2016년 1월 18일 월요일

Armand de Pontmartin 5

Armand de Pontmartin 5


Adsit, et insultet patriis jam mœnibus hostis
Barbarus; ingenuâ se jactet servus in urbe.
Vos tamen, o cives, nunquam cognata relinquet
Libertas, inter bellique fugæque labores,
Vobis libertas vultu arridebit amico...
Tuque, novo splendore nitens rediviva resurge.
O dilecta Diis! ô patria[33]!..._
 
 
IV
 
Rien n’égalait pour Pontmartin la douceur de ces souvenirs d’enfance
et de jeunesse. Le collège n’avait point été pour lui un exil et
une prison. Les conseils affectueux et le sourire de son père, les
encouragements de l’oncle Joseph, les baisers de sa mère, ne lui
avaient pas manqué un seul jour. De sa fenêtre, quand il interrompait
un moment son travail, au lieu d’un noir et lugubre préau, il voyait
le jardin du Luxembourg; il apercevait les palombes perchées sur les
hautes branches des platanes, des hêtres et des tilleuls, le grand
carré où des étudiants et des rapins jouaient à la paume, se servant
de leurs mains en guise de raquettes. Pour se rendre au collège, il
lui fallait suivre dans toute sa longueur l’allée qui passe devant la
façade du palais et conduit à la grille, voisine de l’Odéon; il s’y
croisait parfois avec des hommes célèbres qui auraient bien troqué
leur renommée contre ses quinze ans s’il eût voulu les leur céder:
Cambacérès, le docteur Portal, François Arago, M. de Sémonville,
le grand référendaire, et le chancelier, M. Dambray. Dans la belle
saison, il avait presque tous les jours la bonne fortune de pouvoir
s’incliner discrètement devant un petit homme à la chevelure grise,
mais à la tournure encore jeune, invariablement vêtu du même costume:
chapeau gris, gilet blanc, redingote bleu de roi, pantalon de nankin,
guêtres blanches, et, à la main, une petite badine en ébène. Il ne
se lassait pas d’admirer sa figure longue, un peu osseuse et pâle,
son front d’une ampleur olympienne, ses yeux de génie. C’était
Chateaubriand, qui s’acheminait d’un pas leste de la rue d’Enfer
à l’Abbaye-au-Bois. Plus régulièrement encore, il rencontrait, le
matin, un autre jeune vieillard, d’une tenue fort correcte, d’une
physionomie spirituelle, appuyé sur une canne à pomme d’or et un
livre sous le bras, qui ne manquait jamais de lui faire un petit
signe d’amitié. C’était son voisin, le comte Joseph Boulay de la
Meurthe[34], propriétaire d’un très bel hôtel entre cour et jardin,
situé au coin de la rue du Pot-de-Fer et de la rue de Vaugirard,
en face du n^o 37. Notre collégien cependant continuait sa route;
mais avant d’entrer en classe, il s’arrêtait chez le pâtissier de la
rue des Francs-Bourgeois-Saint-Michel, qui se nommait Bussonier, et
qu’il appelait Buissonière, parce qu’on y faisait l’école de ce nom,
Pontmartin a fait depuis de meilleurs calembours, il en a fait de pires.
 
