2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 22

justice de femme 22


Quand Simone Mervil se trouva de retour à Paris, un découragement très
profond s'empara d'elle. Il lui sembla que l'horizon de son existence,
illimité jusque-là, se fermait. Cette vague attente du bonheur
de demain plus complet que celui d'aujourd'hui, dont l'illusoire
enchantement précipite les pas des hommes, semblait, dans son cœur,
s'être brusquement éteinte. Elle n'avait plus de raison pour marcher
vers l'avenir. D'elle-même et volontairement elle avait muré l'inconnu.
A vingt-sept ans, sa vie devenait une impasse, dont elle aurait sans
cesse devant les yeux le but morne et sans au-delà. Elle toucha le fond
de cette pire des humaines misères: l'indicible ennui des êtres et des
choses.
 
Certes elle aimait son mari et sa fille; pourtant, si elle avait
pu mourir, comme elle le souhaitait parfois, elle leur eût dit un
adieu très attendri mais sans déchirement. Elle les considérait avec
un aiguillon tout nouveau de curiosité dans son affection, et elle
s'étonnait de l'énergie qu'ils mettaient à vivre. Car le musicien
travaillait sans cesse, à travers les alternatives d'enthousiasme et
de désespoir qui soulèvent et brisent les vrais artistes; et quant à
Paulette, ses journées étaient une succession de joies violentes et
de chagrins non moins violents, à propos des minuscules événements
dont est tissue l'enfance. Cette fillette apprenait tout, sans aucune
peine, excepté le _self-control_ que sa gouvernante anglaise cherchait
vainement à lui inculquer; elle apportait à ses jeux comme à ses études
une passion extraordinaire. Simone qui, jadis, la reprenait pour
son impétuosité de poulain sauvage, pour sa garçonnière brusquerie,
pour l'ardeur de ses caprices, maintenant la laissait faire, lui
jetait la bride sur le cou, pour le plaisir de voir s'agiter autour
d'elle cette exubérance qui secouait, trompait, entraînait sa propre
mortelle lassitude. Quand elle entendait le rire de Paulettece rire
d'allégresse absolue,quand elle voyait les yeux de l'enfant s'éclairer
d'un bonheur merveilleux à la promesse d'une bagatelle, la jeune mère
éprouvait une émotion confuse qui lui faisait du bien. Cette fraîcheur
d'âme, cette puissance d'espoir, cette plénitude de sensation, lui
semblaient une chose admirable et touchante. Elle l'avait possédée,
cette chose, et elle l'avait perdue. Sa Paulette aussi perdrait tout
cela un jour... Hélas! quel piège que la vie!
 
* * * * *
 
Roger, dit un jour Mme Mervil à son mari, si tu voulais, nous irions à
la campagne de très bonne heure cette année.
 
Le musicien fut enchanté de cette proposition. Rien ne les retenait à
Paris, si ce n'est la saison mondaine, prolongée à présent jusqu'au
milieu de l'été, et qui, d'ordinaire, captivait Simone, comme toutes
les femmes élégantes et jolies, par l'amusante excitation des succès
personnels.
 
Comment! dit-il avec une surprise très joyeuse, tu renoncerais à la
soirée théâtrale de l'Union Artistique, à ta vente de charité, au
vernissage, au garden-party de l'Ambassade anglaise, au Grand-Prix?
 
Certainement qu'elle y renonçait. N'était-ce pas toujours la même chose?
 
Ah! mon ami, reprit-elle avec un accent plein de lassitude, si tu
savais combien j'en ai assez!
 
Elle ne mentait pas, bien que son but fût de quitter Paris avant le
retour de M. d'Espayrac. Mais il y avait aussi de la sincérité dans
son désintéressement des plaisirs à la mode. Elle ne trouvait plus
de saveur à rien. Sur sa lèvre s'étaient évaporés l'âme et le sel
des choses. Et c'est seulement parce qu'elle était très bonne que sa
mélancolie se changeait en douceur résignée au lieu de produire des
fruits d'irritation et d'amertume.
 
En effet, Simone ne s'en prenait point aux autres; elle n'accusait même
pas la destinée; elle n'en voulait qu'à elle-même. De là l'éclosion
dans son cœur d'une indulgence infinie. Elle ne voyait plus les défauts
de son mari d'un œil minutieux et sévère; et, bien qu'elle ne pût
encore penser sans un tressaillement d'angoisse à cette actrice qu'il
avait eue pour maîtresse, pourtant elle n'avait plus, à l'égard de
Roger, les allusions acerbes, les paroles mordantes ni les airs de
reine offensée, qui, durant un certain temps, rendirent leur intérieur
insupportable. Quand il se montrait d'humeur agressive, elle songeait
aux tourments de la composition musicale, et elle répliquait par une
phrase enjouée ou même par une caresse. Ensuite elle s'étonnait du
peu d'efforts que cela lui avait coûté. Et la chaleur de son ancien
amour lui gonflait parfois délicieusement le cœur lorsqu'elle voyait
la physionomie du musicien se détendre et lorsque cette voix un peu
cassante s'adoucissait pour lui dire:
 
Tu es meilleure que moi, petite Simone. Tu es une adorable petite
femme... Sais-tu que tu deviens trop gentille et que tu m'ôtes la
distraction de te taquiner un peu?
 
Une fois il ajouta par plaisanterie.
 
