2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 19

justice de femme 19


L'impression fut la même durant tout le reste de la promenade. Car M.
d'Espayrac, tout en témoignant à Simone les égards pleins de banalité
qu'il ne pouvait omettre sans affectation, s'occupa de Gisèle avec la
séduisante galanterie dont il savait envelopper les femmes auxquelles
il voulait plaire. Or, il tombait au moment le plus favorable pour
ne perdre aucun de ses effets sur l'imagination de Mme Chambertier.
Les nostalgiques et confus désirs qui la hantaient de plus en plus,
l'impatience de vivre la vie de passion qui d'avance consumait sa
sensuelle beauté, l'ennui des derniers jours dans une retraite pleine
de mélancolie, joints à la langueur de cet air trop doux, de cette
mer trop molle, préparaient Gisèle à devenir la proie de quelque
foudroyante ivresse. Déjà, la présence, l'entrain de M. d'Espayrac, le
mouvement autour d'elle de cette mâle jeunesse, excitaient ses nerfs,
secouaient sa nonchalance, éclairaient d'étincelles fugaces ses yeux de
velours et d'ombre. Quelque chose de troublant émanait d'elle. Simone,
qui fut sensible à cette transformation, se sentit tout à coup le cœur
labouré de jalousie.
 
On arrivait à la Tour-Fondue. Ils quittèrent la voiture; M. d'Espayrac
descendit de cheval. Et tous se dirigèrent vers le petit fortin qui
remplace aujourd'hui l'ancienne tour féodale, disparue jusqu'au dernier
vestige. Ce petit poste stratégique, diminutif minuscule des forts
du Coudon et du Faron,les formidables gardiens de la côte, qu'on
aperçoit de là, bien haut dans le ciel bleu de Provence, attentifs
et silencieux,est bâti sur un îlot qu'une sorte de passerelle relie
à la presqu'île. Un sous-officier, détaché de la garnison de Toulon,
garde ces quelques pieds carrés de fortifications, dans lesquelles
on ne laisse même pas, en ce temps de paix, les pièces d'artillerie
nécessaires pour garnir cinq ou six meurtrières qui s'ouvrent dans la
muraille trapue.
 
Comment! s'écria Chambertier. Il n'y a que cela à voir ici! Mais où
donc est la tour?
 
Elle est fondue, dit gravement d'Espayrac.
 
Gisèle, curieuse, courait sur la passerelle, pour grimper dans le petit
fort, dont elle voyait la porte ouverte. Les mots: _Défense absolue
d'entrer_, l'arrêtèrent un instant. Puis, n'apercevant personne, elle
se hasarda sur la pointe des pieds. Rien ne bougea dans cette bizarre
petite place de guerre; le gardien était absent. Alors elle se mit à
considérer l'île de Porquerolles, à travers une des meurtrières, dont
le cadre de pierre donnait, trouvait-elle, du recul au paysage.
 
Une voix intentionnellement grossie la fit tressaillir.
 
Vous voulez donc être arrêtée comme espionne et passée par les armes?
 
Ah! Dieu! que vous m'avez fait peur! dit-elle à Jean dans un éclat de
rire.
 
Simone Mervil s'était arrêtée sur le léger pont de bois. Elle
regardait. Le décor extérieur lui entrait dans les yeux comme l'image
précise de sa souffrance. Il y avait, dans la couleur de l'eau, dans
le dessin des îles, dans l'adoucissement de la lumière, toutes les
nuances de sa détresse; et, vers le large, l'étendue sans fin de la
mer lui peignait bien l'immensité de son incertitude. Au-dessous
d'elle, des petites vagues sautillantes couvraient et découvraient
sans cesse l'isthme rocheux que les cinquante centimètres de marée
haute propres à la Méditerranée suffisent à transformer en détroit.
Simone tâchait d'engourdir sa pensée à suivre ce ruissellement sur
les pierres noires. Puis, levant les yeux, elle remarquait autour de
l'îlot une saillie circulaire à peine assez large pour y poser le pied;
alors elle se demandait si elle aurait le courage d'y marcher; elle la
suivait en imagination, jusqu'à ce qu'une tentation violente lui vînt
de s'y aventurer. Mais cette distraction machinale n'atténuait pas la
sensation d'endolorissement qui lui meurtrissait toute l'âme.
 
Au retour, Jean d'Espayrac ne se tint pas auprès de la voiture. Son
cheval ne pouvait suivre, sans «traquenarder» horriblement, l'allure
de l'attelage. Le jeune homme allait donc au pas ou au petit trot,
rattrapant de temps à autre ses amis par un temps de galop. Se
doutait-il du désordre affreux dans lequel se débattait Simone? Et que
parfois elle souhaitait qu'il fût mort, et que parfois elle fondait de
tendresse et du désir de son étreinte?
 
«Ah!» se disait-elle, «c'est ainsi que j'ai cru guérir de la trahison
de Roger! Comme il me mépriserait s'il sondait mon humiliation! Non,
la partie n'est pas égale: pour les hommes, l'amour est un plaisir
sans conséquence, un sentier fleuri que l'on parcourt tout en pensant
à autre chose; mais, pour nous, c'est un chemin d'épines où nous nous
déchirons le cœur.»
 