Il lui arrivait souvent, les jours de congé, de passer la soirée chez
son oncle, le marquis de Cambis[35], qui occupait le premier étage
de l’hôtel Boulay de la Meurthe. M. de Cambis donnait d’excellents
dîners et avait un salon politique, dont les principaux habitués
étaient M. Lainé, l’éloquent orateur; le vicomte de Bonald; le comte
Armand de Saint-Priest, père du spirituel académicien qui remplaça
du même coup, en 1849, Ballanche et Jean Vatout; M. Renouvier[36],
député de l’Hérault; M. Delalot, député de la Marne, un fin lettré,
longtemps rédacteur du _Journal des Débats_. Les lettrés, du reste,
n’étaient pas rares, en ce temps-là, sur les bancs de la Chambre. M.
de Cambis, qui allait être bientôt député de Vaucluse, puis pair de
France, était lui-même un helléniste distingué. Dans sa jeunesse, en
collaboration avec son ami M. Renouvier, il avait publié une traduction
de l’_Iliade_, très neuve et en avance sur son temps de plus d’un
demi-siècle. Mise au jour en 1810, elle n’avait pas réussi, parce
qu’elle était trop littérale, trop homérique, et que les contemporains
de Luce de Lancival, de Bitaubé et d’Esménard ne pouvaient pas
décemment supporter que l’on appelât Minerve _la déesse aux yeux de
génisse_. Cet oncle de Pontmartin était du reste une encyclopédie
vivante. Il connaissait bien les littératures italienne et anglaise,
s’intéressait aux sciences, avait même étudié la théologie. Mais ce
qu’il possédait le mieux, c’était la littérature française du XVII^e
siècle. Il savait par cœur plusieurs tragédies entières de Corneille
et de Racine, les _Oraisons funèbres_ de Bossuet, les _Caractères_ de
La Bruyère. Malgré sa tendance au scepticisme, il mettait au-dessus de
tout l’_Histoire des variations des Églises protestantes_, de Bossuet,
et y trouvait encore plus d’esprit que dans Voltaire, qui ne laissait
pas pourtant de lui être cher.
 
M. de Pontmartin conduisait aussi quelquefois son fils chez son ami le
docteur Double. Le salon de M. Double, 19, rue des Petits-Augustins,
ressemblait à une succursale ou à un vestibule de l’Institut.
André-Marie Ampère, Arago, Poisson, Gay-Lussac, Mathieu, Biot, Thénard,
Alibert, Récamier s’y rencontraient avec Paul Delaroche, Pradier, Ary
Scheffer, Guizot et Villemain. La conversation, la vue seule de ces
savants, de ces artistes, de ces écrivains, n’était-elle pas pour le
jeune collégien la plus éloquente des leçons, la mieux faite pour lui
inspirer le goût du travail, la passion de l’étude?
 
Quand il avait été premier trois fois de suite, son père le menait
voir _Iphigénie en Aulide_, jouée par M^{lle} Duchesnois, ou entendre
la _Dame Blanche_ chantée par Ponchard et par M^{me} Rigaut-Palar.
A la fin de février 1829, il était en philosophie, et, déjà, malgré
les explications de son professeur, il commençait à trouver, comme M.
Jourdain, qu’il y avait là _beaucoup de tintamarre et de brouillamini_.
Cela ne l’empêchait pas d’être encore premier à l’occasion. Un jour,
à la suite d’un _coup double_ en dissertation latine et française, on
lui promit pour récompense une _demi-soirée_ à l’Opéra. Il sortirait
du théâtre avant le ballet, de peur que les pirouettes et les ronds
de jambes de M^{mes} Legallois, Noblet et Montessu ne fissent une
trop dangereuse concurrence à Descartes et à Condillac; mais il
entendrait d’un bout à l’autre le _Comte Ory_, qui était alors dans
toute la fraîcheur de son succès et qui ne durait que deux heures.
Ces deux heures furent pour lui un véritable enchantement. Le
chef-d’œuvre de Rossini était chanté par Adolphe Nourrit, Levasseur,
Dabadie, Alexis Dupont, M^{me} Damoreau, M^{lle} Iawureck. Nourrit
surtout y était la perfection même. Le jeune philosophe était sous
le charme. Le lendemain, quand le digne M. Valette lui demanda son
opinion sur l’Ontologie, il fut sur le point de répondre: _Une dame
de haut parage_. Quand M. Valette voulut savoir ce qu’il pensait de
l’association des idées, peu s’en fallut qu’il ne répliquât: _A la
faveur de cette nuit obscure_...
 
Le _Comte Ory_ s’était décidément emparé de ses souvenirs, de ses
songes, de sa mémoire... Il le savait par cœur; il en fredonnait
les principaux airs en traversant la grande allée du Luxembourg, et
lorsqu’il franchissait la petite porte de la rue Monsieur-le-Prince, il
répétait _mezza voce_ le chœur du second acte: _En ce séjour chaste et
tranquille!_ Qu’il dût devenir un critique célèbre, il ne s’en doutait
guère, à coup sûr; mais ce qu’il savait bien déjà, c’est qu’il serait
certainement un _mélomane_!
 
