2016년 1월 18일 월요일

Armand de Pontmartin 2

Armand de Pontmartin 2



Faisant contre fortune bon cœur, les pauvres émigrés avaient organisé
chez le comte Vincent Potocki, au château de Kovalovka, une troupe de
comédie et d’opéra-comique; on jouait _Nina ou la Folle par amour_,
_Zémire et Azor_, _le Déserteur_, _Richard Cœur de Lion_. On jouait
aussi les pièces d’un membre de la colonie, l’abbé Chalenton. Lorsque
Armand de Pontmartin arriva à Paris, en octobre 1823, pour faire ses
classes, l’abbé Chalenton vivait encore. Il venait voir souvent les
Pontmartin, et il déclara un jour que notre collégien aurait des prix
de mémoire, parce que celui-ci venait de lui réciter toute une tirade
de sa comédie de _Monsieur de Porcalaise_ ou _le Gourmand_, composée
tout exprès pour être représentée sur le théâtre de Kovalovka. Il y en
avait trois comme celle-là, et l’abbé les avait recueillies dans un
volume, sous ce pseudonyme: _Par un nouveau Sarmate_.
 
Une voisine de Kovalovka, la comtesse Moczinska, très riche, mais
d’une noblesse inférieure à celle des Potocki, avait offert la plus
généreuse hospitalité à M. de Pontmartin et à ses deux fils. Un jour,
le voyant découragé par les lenteurs des années d’exil, elle lui dit:
«Vous retournerez en France; vous rentrerez dans votre maison; moi,
j’irai vous faire une visite, et vous demander l’hospitalité que je
suis si heureuse de vous offrir.» Son âge et l’état de l’Europe et
de la France, à la veille du 18 Brumaire, rendaient sa prédiction
bien invraisemblable. Pourtant, elle arriva, fidèle à sa promesse, en
avril 1803, avec une suite nombreuse où figurait un jeune médecin,
qui fut plus tard le célèbre docteur Double[5], membre de l’Académie
des sciences, père de Léopold Double, le fameux collectionneur, et
beau-père du non moins fameux Libri, qui collectionnait, lui aussi, à
sa façon.
 
Chez la comtesse Moczinska, M. de Pontmartin fit connaissance avec
Souvarow, qui lui offrit un grade de général dans l’armée russe:
il opposa à toutes les instances qui lui furent faites un refus
inébranlable.
 
En 1801, il rentra en France, mais il ne voulut pas quitter l’Ukraine
avant d’avoir épousé la compagne de son émigration, la seconde mère de
ses enfants. Ce mariage fut célébré à Tulczin, le 17 mars 1801, sur une
permission accordée en latin et en polonais par l’évêque de Kaminiec.
 
On retrouva la propriété des Angles intacte; c’était un bien
de mineurs, et ces mineurs n’avaient pas été considérés comme
volontairement émigrés. Même la belle allée de marronniers, qui devait
presque jouer un rôle dans la vie littéraire de l’auteur des _Samedis_,
avait été sauvée par le dévouement d’un fermier. M. de Pontmartin
envoya alors ses fils à Paris pour y compléter des études que tant de
déplacements et de hasards avaient dû singulièrement contrarier. Il
mourut aux Angles le 3 août 1806. Sa veuve, qui lui survécut jusqu’en
1824, eut le temps de connaître et de combler de gâteries maternelles
cet Armand qu’elle considérait comme son petit-fils et qui, au terme de
sa vie, parlait encore avec une tendre reconnaissance de celle que ses
parents et lui n’avaient jamais appelée que _Tatan-Bonne_.
 
