2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 24

justice de femme 24


Mervil, agité, nerveux dans le bonheur comme dans la peine, courait
du haut en bas de la maison, s'affairait, déraisonnait. Un de ses
premiers mots fut celui-ci:
 
Je vais envoyer un télégramme à d'Espayrac. Mon vieux Jean! Il nous
aime tant! Il sera si heureux!
 
Tu ne sais même pas, dit sa femme, dans quelle ville d'Italie il se
trouve en ce moment.
 
On fera suivre.
 
Eh! laisse donc, reprit-elle avec impatience. Est-ce qu'un jeune homme
comme lui s'intéresse à un nouveau-né?
 
Elle fut irritée qu'il lui rappelât ce nom. Car, après d'infinis
calculs, des réflexions pleines d'angoisse, elle avait décidé en
elle-même que Hugues ne pouvait être le fils de Jean. A ce torturant
travail, recommencé toujours, elle avait passé la plupart des heures,
étendue sur le long fauteuil d'osier, dehors, à l'ombre, dans le lourd
enchantement, la tiédeur et le silence des après-midi d'été. Paulette,
alors, se promenait, avec sa gouvernante, à travers le parc ou la
proche campagne, dans la petite voiture, dont les secousses désormais
étaient interdites à Simone. Par une fenêtre ouverte de la maison,
des mélodies sans cesse reprises, travaillées, changées, ou bien, au
contraire, triomphalement envolées d'un seul essor, s'échappaient de
la solitude studieuse où s'enfermait le musicien. La pensée de la
jeune femme parfois s'engourdissait à les entendre, ces mélodies
que l'espace affaiblissait, dispersait comme des lambeaux de songe,
épandait comme une vapeur d'harmonie sur l'immobilité des verdures
profondes. Une douceur l'enveloppait, lui caressait l'âme, douceur
venue du calme et de la beauté des choses, et venue aussi, à travers
l'inconsciente mémoire, de quelque insondable existence passée. Mais
une secousse la rappelait à elle-même; son cœur se crispait sous une
étreinte; et de nouveau la question surgissait: «L'enfant que je
porte... de qui est-il?» Alors une brume de tristesse et de honte
voilait la campagne ensoleillée; tout oscillait et chavirait dans une
ombre soudaine; et ce piano... ce piano qui chantait infatigablement
sous les doigts de Roger, prenait une telle voix d'ironie et de
reproche, que parfois Simone, dans un énervement affolé, collait, en
serrant les dents, les paumes de ses mains sur ses oreilles.
 
Mettre au monde un enfant sans savoir au juste quel est son père,
représentait aux yeux de Mme Mervil un tel excès de dégradation qu'elle
n'en imaginait point de pire pour une femme. Et elle en était là!...
De son fragile roman, dissipé comme un rêve, cette réalité abominable
lui restait! Comment ne l'avait-elle pas prévue?... C'est que, sa
fille ayant huit ans déjà sans qu'un second espoir de maternité se fût
offert à Simone, la jeune femme avait perdu l'habitude de songer,
pour elle-même, aux conséquences naturelles de l'amour. Si sa liaison
avec Jean avait duré, peut-être une triste et suprême prudence
fût-elle intervenue pour lui épargner au moins cette infamie d'offrir
à la tendresse de Mervil un enfant qui ne fût pas le sien. Mais tout
cela avait été si plein d'étonnement, si troublé, si court, d'une
rapidité de vertige!... Même quand une clairvoyance, par hasard, avait
ouvert les yeux de Simone, vite et volontairement elle avait refermé
les paupières, en se disant: «Voyons... ce serait une fatalité trop
extraordinaire... C'est impossible!» Et, pour mieux nier à elle-même
cette possibilité, qui, si incertaine pourtant, la gênait, la maîtresse
de M. d'Espayrac avait comme à plaisir brouillé dans sa mémoire les
dates de leurs si rares baisers.
 
* * * * *
 
Ces dates, elle les rechercha plus tard avec acharnement, durant les
heures paresseuses de sa grossesse. Tandis que son corps alourdi
simulait le plus insouciant repos, son esprit s'énervait à poursuivre,
sans la trouver, la solution du problème. Puis, un beau jour, elle eut
contre elle-même une révolte. N'était-elle pas folle de s'infliger
des tortures pareilles? Allait-elle se punir toute sa vie pour une
faute de quelques jours? Après tout, Roger l'avait trompée le premier.
C'était lui qui l'avait poussée dans les bras de Jean. Toutes les
femmes auraient fait comme elle; et toutes n'auraient pas eu l'énergie
de rompre ensuite, l'affreuse énergie qui l'avait soutenue durant
la visite aux ruines du château d'Hyères, parmi des scènes dont
l'évocation, surgie brusquement, la bouleversait.
 
Alors Simone admit comme définitive cette conclusion, dont la formule,
aux premiers jours déjà, lui était apparue: «Ce serait une fatalité
trop extraordinaire... C'est impossible!»
 
Quand elle vit son fils entre les bras de Roger, tout sentiment
d'inquiétude s'envola. Devant cette image matérielle, Simone ne douta
plus que ce cher petit Hugues n'appartînt à son mari. «Mon instinct
de mère ne me tromperait pas,» pensa-t-elle. Car elle prit pour une
irrécusable intuition l'intensité de son désir.
 
