2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 5

justice de femme 5


Là! dit Simone, te voilà partie... Si je ne te connaissais pas
pourtant!... Mais, folle que tu es, puisque tu n'en as pas, des
vices!...
 
Ils viendront, dit Gisèle en riant. J'approche de la trentaine. On
prétend que c'est l'âge où ils poussent.
 
Sur le seuil, sous les draperies de la portière, la voix du domestique
annonça:
 
Monsieur d'Espayrac.
 
Et Jean parut,grand, les épaules larges, la taille svelte dans la
redingote irréprochable, la démarche pleine d'aisance,un type de
force, d'élégance et de masculine beauté.
 
«Ah!» se dit Simone, «il vient donc souvent ici?» Et elle eut au cœur
comme une bizarre crispation d'angoisse, irrésistible, inexplicable
comme sa nervosité et sa nostalgie des heures précédentes.
 
Jean fut heureux de trouver les deux jeunes femmes ensemble, et
seules. Il le leur dit, avec cette nuance d'ironie subtile dont le
Parisien homme du monde voile toujours aussi bien le vide que la
sincérité de ses sentiments. Et toutes deux répondirent en riant,
avec la demi-incrédulité qui est la contre-partie féminine de cette
demi-franchise.
 
Elles l'intéressaient l'une et l'autre très diversement.
 
Il pressentait en Simone une sœur d'âme, et il éprouvait pour Gisèle
une violente affinité sensuelle. Il jugeait que son collaborateur
Mervil avait une chance unique de posséder cette fine blonde créée
pour les bonheurs intimes et qu'on sentait incapable d'une trahison;
tandis que, plus il observait Gisèle, plus il plaignait M. Chambertier.
Toutefois, lorsque, par l'imagination, il se substituait à l'un des
deux maris, c'est dans le rôle du dernier qu'il se complaisait à
se voir, et de la façon la plus précise. Près de Gisèle, ses sens
lui parlaient un langage clair, qu'il ne voulait pas écouter, mais
auquel il ne se trompait pas. Près de Simone, ce qui s'éveillait en
lui, c'était la délicieuse et vague chanson de son jeune passé, ses
premiers rêves purs, les caresses de sa mère, les sanglots tendres de
son adolescence dans le jardin moussu du vieil hôtel d'Espayrac, par
les beaux soirs des étés morts. C'étaient aussi des réminiscences plus
anciennes; car Simone ressemblait à l'idéal de droiture, de simplicité,
de chasteté féminines, qui avait fait battre le cœur de ses aïeux,
et, de nouveau, près d'elle, ce cœur-là tressaillait en lui. Dans un
vieux château gothique, il y avait des siècles, Jean avait aimé une
femme comme elle,une femme aux longues tresses blondes, aux yeux
clairs de source, avec un missel ou une quenouille entre les doigts,il
l'avait aimée lorsque, parcelle de vie inconsciente, existante déjà
mais non encore personnifiée, ce qui devait un jour être lui palpitait
confusément dans le sein de quelque ancêtre. A peine pourtant se
rendait-il compte de cet obscur désir d'âme qui l'entraînait vers Mme
Mervil. Au contraire, il s'en voulait de se sentir si brutalement épris
de Mme Chambertier.
 
«Quand on aime une femme du monde comme une fille,» se disait-il, «la
seule chose à faire, c'est de la fuir. Car, ou elle mérite mieux,
et l'on n'a pas le droit de lui offrir une passion qui serait une
offense; ou c'est le contraire... et alors, que d'embarras pour si peu
de chose, et quel écœurement après le caprice!»
 
«D'ailleurs,» pensait-il encore, «ce serait ridicule et triste de
prendre sa femme à un brave homme aussi aveugle, aussi bêtement bon que
Chambertier.»
 
Précisément comme M. d'Espayrac pensait au maître du logis, celui-ci
pénétra dans le petit salon par une porte donnant sur une salle de
billard.
 
Édouard Chambertier était un homme de trente-cinq à trente-huit ans,
grand, lourd, gauche et doux, qui bedonnait un peu, et dont la tête,
enfoncée dans les épaules, offrait un commencement de calvitie. La
franchise et la bonté empreintes sur sa physionomie éveillaient une
sympathie immédiate, mais la banalité qu'on y découvrait aussitôt
empêchait cette sympathie de s'accentuer en un sentiment plus vif.
 
D'intelligence nulle, il ne devait sa haute situation comme président
du Conseil d'administration dans une grande Compagnie d'assurances qu'à
la masse des capitaux dont il avait enrichi l'affaire. C'était un de
ces êtres effacés, sans prestige et sans mystère, qui n'ont ni amis ni
ennemis, qui n'inquiètent, n'effraient ni n'attachent,en un mot, qui
ne comptent pas. Il ne comptait pas plus, dans son intérieur, pour sa
femme et pour ses domestiques, qu'il ne comptait, dans son Conseil,
pour ses co-actionnaires ou ses subordonnés. On le recherchait à cause
de sa fortune; et, quoiqu'il fût très liant, on ne se plaisait guère
en sa société, parce qu'il ennuyait. Quelques-uns l'avaient cru naïf
et pensèrent l'exploiter. Mais une certaine finesse prudente qu'il
apportait dans les questions d'argent découragea les tentatives. Il
avait épousé Gisèle dans une crise d'amour violent, ne s'était pas
ensuite étonné tout d'abord des dédains affichés de cette créature
qu'il jugeait supérieure, avait pleinement joui du bonheur d'être son
domestique et son banquier. Plus tard, il avait souffert d'une vague
souffrance inavouée, qui n'était ni de la révolte, ni de la jalousie:
car son indolence de nature excluait des sentiments aussi forts, et
ce n'était point un imaginatif, que les soupçons, les pressentiments,
les visions du possible pussent aiguillonner et torturer. Il ne
s'était jamais dit ce que les familiers de sa maison se murmuraient à
l'oreille: qu'un jour ou l'autre sa femme le tromperait, que c'était
inévitable. Il ne voyait Gisèle, en effet, que dans les attitudes où
il lui plaisait, à elle, de se montrer à lui; de ce que, plusieurs
fois, elle avait haussé les épaules en parlant des hommes qui osaient
lui faire la cour, M. Chambertier concluait qu'auprès d'elle tous
perdraient à jamais leurs peines.
 
