2016년 4월 1일 금요일

justice de femme 34

justice de femme 34



Dans la maison de campagne de Conflans-Sainte-Honorine, l'été de
songeuse paresse, d'intimité attendrie, de calme vie profonde,
recommença pour Simone Mervil. Sa fille Paulette, moins gamine
qu'autrefois, ne montait plus à cru sur le poney, mais, au contraire,
prenait les langueurs, les rêveries, les airs de gravité des précoces
fillettes de dix ans. Elle en devenait plus inquiétante, en même temps
que plus charmante, cette petite, par le mystère de ses beaux yeux,
déjà presque féminins, et par les poses fléchies de son corps si fin,
trop vite allongé, aux formes graciles et indécises. Le petit Hugues,
lui, déjà se traînait à quatre pattes sur un tapis dont on couvrait
l'herbe trop fraîche d'un coin de pelouse, et d'où il s'évadait
constamment pour cueillir des pâquerettes. Et, presque toujours,
par quelque fenêtre ouverte, les mélodies de Mervil s'échappaient,
s'envolaient avec une douceur lointaine, puis s'effaçaient dans
l'espace, au-dessus des parterres ensoleillés, au-dessus des
marronniers lourds, dans le bleu délicat du ciel.
 
Un jour, vers la fin du mois d'août, le compositeur reçut un télégramme
qui lui causa une surprise et une émotion violentes. Quand il le lut,
sa femme n'était pas auprès de lui, de sorte qu'elle ne le vit point
sursauter et pâlir. Il dut craindre qu'elle ne pût connaître le contenu
exact de cette dépêche, car il brûla le petit papier bleu avant de
descendre en parler à Simone. La jeune femme se tenait dans le parc,
avec les enfants. Roger l'emmena à quelque distance, loin de l'oreille
curieuse, aiguisée, de Paulette, puis il lui dit:
 
D'Espayrac m'appelle au Havre. Il est arrivé un accident à Mme
Chambertier.
 
A Gisèle!... Un accident?...
 
Oui, assez grave.
 
Mais quoi donc?
 
La dépêche ne dit pas au juste. C'était en mer.
 
Mais qu'y peux-tu? Pourquoi d'Espayrac t'appelle-t-il?
 
Je n'en sais rien. Je suppose que le pauvre garçon doit être dans une
situation très ennuyeuse. L'accident est peut-être arrivé avec son
yacht, et le mari n'y étant pas...
 
Qu'y peux-tu? répéta Simoneirritée de voir qu'elle n'en finirait pas
avec cette triste histoire, et qu'après elle c'était Roger qu'on y
mêlait.
 
Dame, tu sais, Jean n'a pas d'ami plus sûr ni plus intime que moi.
J'ignore en quoi je pourrai lui être utile. Mais il me demande au plus
tôt. Cela suffit, j'irai. Fais préparer ma valise, ma petite Simone. Je
vais consulter l'indicateur, voir à quelle heure je dois être à Paris
pour prendre l'express de ce soir.
 
Mervil resta absent deux jours, pendant lesquels il ne fit parvenir
à sa femme que des télégrammes et des lettres vagues, d'où celle-ci
conclut cependant que la vie de Gisèle devait être sérieusement en
danger. Le compositeur employait les plus fortes recommandations
pour empêcher Simone de venir au Havre: car, ne se doutant point du
refroidissement qu'avait subi cette amitié féminine, il craignait
que l'inquiétude n'amenât tout à coup sa femme au beau milieu de
circonstances où il ne lui convenait point qu'elle se trouvât. Il la
croyait même encore tellement aveugle et folle de tendresse pour sa
Gisèle, qu'il n'osait lui écrire la vérité. Cette vérité, il ne la lui
apprit qu'à son retour, et encore avec les plus grandes précautions.
Toutefois, quelques circonlocutions qu'il mît en usage, il fallut bien
en arriver à la phrase catégorique, à la brutalité du fait,de ce fait
qu'il avait appris tout de suite par le télégramme de Jean d'Espayrac.
Il fallut bien, à un moment donné, dire à Simone:
 
Gisèle est morte.
 