Ce fut le moment que choisit Mervil pour rappeler à sa femme le nom de
Jean d'Espayrac. Lorsqu'elle l'eut détourné d'envoyer à leur ami un
faire-part télégraphique de la naissance qui les rendait si heureux,
Roger se hâta de répondre avec une indulgente gaieté:
 
Tu as raison. Ce gaillard-là ne le mérite pas. Voilà six mois qu'on ne
l'a vu. Il nous donne à peine signe de vie. Je parie qu'il ne fait plus
de vers, qu'il ne travaille même plus. Et sais-tu à qui la faute?
 
Non, dit Simone toute pâlissante, car elle se demandait soudain si
leur rupture n'avait pas à ce point attristé, démoralisé le poète.
 
A ton amie Gisèle, parbleu! Je soupçonne qu'il en est amoureux, et
pour de bon, cette fois, lui, le volage. Notre papillon s'est brûlé les
ailes à cette flamme. Je crains qu'il ne s'envole plus de longtemps.
 
Qu'est-ce qui te fait penser cela? demanda Simone.
 
Mais, voyons, tu sais bien qu'il suit maintenant les Chambertier
partout. D'abord il les a rejoints à Hyères; puis ç'a été Saint-Moritz;
ensuite Trouville; maintenant c'est l'Italie. Et, sois-en sûre, nous ne
le reverrons pas à Paris avant qu'eux-mêmes soient de retour boulevard
Haussmann.
 
Ah! s'écria Simone avec vivacité, je ne comprends pas, Roger, que
tu portes ainsi des jugements en l'air, des jugements aussi graves.
Tu n'es pourtant pas mauvaise langue. Laisse donc ces cancans-là aux
femmes.
 
Son mari, craignant qu'elle ne s'agitât, voulut tourner la chose
en plaisanterie. Mais elle y revint deux fois dans la journée,
s'inquiétant s'il avait des soupçons sérieux, s'il avait entendu dire
quelque chose, et répétant avec irritation:
 
Oh! de la part de M. d'Espayrac, ce serait indigne!... Compromettre ma
meilleure amie!... Sachant comme nous sommes liées... Tu ne trouves
pas?... Écoute, s'il a fait une chose pareille, j'espère bien que tu
lui fermeras notre porte... que nous ne le reverrons jamais!
 
Eh! dit Roger, ne prends donc pas ceci au tragique. C'est une
flirtation, et voilà tout. Ta Gisèle est trop fine mouche pour
s'afficher et chercher le scandale.
 
Mais le musicien eut beau faire, il ne put atténuer l'effet de ses
paroles imprudentes. Vers le soir, la fièvre saisit violemment Simone.
Pendant deux jours elle fut très malade, et, vu son état, presque en
danger. «On dirait,» pensa Mervil, qui s'accusait amèrement, «on dirait
qu'elle a trop pris à cœur cette bêtise à propos de Jean et de Mme
Chambertier. Elle ne peut souffrir le moindre soupçon sur sa Gisèle.
Puis, elle est si pure, ma chère petite Simone, qu'à ses yeux ce serait
une turpitude abominable... Allons, je ne lui en dirai plus rien.»
 
Toutefois la conviction de Mervil était faite. Certains propos mondains
lui étaient parvenus qui, dans la réclusion récente de Simone,
n'avaient pas pénétré jusqu'à elle, et qu'il s'était gardé de lui
répéter. Puis il connaissait trop son d'Espayrac pour le croire capable
de prolonger auprès d'une femme une assiduité gratuite et sans espoir.
Même il se sentait fort ennuyé de cette aventure, non pas à cause de
son ami, mais en raison de l'intimité des deux jeunes femmes,cette
intimité qu'il n'avait pas su rompre à temps, malgré certaines
méfiances, et qui finirait, craignait-il, par porter tort à Simone.
 
Cependant la convalescence de Mme Mervil s'opéra très rapidement, car,
sous son apparence de blonde frêle, elle avait un sang vigoureux et
des organes souples et forts. Elle se trouva tout à fait remise en
décembre, au commencement de la saison mondaine.
 
Quel bonheur! disait-elle à son mari. J'assisterai donc à ta
«première».
 
Mervil, cette fin d'année, donnait, en effet, une nouvelle œuvre, et,
cette fois, à l'Opéra-Comique. Événement considérable dans la carrière
du compositeur. Tant qu'il avait travaillé à sa partition, ce but
encore incertain d'être joué sur la seconde scène lyrique de France
leur apparaissaità lui comme à Simonedans un tel éloignement, que
l'un et l'autre s'en désintéressaient un peu, en parlaient rarement,
ainsi que d'une chose irréalisable. Mais, depuis que le directeur
comptait tout haut sur cette pièce comme sur le morceau de résistance
de la saison, depuis que les répétitions étaient commencées, que les
journaux prédisaient le succès, se risquaient à des indiscrétions,
depuis que les _interviews_ se succédaient dans le petit hôtel de la
rue Ampère, une fièvre d'émotion et d'espoir soulevait le jeune ménage.
Simone elle-même vibrait des folles espérances et des non moins folles
anxiétés qui détraquent les pauvres cœurs en proie à l'hypertrophie
artistique. Jamais elle n'avait tant déliré ni tremblé pour une œuvre
de son mari. Quel étonnement pour elle qu'un tel réveil de sensations
dans son être engourdi durant des mois par le découragement de vivre!
Sa maternité nouvelle et son ambition d'épouse lui rendaient ce
qu'elle croyait à tout jamais perdu: le pouvoir d'aimer, de désirer,
de regarder vers l'avenir, et les grands tressaillements de joie qui
secouent la chair avec l'âme, et le goût du lendemain,ce goût qui ne
s'éteint jamais, bien qu'il paraisse quelquefois si complètement mourir.
 
C'est surtout près du                          

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