Malgré le charme qui ramenait si souvent le _vieux critique_ et le
vieux _mélomane_ à ces heureuses et lointaines années, le plus vivant
de ses souvenirs de jeunesse était celui qui lui était resté de ses
camarades de collège.
 
Saint-Louis, en ce moment, passait pour un aristocrate, plus
distingué, mieux surveillé, mieux élevé, mieux vêtu, mieux chaussé
que Louis-le-Grand et Henri IV, Charlemagne et Bourbon. Dans la
cour et dans les classes retentissaient les noms d’Ugolin du Cayla,
de Louis d’Eckmühl, de Guy de la Tour du Pin, de Pierre de Brézé
(le futur évêque de Moulins), de Raymond de Monteynard, d’Henri de
Cambis, de Charles de la Bouillerie, d’Emmanuel d’Alzon, d’Adrien
Delahante, d’Hector de La Ferrière, de Léon de Bernis, de Féodor de
Torcy, etc., etc. Entre ces fils de grands seigneurs et les élèves
de condition plus modeste, Armand de Pontmartin était volontiers
le trait d’union. Il était aussi lié avec Casimir Gaillardin[37],
dont le père était portier chez le marquis de Dreux-Brézé, qu’avec
Pierre de Brézé lui-même. Un de ses meilleurs amis était le fils d’un
petit bourgeois de Limoges, Léonard Retouret, très brillant élève
et le porte-drapeau des _libéraux_. Parmi ceux qui, comme Retouret,
lui disputaient les premières places, il aimait à se rappeler deux
autres de ses condisciples, Emmanuel Richomme et Armand de Crochard.
Richomme était son rival le plus dangereux au point de vue des
_fins d’année scolaire_. Gai, amusant, spirituellement fantaisiste,
Armand de Crochard était le sourire de la classe. D’une intelligence
extraordinaire, doué d’un vrai talent poétique, il aurait certainement
fait parler de lui, s’il n’eût préféré se retirer en province, dès
qu’il eut fini son droit. Il mourut en 1833 à Nogent-le-Rotrou, dans
le pays Chartrain, où il avait accepté les modestes fonctions de
juge suppléant près le tribunal de première instance. Mais de tous
les camarades de Pontmartin, celui qui lui inspira la plus vive
affection,une affection qui se mélangeait déjà de respect,ce fut
Emmanuel d’Alzon.
 
Emmanuel d’Alzon[38], qui devait être plus tard un si rude travailleur,
l’infatigable ouvrier de tant de belles œuvres, le fondateur du collège
de l’Assomption, à Nimes, était à Saint-Louis un élève, non pas
médiocre, mais inégal, un peu fantasque, traité souvent de paresseux
par ses professeurs. Un samedi, on venait de donner les places:
Pontmartin était premier; d’Alzon n’avait pas fini sa composition, il
fut classé parmi les derniers et ne parut pas d’ailleurs s’en émouvoir
autrement. Les deux amis sortirent du collège en se donnant le bras:
«Sais-tu, dit Pontmartin, à quoi je songeais pendant qu’on donnait les
places? A ces paroles de l’Évangile: Les premiers seront les derniers
et les derniers seront les premiers.»
 
Quelques années plus tard, Armand de Pontmartin et Henri de Cambis[39]
se préparaient à passer leur soirée au Théâtre-Italien: on donnait
_Otello_ avec Rubini et M^{me} Malibran! Au moment où ils terminaient
leur toilette, ils virent entrer leur cousin, l’abbé Adalbert de
Cambis: «Je vous annonce, leur dit-il, une grande nouvelle, Emmanuel
d’Alzon est depuis trois jours au séminaire de Montpellier.»
 
Et sans respect pour la cravate blanche d’Henri de Cambis et le bel
habit de Pontmartin (un habit de Blain!), l’abbé ajouta: «Il a choisi
la meilleure part.»
 
 
 
 
CHAPITRE III
 
L’ÉCOLE DE DROIT

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