 
III
 
Des deux fils de l’ancien émigré, l’aîné ne se maria point; il ne
devait être, toute sa vie, que l’_oncle Joseph_. Très bel enfant en
naissant, il éprouva pendant les jours de trouble qui suivirent la mort
de sa mère un accident qui le rendit contrefait. L’oncle Joseph était
donc bossu et d’une santé excessivement délicate. Mais ni cette épreuve
ni toutes celles qu’il subit pendant l’émigration n’avaient altéré son
humeur. Personne n’eut plus d’entrain, plus de bonne grâce dans les
relations mondaines, une plus souriante bonté. Il avait cédé tous les
droits du chef de famille à son frère, dont il ne se sépara d’ailleurs
jamais. Quand il eut un neveu, on peut deviner de quelle affection il
l’entoura et avec quel soin il s’occupa de son éducation: il fut son
premier maître, l’initia au latin et au grec, et aussi à la chasse et
au dessin, ses deux passions. L’oncle Joseph avait fait ses études à
bâtons rompus, mais il avait conservé le goût des humanités; il s’y
remit avec ardeur quand vinrent les années de collège d’Armand; bref,
quand l’oncle et le neveu se trouvaient, par hasard, éloignés l’un de
l’autre durant quelques semaines, ils s’écrivaient presque chaque jour,
mais leur correspondance ne s’échangeait qu’en vers latins! Humaniste
émérite, botaniste distingué, M. Joseph de Pontmartin était, en outre,
un paysagiste de talent, et la peinture était, avec l’éducation de
son neveu, la principale occupation de sa vie. Les vues prises par
lui d’après nature dans ses promenades et ses voyages forment un
album d’aquarelles et de sépias, qui sont, non d’un simple amateur,
mais d’un véritable artiste. A l’huile, il pratiqua malheureusement
un genre aujourd’hui démodé, le _paysage composé_: Corot n’était pas
encore venu! Néanmoins, le genre une fois admis, on trouve à ces petits
tableaux de sérieuses qualités. Leur auteur savait son métier. S’il lui
avait pris fantaisie, aux environs de 1825, d’envoyer ses paysages au
Salon de peinture, ils n’auraient pas fait trop mauvaise figure à côté
des toiles de Bidault et de Jean-Victor Bertin. L’oncle Joseph eut le
chagrin de survivre à son frère; il mourut à Paris, où il avait suivi
sa belle-sœur et son neveu, le 13 janvier 1832, le lendemain du jour où
il avait eu cinquante ans.
 
Son frère, Castor-Louis-Eugène, qui le suivit d’un an dans la vie et
le précéda d’un an dans la mort, avait hérité de la haute taille et de
la belle figure de leur père. Il avait tout près de six pieds, et son
fils, si grand pourtant, paraissait petit à côté de lui. Eugène avait
la plupart des goûts et des aptitudes de l’oncle Joseph, sauf qu’il
négligeait l’aquarelle et le paysage composé pour se livrer à l’étude
de la philosophie. Comme lui, il s’occupa avec un intérêt passionné des
études classiques de son cher Armand; mais il n’avait pas le caractère
enjoué de son frère. Malgré une bonté et une douceur sans bornes,
il eut toujours quelque chose de mélancolique, comme s’il eût prévu
qu’il était destiné à mourir à quarante-huit ans, de celle de toutes
les maladies qui porte le plus à la tristesse, un cancer à l’estomac.
Sa piété était austère, avec peut-être une nuance de jansénisme
inconscient. Il n’allait au théâtre que pour voir de loin en loin jouer
une tragédie. Une seule fois, il y alla pour une comédie, l’_École
des Vieillards_[6], de Casimir Delavigne, et encore savait-il qu’il y
retrouverait Talma. Si plus tard il lui arriva de se relâcher de cette
rigueur, c’était afin d’accompagner, pour le récompenser de ses succès,
son fils qui a toujours été un peu réfractaire à la tragédie. De tous
ceux que j’ai nommés ou nommerai dans ces pages, celui-là était sans
doute le meilleur, et je n’oublierai jamais avec quelle affectueuse
vénération son fils parlait de lui.
 
En décembre 1807, à vingt-quatre ans, il épousa à Montpellier
Émilie de Cambis, qui avait vingt ans. La famille de Cambis, venue
de Florence au XV^e siècle, tenait le premier rang à Avignon, soit
par les fonctions qu’elle y exerçait au nom du Pape, soit par sa
popularité presque égale à celle des Crillon, soit par tous les
serviteurs distingués qu’elle avait donnés à la France, en vertu du
privilège de _régnicoles_ accordé par François I^{er} aux habitants
d’Avignon et du Comtat. Ce mariage présentait, au point de vue des
idées aristocratiques, une certaine disproportion; mais la belle mine,
la vertu et la fortune relative du marié équivalaient à un supplément
de parchemins; d’ailleurs, au lendemain de la Révolution et de ses
ruines, on devait se montrer moins exigeant qu’on ne l’eût été vingt
ans plus tôt. M^{lle} de Cambis était petite, avec de gros traits, un
teint bilieux qui lui était commun avec son frère, le futur pair de
France; mais, par ses qualités morales, sa haute intelligence, son
instruction, c’était une femme supérieure. Quelles que fussent les
charmantes qualités d’esprit de son mari et de son beau-frère, comme
on le voit presque toujours quand on étudie les origines des hommes de
talent, c’est de sa mère qu’Armand de Pontmartin tenait ses brillantes
facultés comme les traits de son visage; de son père il n’avait gardé
que la haute taille.
 