Ça m'inquiète de te voir ainsi rentrer tes petites griffes, Simonette.
Je commence à craindre que tu ne sois malade... A moins que tu médites
de tromper ton pauvre Roger.
 
Il prit, en prononçant les derniers mots, un air piteux très comique.
Simone se mit à rire. Et, malgré la sensation pénible d'avoir trahi
cette absolue confiance, elle éprouva comme un bizarre plaisir, un
plaisir qu'elle ne s'expliquait pas.
 
Ce qui la confondait, c'était de regarder en elle-même et d'y voir
fonctionner une foule de ressorts très déliés dont elle n'était pas la
maîtresse et qui lui semblaient agir tout autrement qu'elle ne s'y fût
jamais attendue. Bien plus, ces ressorts s'agitaient contrairement les
uns aux autres, donnant à croire que la machine morale se détraquait à
chaque instant. Pourtant une ligne de conduite assez droite résultait
finalement de ce chaos intérieur. Ainsi l'idée qu'elle avait trompé
son mari la remplissait parfois d'une satisfaction mauvaise et même
d'un véritable orgueil. Cependant elle s'en désolait, et la honte des
démarches furtives, des mensonges articulés, de l'hypocrisie dont
elle se couvrirait jusqu'à la tombe, comme d'une livrée, devenait à
d'autres moments tout à fait intolérable; à ces heures-là, un seul mot
de Roger lui eût fait avouer tout; mais ce mot, heureusement, il ne le
prononçait pas.
 
D'ailleurs ces deux êtres qui s'étaient aimés, qui s'étaient menti, et
qui s'aimaient de nouveaupeut-être plus que jamais,semblaient, aux
yeux du monde, posséder et partager tout ce que la vie humaine contient
de bonheur.
 
Ils avaient loué, pour cet été-là, une maison charmante avec
un parc très grand, dans un pays de collines et d'eau, à
Conflans-Sainte-Honorine, près du confluent de la Seine et de l'Oise.
C'était un coin tout à fait pittoresque. Or l'un et l'autre aimaient la
campagne, pour elle-même, en dehors de toute convention de la mode ou
de la littérature. Et Simone, qui redoutait en ce moment tout contact
avec la société élégante, où triomphait Jean d'Espayrac, sut persuader
à Mervil qu'il l'avait en outre convertie à son goût pour la solitude.
 
Mon Dieu! que je suis heureux ici, mignonne, disait souvent le
musicien. Que je te suis reconnaissant d'avoir bien voulu t'y enfermer
avec moi! Tiens, c'était mon rêve, depuis notre mariage, un peu de
bonne vie intime et de travail tranquille. Mais je ne voulais pas être
égoïste; tu aimais tant ton Paris, tes toilettes et tes potins! Et
vous êtes, madame, une si ravissante petite mondaine! Puis, il y avait
toutes les exigences du métier... le nom à faire... Il me fallait
rester sur la brèche. Mais maintenant...
 
Maintenant, reprenait Simone, tu es célèbre, nous sommes riches.
 
Presque... Et tu profites de tout celaqui tournerait la tête à une
autrepour réaliser mon désir de vagabondage dans les bois, de flânerie
à deux et de solitude. Et tu prétends que tu ne t'ennuies pas ici! Et
tu acceptes cette existence-là pour six mois!... Vois-tu, je me demande
si tu ne me caches pas quelque regret, si tu ne me fais pas un gros
sacrifice.
 
Bien vite Simone affirmait le contraire. Alors son mari l'embrassait.
 
Si tu as voulu te faire aimer plus encore, ajoutait-il, tu y as
réussi. Et pourtant je croyais que ce n'était pas possible.
 
* * * * *
 
Pour se promener avec sa fille, Simone eut une petite charrette
anglaise, attelée d'un poney des Shetland qu'elle conduisait elle-même.
Mais un jour que ce poney broutait sur une pelouse écartée, au bout
d'une longue corde fixée à un piquet, la gouvernante anglaise,
cherchant partout Paulette, aperçut la petite fille à califourchon
sur le dos de l'animal. Le poney, tout d'abord, n'avait pas manqué de
la jeter par terre. Paulette, après avoir roulé dans l'herbe sans
se faire de mal, était regrimpée sur sa monture; et maintenant elle
chevauchait, cramponnée à l'épaisse crinière du petit shetlandais, qui,
ayant reçu d'elle bien souvent des morceaux de sucre et des caresses, y
mettait de la complaisance.
 
La gouvernante poussa les hauts cris, et voulut se saisir de la
coupable. Paulette piqua des deux avec des éclats de rire; et
l'Anglaise, qui, au fond, avait peur du poney, y eût perdu ses peines,
si une culbute inévitable ne lui eût livré l'écuyère un peu endolorie
cette fois, et sa petite main hâlée toute saignante par l'écorchure
d'un caillou.
 
_Come directly to your father!_ s'écria Miss, furieuse d'avoir été
bravée. Et elle traîna Paulette jusque dans le cabinet de travail où
Mervil était à l'œuvre. Sanctuaire interdit, à la porte duquel il
fallait, pour qu'on osât frapper, toute la gravité d'une pareille
circonstance.
 
Mervil décréta que sa petite fille serait mise au lit sur-le-champ.
Elle venait à peine d'en sortir, car il était neuf heures du matin. Et
le temps était si joyeusement beau!
 
Vous fermerez les persie                         

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