 
 
 
XI
 
 
Deux ou trois jours se passèrent. Des parties furent organisées. On
alla manger de la bouillabaisse à Carqueiranne, sous une tonnelle, en
face de la mer. On se rendit au village des Bormettes, où se trouve
une mine d'étain, d'antimoine et d'argent, récemment découverte, en
exploitation depuis fort peu de temps. Gisèle se fit montrer les bennes
à l'ouverture des puits, et elle voulait absolument y descendre.
Ensuite elle oublia cette fantaisie pour jeter des pièces d'argent et
de cuivre aux trieuses du minerai. Du haut de la galerie, elle lançait
la monnaie parmi les pierres vomies avec un tapage sinistre par la
mâchoire en acier du «broyeur», et qu'emportait ensuite lentement une
étroite voie mouvante entre deux rangs de travailleuses. Les femmes
ne devaient rien laisser échapper qui méritât d'être recueilli; leurs
yeux, attentifs à l'éclat du minerai, découvraient aussitôt le métal
monnayé, que leurs doigts saisissaient d'un même geste prompt, avec,
parfois, un mouvement de tête et un sourire de remerciement aux belles
dames de là-haut. Simone, pendant un instant, s'arrêta pour regarder,
sur de vastes meules tournantes en caoutchouc durci, des filets d'eau
laver puis entraîner le métal, transformé en une précieuse poussière
impalpable. Mais Chambertier n'eut qu'un étonnement respectueux: ce fut
devant de gros tas de boue, destinés jadis à être jetés dans la mer, et
dont un ingénieur, par des procédés nouveaux, s'engageait à extraire
encore pour soixante mille francs de métal.
 
M. d'Espayrac ne manquait pas de prendre part à ces excursions. Il
dînait ensuite au château. Le café était servi sur la terrasse,
au-dessus de la vieille ville qui s'endormait dans l'ombre. Les heures
tintant au clocher de Saint-Paul vibraient dans l'espace avec un son
grêle et fêlé qui tremblait longtemps avant de mourir. Au loin, la
mer pâlissait sous un ciel criblé d'étoiles. Et, dans ce décor, les
racontars parisiens, qui semblaient drôles à table, perdaient le
pétillement dont ils avaient moussé sous la lampe et les bougies. La
conversation languissait. Ces messieurs fumaient lentement; à chaque
bouffée, on voyait braisiller l'étincelle de leurs cigares sur le
fond noir des buissons de troënes et de camélias. A la fin, Jean se
levait, et M. Chambertier renouvelait le reproche qu'il lui adressait
quotidiennement de ne pas accepter dans cette maison une hospitalité
complète.
 
Au moins, lui dit-il un soir, venez demain de bonne heure. Quand je
pense que vous n'êtes pas encore monté jusqu'en haut de la propriété!
 
C'est la faute du mistral. Vous m'avez dit que c'est à ne pas tenir,
quand il souffle, au sommet de votre rocher.
 
Oui, mais il ne souffle plus depuis hier. Et le soleil est pire encore
si vous attendez seulement dix heures. Venez très tôt. Ces dames vous
serviront de guides. Moi je suis forcé de me rendre à Toulon pour une
affaire.
 
* * * * *
 
Le matin suivant, lorsque Jean d'Espayrac, remontant l'allée de
mimosas, parvint devant l'habitation, il vit Simone qui, assise devant
une table rustique, écrivait sa correspondance.
 
Bonjour, madame, dit-il gravement. Si cette lettre est pour Mervil,
veuillez lui faire mes amitiés.
 
La jeune femme leva sur lui un regard droit et ferme. C'était la
première fois, depuis l'arrivée du poète à Hyères, qu'ils se
trouvaient ainsi, seuls, en face l'un de l'autre.
 
Merci, dit-elle. En effet, j'écris à Roger. Je vais lui faire votre
commission.
 
Elle baissa de nouveau la tête. Les frisures de ses cheveux blonds
brillaient doucement dans l'ombre tiède. Mais une rougeur intense
envahit son cou, qui s'allongeait en s'inclinant, et que dégageait un
grand collet de vieille dentelle tombant tout autour sur sa robe claire.
 
Jean posa les deux mains sur le bord de la table, et il avança le buste
vers elle. Ses regards pesaient sur cette tête blonde qu'il voulait
contraindre à se relever. Mme Mervil les sentit peut-être; en tout cas,
elle dut voir son geste. Pourtant elle continua d'écrire. Alors Jean
rapprocha encore son visage, et il murmura très bas:
 
Simone!
 
Elle eut un sursaut d'inquiétude, un coup d'œil vers la maison:
 
Ah! prenez garde!
 
Car les portes béantes laissaient voir l'intérieur, tandis qu'au-dessus
d'elle les fenêtres pouvaient s'ouvrir, quelqu'un pouvait les écouter.
 
Une femme de chambre, d'ailleurs, parut presque aussitôt: «Madame est
un peu souffrante,» venait-elle dire. «Elle est encore au lit. Elle
prie Mme Mervil d'accompagner seule M. d'Espayrac jusqu'en haut du
rocher.»
 
Simone, que cette proposition troublait, dit machinalement:
 
Mais qu'a-t-elle? Ce n'est rien, j'espère? Je vais aller la voir.
 
En même temps elle se levait.
 
Oh! non, dit la femme de chambre avec un sourire. Madame était
seulement fatiguée; elle avait encore sommeil; elle doit s'être

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