2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 13

justice de femme 13



Mais qu'est-ce que j'éprouve donc au juste?» se dit-elle.
 
Car, à l'instant même, en considérant son âme triste dans le spectre de
son regard, elle ne s'était pas aperçue qu'elle pleurait.
 
Depuis deux heures elle était la maîtresse de M. d'Espayrac.
 
 
 
 
VIII
 
 
Un soir, Simone venait d'embrasser dans son lit la petite Paulette.
Elle était montée un peu tard, et l'enfant, par extraordinaire, s'était
endormie sans attendre la maternelle caresse. La porte était ouverte
sur la chambre de miss Mary, et l'Anglaise elle-même avait déjà éteint
sa lumière. Simone, à la clarté de la veilleuse, regarda sa fille.
«Comme elle est jolie!» pensa-t-elle, «Comme elle sera aimée!»
 
Puis, avec ce retour étonné sur elle-même qu'elle faisait de plus en
plus fréquemment depuis quelques semaines, elle chercha dans son propre
cœur les sentiments singuliers que doit éprouver devant le sommeil pur
de sa fille une mère qui a un amant. Elle ne les y trouva pas; et, dans
la surprise de se découvrir si peu différente de son ancien elle-même,
Simone se condamnait au plus dur effort d'imagination pour se persuader
qu'elle avait vraiment accompli la chose irréparable. Ce qu'elle
rencontrait en elle ne ressemblait en rien aux catégories de pensées
que lui suggérait autrefois, objectivement, et par rapport à d'autres
femmes, l'idée de l'adultère. Elle s'était représenté des joies
délirantes suivies d'affreux remords. Elle n'avait pas goûté les joies
et elle n'éprouvait pas les remords. Des journées d'excitation, des
heures de désappointement et des minutes de dégoût: voilà ce qu'elle
avait recueilli. Mais tout cela restait confus, enchevêtré, dans un
domaine obscur de sa personne morale, où elle ne voyait plus qu'une
sorte de brouillard quand elle essayait d'y pénétrer. Une seule chose
se détachait très nette: l'impossibilité de réaliser l'idée de sa faute
et de se condamner comme elle se fût condamnée auparavant si elle avait
lu sa propre histoire dans un livre. Et, entre autres étonnements,
celui qui n'était pas le moindre venait de ce que sa trahisonà la
gravité de laquelle pourtant elle ne pouvait croirene diminuait point
à ses yeux celle de Roger. La guérison ne lui était pas venue par la
vengeance. La plaie de jalousie restait toujours ouverte.
 
Quand elle quitta la chambre de sa fille, Simone, sur le palier
de l'escalier, s'arrêta, l'oreille tendue. De l'étage supérieur
s'échappait une musique très suave dont la mélancolie lui prit le cœur.
«C'est joli,» pensa-t-elle, «ce qu'il joue là, Roger. Ce n'est pas de
lui pourtant. Qu'est-ce que c'est donc?»
 
Elle écouta encore un instant, puis, au lieu de redescendre dans son
petit salon, elle monta vers le cabinet de travail. Son pas léger ne
s'entendit point sur le tapis. Très doucement elle ouvrit, entra, et,
derrière elle, referma la porte. Mervil leva ses larges yeux vifs,
tout flambants d'inspiration dans sa maigre figure, et, d'un signe des
paupières, interdit à Simone de l'interrompre. La jeune femme s'étendit
sur un divan, appuya son menton sur la paume d'une de ses mains, et
regarda son mari.
 
Roger semblait se bercer au chant qui montait sous ses doigts. Assis
devant l'énorme piano à queue, il se balançait suivant le rythme;
ses prunelles s'alanguissaient dans une extase; sa bouche avait des
sourires et ses épaules des frissons. Il jouait, non pas seulement avec
ses mains, mais avec son être tout entier. Simone pouvait, dans ce
corps mince, tordu par le souffle de la mélodie, deviner la vibration
des fibres comme elle entendait celle des cordes sous les marteaux
dans la caisse de l'instrument. Il y avait longtemps qu'elle n'avait
vu Roger ainsi possédé par la folie de son art. D'ailleurs elle le
regardait ce soir avec des yeux nouveaux, ou plutôt _renouvelés_. Elle
comprit comment elle avait pu le trouver si beau quand elle était jeune
fille et qu'il jouait sur le petit piano droit dans le salon de ses
parents. A un moment où le chant prenait une douceur plus poignante,
il la chercha des yeux et il lui envoya une de ces longues et tendres
caresses d'âme avec lesquelles, autrefois, il lui avait fait croire à
cette chose impossible: l'infini dans l'amour humain.
 
Simone, accoudée le visage vers lui, détourna la tête, et mit son front
dans son bras replié.
 
Un moment après, il cessait de jouer et venait à elle. Sa surprise fut
extrême de constater qu'elle pleurait.
 
Ma Simone! dit-il,et sa voix n'avait pas la sécheresse coutumière.Eh
bien, voilà qui me touche beaucoup! Tu n'es donc pas tout à fait blasée
sur les divagations de ton musicien de mari?
 