Cette notion, désormais implantée dans son cerveau, aurait pu prévaloir
en lui contre l'évidence même. C'est ce qu'on appelle une grâce d'état;
mais cela provenait tout simplement de la difficultéplus grande encore
chez cet homme que chez un autrede concevoir un être objectivement,
c'est-à-dire en dehors de tout rapport avec soi-même. La subjectivité
du point de vue augmente avec le nombre des liens qui enchevêtrent deux
personnalités, deux existences. C'est pourquoi il est radicalement
impossible à un mari et à une femme de se connaître jamais l'un l'autre.
 
Lorsque M. Chambertier parut dans le petit salon, d'autres visites
venaient d'arriver. Simone se tenait debout, prête à partir. En
l'apercevant, elle regretta de n'être pas déjà loin. Ce gros homme si
bon la gênait, et, chose singulière, lui faisait presque peur. Mais une
peur spéciale. Il l'avait prise pour confidente, elle, l'amie intime
de Gisèle, et, depuis quelque temps, la poursuivait partout, afin de
se faire persuader par Mme Mervil que sa femme, au fond, l'aimait,
en dépit des duretés qu'elle ne lui ménageait pas. Une compassion
délicate, un désir de consoler Chambertier, et les illusions que
Simone conservait naguère encore sur un tel sujet, la poussaient tout
d'abord, d'elle-même, à assumer ce rôle. Sa façon tendrement légère de
toucher aux blessures d'âme avait paru à cet être épais mais sensible
quelque chose de nouveau, de suave, de merveilleusement doux. Il
avait indiscrètement imposé à Simone la continuation de ce traitement
sentimental, et la pauvre jeune femme, incapable d'un procédé cruel, ne
savait plus comment se débarrasser de son malade.
 
Sa position entre les deux époux devenait tous les jours plus fausse.
Chambertier la prenait à part, ou venait la voir à l'improviste et en
secret, pour l'entretenir de Gisèle, et Gisèle ne lui cachait plus le
dédain absolu que lui inspirait Chambertier. Simone, si franche, se
trouvait avoir des secrets pour chacun des deux avec l'autre. Sans
compter que Chambertier, tout en adorant la femme dont il souffrait,
commençait à s'éprendre, inconsciemment peut-être, de sa consolatrice.
Tout cela était fait pour inquiéter la scrupuleuse conscience de Mme
Mervil, mais aussi pour amuser de charités subtiles, de menus dangers
et de vapeurs de passions remuées son cœur qui s'ennuyait.
 
Aujourd'hui elle fut surtout contrariée de voir le mari de son amie,
parce que ses préoccupations personnelles, bien qu'indéfinies,
inexprimables, suffisaient à son activité sentimentale. Et aussi
parce que, immédiatement, elle songea que ce serait lui, et non pas
M. d'Espayrac, qui l'accompagnerait pour quitter le salon. Or, elle
voulait demander à Jean l'explication d'un mot prononcé par lui tout à
l'heure. Quand elle s'était levée, il avait fait le même mouvement. Et
il attendait qu'elle eût dit adieu pour la suivre. Mais lorsqu'il vit
entrer Chambertier, d'Espayrac, peu soucieux de s'attarder avec ce mari
agaçant de la femme qu'il désirait, salua brièvement et disparut.
 
Simone, au contraire, se rassit un instant, ne voulant pas avoir l'air
de s'élancer à sa suite. Et, tout en répondant aux banalités d'une
conversation sans intérêt, elle songeait maintenant à son mari avec
une inquiétude toute nouvelle et subitement éveillée. M. d'Espayrac
avait dit quelques minutes auparavantet c'était cette phrase qu'elle
aurait bien voulu lui faire éclaircir: «Je ne suis pas resté chez vous,
madame, à attendre Mervil, parce que je me suis tout à coup rappelé
qu'il devait assister cette après-midi à une répétition. On a distribué
en double tous les rôles du _Roman de la Princesse_, et il était
inquiet pour sa «prima donna», celle qui chante le rôle si difficile
d'_Ida_,vous savez, cette jeune cantatrice qu'il a presque imposée à
notre directeur.»
 
Mme Mervil ne savait pas. Elle ne fit aucune remarque, ne voulant pas
paraître ignorer l'existence de cette jeune cantatrice à laquelle
s'intéressait son mari. Mais sa petite tête commençait à travailler.
 
Pourquoi Roger ne lui avait-il point parlé de cette femme? Pourquoi
l'imposait-il au directeur, puisqu'il ne comptait pas sur son talent,
puisqu'il était inquiet de la façon dont elle doublerait le rôle?
Si Mme Mervil avait pu sortir avec Jean d'Espayrac, par une adroite
question elle aurait appris quelque chose. Mais cet insigne maladroit
de Chambertier avait tout fait manquer en arrivant.
 
La nervosité dont Simone avait souffert toute la journée s'exaspérait.
Malgré la chaleur du salon, ses petits pieds se glaçaient dans ses

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