Morte!... Comment cela se pouvait-il? Cette créature si jeune, si
ardemment vivante, si belle!... Morte!... Jamais Simone n'aurait pu
croire qu'elle en éprouverait un tel choc de douleur. Morte, sa Gisèle!
Ah! maintenant elle lui pardonnait tout... Et sa propre humiliation, à
elle-même, et les vilaines intrigues.Mon Dieu! ses folies avaient bien
leur excuse: son mari, ce pauvre Chambertier, était d'une si navrante
bêtise, d'une si exaspérante platitude!Morte!... Simone la revoyait
comme la dernière, la toute dernière fois, dans le corridor de cette
maison de Meudon, affolée, échevelée, lui criant: «Sauve-moi!...» avec
les longues mèches de ses cheveux superbes s'accrochant aux broderies
métalliques et à la ceinture pailletée de son peignoir oriental. Puis,
le souvenir bondissant par-dessus les jours, elle la revoyait encore
sur la petite place du village de Giens, choisissant des oursins dans
le panier du pêcheur, et les mangeant ensuite, rieuse et debout dans le
pan d'ombre de la petite maison aux lignes sèches, découpées sur le
bleu violent du ciel, avec un arôme de mer dans l'air tranquille, et,
tout autour, une sensation de chaleur et d'espace.
 
Simone pleurait. Mais, tandis qu'elle croyait pleurer seulement sur
Gisèle, quelque chose en elle, au plus profond de son être, pleurait
sur elle-mêmeet elle ne s'en doutait pas.
 
Enfin, elle dit à Roger:
 
Oh! que je sache comment elle est morte. Dis-moi tout... tout... Je
serai très calme, j'aurai de la force.
 
Tu veux tout savoir?
 
Oui, tout.
 
C'est bien triste, ma Simone. Tu regretteras peut-être d'avoir exigé
cela. Je serai obligé de te dire sur ton amie des choses que tu
aimerais mieux ne pas connaître...Il baissa la voix.... Des choses
que tu aimerais mieux ne pas m'entendre te dire.
 
Simone fit un geste d'insistance pour qu'il parlât. Mervil reprit, se
défendant encore:
 
Tu sais bien que tu t'es fâchée contre moi, le jour de la naissance
de Hugues, parce que je disais que Gisèle... Enfin tu ne voulais pas
croire...
 
Oh! s'écria Simone, tu l'accusais avec tant de légèreté, d'ironie!
Mais va, maintenant... Je sais que tu n'ajouteras pas de commentaires
cruels. Quoi qu'on dise des morts, on ne peut le dire qu'avec respect.
 
Alors Mervil raconta touttout ce que Jean d'Espayrac, dans la
tristesse et presque dans le remords de cette fin subite, lui avait
révélé. D'abord, il avouait à son ami, le pauvre Jean, qu'il avait aimé
Gisèle, mais que, depuis quelque temps, non seulement il ne l'aimait
plus, mais encore il l'avait presque prise en grippe, et que cette
liaison lui était devenue intolérable.
 
Prise en grippe?... répéta Simone avec surprise.
 
Oui. Elle lui avait causé des ennuis sans nombre... Ce duel ridicule
avec le mari... Et pire que cela: j'ai cru comprendre qu'elle avait
attiré quelque chagrin, quelque grosse humiliation à une personne que
Jean respecte, adore... d'une adoration peut-être sans espoir.
 
M. d'Espayrac t'a dit cela?
 
A peu près. Tu comprends que je n'ai pas insisté.
 
Continue... dit Simone après un court silence.
 
Et Mervil continua. Jean allait au Havre pour se séparer de Gisèle.
Elle l'y suivait. Il faisait construire un yacht pour visiter cet hiver
les côtes de la Méditerranée. Elle prétendait s'embarquer avec lui.
Quand il lui représentait le scandale, elle déclarait s'en moquer. Elle
ne pouvait plus vivre avec son mari; elle interdisait à Chambertier
de la rejoindre au Havre; jamais elle ne reprendrait l'existence
commune: plutôt mourir. Elle avait, paraît-il, fait tout au monde pour
convaincre cet aveugle mari de son malheur conjugal; il n'y voulait pas
croire. Puisqu'elle ne pourrait obtenir un divorce convenable qui lui
permît d'épouser Jean, eh bien, elle vivrait avec lui sans l'épouser,
voilà tout.
 
L'épouser?... interrompit Simone. Est-ce que, vraiment, M. d'Espayrac
l'aurait épousée, si elle se fût rendue libre?
 