Émilie de Cambis avait, comme son mari, passé par bien des épreuves.
Née à Avignon, elle avait été emmenée à Chartres par son père, Henri de
Cambis d’Orsan, marquis de Lagnes, colonel de dragons, qui fuyait les
excès de la Révolution. A Chartres, il fut mis en prison et y mourut le
5 janvier 1793; le procès du Roi et la perspective du sort réservé à
l’auguste victime lui avaient porté un coup dont il ne put se relever.
Sa veuve, Augustine de Grave, se retira alors à Montpellier, son pays
natal, avec ses trois enfants, Henriette, Auguste et Émilie, qui,
admirablement doués tous les trois, firent ensemble et presque sans
maîtres des études exceptionnellement approfondies. M^{me} de Cambis
avait deux frères: l’aîné, le marquis de Grave, capitaine au régiment
d’Hervilly, fut tué à Quiberon le 21 juillet 1795; le second, le
chevalier de Grave, plus tard marquis, fut pendant quelques semaines,
du 10 mars au 8 mai 1792, ministre de la Guerre du roi Louis XVI.
Décrété d’accusation le 27 août 1792, il se réfugia en Angleterre,
d’où il ne revint qu’en 1804. Louis XVIII le nomma pair de France
le 17 août 1815. Il mourut sans enfants le 16 janvier 1823[7]. Son
frère avait laissé une fille, qui épousa sous l’Empire le marquis de
Guerry, Vendéen de race et de sentiments, et qui ne tarda pas à devenir
veuve, son mari ayant été tué lors de la prise d’armes de 1815. Ce
beau-père fusillé à Quiberon, ce gendre tué au combat des Mathes, il
me semble bien les avoir déjà rencontrés quelque part. Ajoutez-y par
l’imagination une troisième génération qui sera la dernière, un autre
Vendéen mourant, lui aussi, pour le Roi, à la Pénissière, en 1832, et
vous avez les _Trois Veuves_[8], une des premières et l’une des plus
remarquables nouvelles d’Armand de Pontmartin. J’ai toujours pensé que
ce petit récit était né du souvenir des morts héroïques qui avaient
voué M^{me} de Guerry à un deuil éternel. Cette tragique histoire d’une
cousine germaine de sa mère, contée souvent à la veillée, avait dû lui
causer une ineffaçable impression[9].
 
M^{me} de Cambis, revenue à Montpellier, comme je l’ai dit, après
avoir perdu son mari, vécut dans cette ville jusqu’à sa mort, en
1821. Armand, dans ses jeunes années, fut souvent conduit en visite
chez cette vénérable et très vénérée aïeule. L’aînée de ses filles,
Henriette, une sainte, avait épousé, en 1798, un Cambis d’une autre
branche, habitant les Cévennes; elle eut cinq enfants, cousins germains
et amis d’enfance de Pontmartin. Tous l’ont précédée dans la tombe;
le dernier disparu est l’abbé Adalbert de Cambis, longtemps premier
vicaire de Saint-Sulpice, mort en 1879.
 
 
IV
 
Jamais ménage ne fut plus uni que celui de M. et de M^{me} Eugène de
Pontmartin; ils avaient les mêmes goûts, les mêmes sentiments, les
mêmes vertus austères. M^{me} de Pontmartin n’alla jamais au théâtre.
Elle lisait et relisait sans cesse les grands écrivains religieux du
XVII^e siècle, Bossuet, Bourdaloue, Massillon. Elle a aimé ardemment
son fils, l’a trop gâté peut-être. Entre eux, l

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