C'était de toi? s'écria-t-elle avec un sursaut.
 
Tout simplement.
 
Mais je ne connaissais pas cela. Quand donc l'as-tu composé?
 
Ce n'est pas composé. J'improvisais.
 
Ça, une improvisation?... Mais c'est admirable! Tu n'as jamais rien
fait de mieux. Et ce n'est pas écrit? Et tu ne pourras pas l'écrire?
Ah! quel dommage!
 
Mais si, mais si... Ça me trottait dans la tête depuis longtemps,
sous cette forme ou à peu près. Puis, tu sais si j'ai bonne mémoire!...
 
Elle s'était redressée, un genou pris entre ses mains croisées, toute
pâle, et fixant sur Mervil ses yeux mouillés de larmes. Elle avait une
__EXPRESSION__ si étrange que son mari, d'abord flatté par son émotion,
s'en inquiéta. Il s'assit à côté d'elle sur le divan, l'attira contre
lui, et lui dit avec une sollicitude dont il l'avait récemment un peu
déshabituée:
 
Qu'y a-t-il donc, ma petite Simone? Est-ce que ma petite femme aurait
du chagrin?
 
Elle fit un faible mouvement pour s'écarter de lui, cacha de nouveau
son visage et éclata en sanglots violents.
 
Oh! s'écria-t-elle, pourquoi donc ne m'as-tu pas toujours parlé comme
ça? Pourquoi donc as-tu cessé de m'aimer?
 
Il se leva, nerveux, dissimulant, comme toujours, son irritation sous
un calme de glace.
 
Ah! dit-il, si c'est une scène...
 
A son tour elle se mit debout, passa résolument son mouchoir sur son
visage, vint à Roger, et, lui faisant face, posa ses deux mains sur les
épaules de son mari.
 
Non, Roger, dit-elle en dominant le tremblement de sa voix. Non,
Roger, ce n'est pas une scène. Veux-tu m'écouter? Veux-tu qu'une fois
pour toutes nous nous entendions, mon ami?
 
Mais, ma chérie, avec toi, c'est bien difficile depuis quelque temps.
Tu prends ombrage au moindre mot. Je ne sais plus ce qu'il faut te
dire. Tu me paralyses, je t'assure.
 
Les bonnes dispositions de Simone s'évanouirent dans une flambée de
colère.
 
Ah! s'écria-t-elle, c'est comme cela que tu me parles, toi qui as eu
les premiers torts! Eh bien, soit! Il paraît que c'est cela le mariage.
Faisons comme les autres. Monsieur ira souper avec des actrices, et
Madame prendra un amant. Je ne vois pas pourquoi je m'en tourmenterais,
puisque c'est l'ordre des choses.
 
Mervil eut un cri, comme dans le brusque déchirement d'une blessure.
 
Simone!... Oh! pas toi, Simone! Pas toi!... Ne prononce pas des choses
pareilles!
 
Son accent produisit sur sa jeune femme un effet extraordinaire.
Soudainement, ce remords qu'elle appelait en vain depuis sa chute
récente, lui transperça le cœur comme une flèche. Durant quelques
secondes elle eut le sentiment d'une déchéance horrible, des images
physiques de sa faute s'évoquèrent en elle et lui soulevèrent l'âme
d'une intolérable nausée. A cet instant, la trahison de son mari et
la sienne s'intervertirent dans sa pensée. Pour la première fois,
elle pressentit qu'elle pourrait lui pardonner, à lui, tandis qu'à
elle-même, elle ne se pardonnerait jamais.
 
Toutefois une affreuse tentation lui vint de le braver, d'énoncer
devant lui la chose inavouable.
 
Ah! dit-elle froidementavec une sorte de plaisir bizarre, mêlé de
désespoir et de frayeur,cela te ferait donc beaucoup de chagrin si tu
savais que j'ai un amant?
 
Roger devint tout pâle, rien que de lui entendre articuler ces trois
mots. Mais il dit avec calme:
 
Prends garde, Simone. Tu as, depuis quelque temps, des façons de
parler bien singulières! Il y a des suppositions qu'une honnête femme
ne doit pas faire, ne doit pas suggérer à son mari...
 
Il s'arrêta, vint à elle, et, durant un instant, la considéra d'un
regard qui s'adoucissait.
 
Pourquoi veux-tu, reprit-il, me faire imaginer des choses que mon
esprit se refuse à concevoir? Toi, Simone... Toi, un amant? Vois-tu,
je ne pourrais pas plus le croire de toi que je ne le crois de notre
fille, de notre innocente petite Paulette.
 
Il s'approcha davantage, s'inclina vers elle, la regarda très
tendrement au fond des yeux. Maintenant il commençait à comprendre que
les pleurs et la colère de Simone marquaient autre chose qu'un accès
de querelleuse humeur. Il entrevoyait un malaise d'âme, devant lequel
sa propre nervosité s'atténuait, disparaissait, pour faire place à une

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