Roger Mervil hocha la tête et leva les yeux au ciel avec une __EXPRESSION__
de physionomie qui peignait le comble de la misère terrestre,d'où
Simone conclut que tel était le jour peu favorable sous lequel
d'Espayrac envisageait la perspective d'un mariage avec Gisèle.
 
Oh! Roger, dit-elle, comment peux-tu faire des grimaces en parlant de
ma pauvre amie!...
 
Mervil qui, au fond, n'avait jamais eu pour Gisèle qu'une antipathie
profonde, rappela aussitôt sur son maigre et expressif visage un air de
circonstance, et continua son récit.
 
Entre d'Espayrac et Mme Chambertier, reprit-il, les rapports étaient
devenus fort peu tendres. Elle l'excédait; et comme, en dépit des
politesses de Jean, elle commençait à s'en apercevoir, elle s'en
prenait à lui. Elle lui faisait des scènes violentes. D'ailleurs,
c'est dans l'ordre des choses. Un bandit de grand chemin a plus de
chances d'être bien traité par une femme qu'un amant qui fait mine de
se refroidir.
 
Roger, pas de réflexions sceptiques, je t'en prie.
 
Le bateau de Jean était construit, fini, depuis quelque temps. Il
voulait le mettre à l'essai par un petit voyage en Angleterre et en
Écosse. Mais pas moyen de partir. Emmener Gisèle,il ne le voulait à
aucun prix. Laisser Gisèle,il ne s'y déciderait pas sans tâcher de la
décider elle-même à rester. Or la pauvre femme le menaçait de toutes
les violences. Jean n'avait pas peur qu'elle les exécutât, mais il est
bon. Il ne saurait mal agir avec une femme, surtout une femme dont le
plus grand tort est de l'aimer. Il devenait donc une façon d'_Adolphe_,
tout aussi malheureux et tout aussi embarrassé que l'autre. Mais un
beau soir, après une discussion plus décisive et plus pénible que
toutes les autres, voilà Gisèle qui se soumet. Puisqu'il veut qu'elle
le quitte, elle le quittera. Ne voit-elle pas que tout est fini? Jean
proteste que non, qu'il l'aime toujours, d'autant plus sincèrement
qu'il la voyait s'assouplir avec une grâce très soudaine et très
touchante. Elle secouait la tête: «Non, non... J'ai lutté tant que j'ai
pu... Mais c'est fini... Tout est fini.» D'Espayrac pensa que c'était
peut-être une feinte ou une boutade... Mais pas du tout. Le lendemain,
le surlendemain, ce fut la même chose. Elle ne montrait plus que de
la résignation, un peu de tristesse et beaucoup de fierté. Jamais il
ne l'avait vue plus femme, plus séduisante, plus mélancoliquement
jolie. Mais comme il ne voulait pas se laisser reconquérir par tout
cela, il profitait de sa liberté recouvrée; il hâtait ses préparatifs
de départ. Le jour vint où il fallut se dire adieu; ils dînèrent
ensemble, à bord du yacht. C'était une dernière fantaisie de Gisèle,
si doucement demandée que Jean n'avait pas eu la force de dire non.
«Comme cela,» répétait-elle en regardant vers le large, «je me figure
que nous sommes partis ensemble, que nous sommes loin de la terre, loin
du monde, tous deux seuls, pour toujours...» D'Espayrac avait le cœur
un peu serré. Il la ramena chez elle, à Frascati, dans l'appartement
qu'elle y avait.«Vous allez coucher à bord?» demanda-t-elle. Il lui
répondit que non, qu'il rentrait chez lui, dans la ville, mais qu'il
embarquait le lendemain à la première heure. Elle lui dit adieu avec
beaucoup de calme. «Plus de calme,» m'a dit Jean, «que je n'en avais
moi-même.» Le lendemain matin, d'Espayrac arrive à son bateau en même
temps que son capitaine, qui, également, avait dormi à terre. Ils
trouvèrent le maître d'équipage fort embarrassé. L'homme avait quelque
chose à dire, et ne pouvait s'y décider. Enfin il avoua que la jeune
dame qui avait dîné hier lui avait offert, pour lui et ses matelots,
une très forte somme s'il la laissait seulement passer la nuit à bord.

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