou
une adresse de manicurede son éternelle reconnaissance. Simone n'en
voulait pas, de sa reconnaissance. Et maintenant c'était le mari qui
venait; deux fois éconduit, il revenait encore!... Que voulait-il?
 
Elle pensa le faire recevoir par Mervil, quoique ce fût elle seule que
Chambertier demandât. Mais non... Impossible!... Oh! son Roger, son
cher, son cher grand artiste, dont maintenant cet imbécile pouvait
sourire! C'était cela qui restait si cuisant au cœur de Simone, plus
que sa propre humiliation à elle-même. Penser que ce noble créateur, ce
pensif et harmonieux génie, pouvait être pris en ironique pitié par ce
bourgeois épais, par ce remueur de gros sous!
 
Oh! comme Simone l'aimait à présent, son Roger! Plus encore que
jadis, dans le rêve et l'enthousiasme de ses seize ans. Non, ce
n'était peut-être pas cet amour qu'elle avait regretté dans sa loge,
à l'Opéra-Comique, le soir de _La Douleur d'Éros_: la misérable et
fragile étincelle, éternel enchantement, éternel égarement du cœur.
Mais c'était un sentiment plus élevé, plus vrai, plus fort. Car c'était
un sentiment auquel toutes les expériences, toutes les tristesses,
toutes les fautes, toutes les secrètes hontes même, avaient apporté
chacune leur grain de sable pour en faire un bloc de marbre. La Vie,
qui, de ses dures mains, détruit, brise et souille tant de choses, en
édifie et en cimente quelques-unes; et celles-ci, justement parce que
ses mains sont dures, n'en sont que mieux pétries et plus solides.
L'affection de Simone pour Roger était devenue une de ces choses
travaillées de cet âpre et profond travail, qui donne la résistance,
la valeur et la durée. Oh! comme elle se réfugiait, comme elle se
purifiait, comme elle se consolait et se relevait dans cet amour! Elle
n'en voulait plus à Roger lorsqu'il parlait «d'amitié conjugale».
Elle comprenait ce qu'il voulait dire. Lui l'aimait ainsi depuis
bien des années. Mais voilà, il était homme; il avait subi la vie
bien avant elle. Aurait-il dépendu de Simone d'arriver à cet unisson
sans avoir traversé de son côté ses coupables épreuves? Certaines
âmes n'acquièrent-elles toute leur valeur qu'après avoir failli?...
Quelqu'un, dans l'univers, pourrait-il répondre? Est-il quelque part
un être qui connaisse l'homme?cet être qui s'en va dans l'infini en ne
se connaissant pas.
 
* * * * *
 
Édouard Chambertier, qui ne s'interrogeait pas beaucoup, lui, sur ce
qu'il éprouvait, suivait sans l'analyser le désir qui le ramenait rue
Ampère. Il s'y présenta si obstinément que Simone, pour ne pas éveiller
l'étonnement de son mari et des domestiques, finit par le recevoir. Il
ne crut pas devoir amener sa déclaration par de longs préambules.
 
Vous savez bien, dit-il à Mme Mervil, que je vous ai toujours aimée.
Je vous disais: «Ah! si nous nous étions rencontrés plus tôt!...»
Et là-bas, dans le Midi... Vous rappelez-vous cette promenade à la
presqu'île de Giens? Dieu! que vous étiez jolie ce jour-là! Je touchais
votre petit pied dans la voiture...
 
Simone le laissait aller,pour voir,prise de la curiosité mêlée de
dégoût avec laquelle on épie, à distance, les mouvements de quelque
animal répulsif.
 
Ah! continua-t-il, si vous m'aviez fait l'honneur de me choisir, vous
auriez eu en moi un ami discret et sûr; plus discret, plus sûr que ces
jeunes gens...
 
Mais, monsieur Chambertier, interrompit Simoneet ses yeux clairs de
blonde avaient leur limpidité la plus froide,Gisèle?... Je croyais
que vous aimiez Gisèle?...
 
Si je l'aime? s'écria le gros homme. Mais voyons... Allons donc! ma
petite Simone...
 
Elle eut un tel soubresaut qu'il se reprit:
 
Pardon... je voulais dire: chère madame... Si je l'aime?... Entre
nous, voyons, nous n'en sommes plus à nous faire des questions de cette
naïveté, à mêler des choses si différentes.
 
Enfin, l'aimez-vous?
 
Vous le savez bien. Je l'adore. Pourquoi me demandez-vous cela?
 
Parce que vous dites que vous m'aimez.
 
Cela n'a pas de rapport... Ne faites donc pas l'enfant.
 
«Grands dieux!» pensa Simone, «voilà donc jusqu'où peut aller la
grossièreté de ce qu'on appelle un bourgeois _comme il faut!_ Voilà ce
que je suis réduite à entendre! Et, pour sauver sa femme, je me suis
ôté le droit de lui dire combien je le méprise!»
 
Elle reprit tout haut, en se levant:
 
Monsieur Chambertier, c'est assez, n'est-ce pas? Faites-moi le plaisir
de sortir. Et ne vous dérangez plus pour venir nous voir. Nous partons
cette semaine pour la campagne, où nous resterons six mois, comme
l'année dernière.
 
Le gros homme devint blême.
 
Mon Dieu! dit-il, madame!...
 
Il allait peut-être proférer une lâcheté, comme: «Vous ne montrez pas
toujours autant de dignité.»
 
Mais elle vit trembler sa lèvre. Elle sonna. Un domestique parut.
 
La voiture est-elle là? demanda-t-elle; et elle ajouta pour garder
entre eux le valet:Attendez, relevez ce store... On ne voit pas clair
ici.
 
Puis, se dirigeant elle-même vers la porte, si bien que Chambertier dut
la suivre:
 
Ainsi donc, cher monsieur, au revoir, à l'hiver prochain. Mes amitiés à Gisèle quand vous lui écrirez, n'est-ce pas?

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