2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 10

justice de femme 10


Le domestique entra presque aussitôt, pour apporter le plateau chargé
des trois tasses et de la petite théière d'argent pleine de tilleul. Il
les déposa sur un guéridon japonais, puis il sortit.
 
Jean s'était levé, durant cette interruption. Il avait fait quelques
pas, puis, sentant le regard de Simone qui le suivait, il avait tourné
le sien vers elle. Leurs yeux s'étaient longuement rencontrés.
 
Quand le valet eut quitté la chambre, M. d'Espayrac s'assit sur un pouf
bas, beaucoup plus près de Simone qu'il n'était tout à l'heure.
 
Alors, dit-il, c'est bien vrai que vous avez confiance en moi?
 
Un de ses genoux toucha le tapis; il allait prendre la main de la jeune
femme.
 
Mais elle le repoussa vivement, et d'un élan souple et prompt fut
devant la table à thé.
 
Le bouton de la porte tournait tout à coup. Roger Mervil rentra dans le
petit salon.
 
 
 
 
VI
 
 
Maintenant, chaque jour, à toute heure, Jean d'Espayrac enveloppait
Simone Mervil d'une atmosphère de passion. Même lorsqu'il n'était
pas làet c'était rare, tant il trouvait dans sa collaboration avec
le musicien de prétextes pour accourirelle sentait autour de sa
personne le magnétisme de ce désir, que nulle déclaration ne précisait
encore. Pour elle, tout en trouvant une perverse douceur à se laisser
entraîner par le vertige, elle ne pouvait se persuader qu'elle aimait.
Le sentiment qui dominait dans son cœur, c'était un regret, très âpre
et très vague à la fois. Que regrettait-elle? Peut-être une illusion.
Son âme pleurait ce rêve de la vie qu'elle avait conçu à vingt ans: cet
unique amour, toujours aussi doux, toujours aussi fort, dans lequel
jamais ne se serait glissé ni trahison ni lassitude. Aimer Roger,
n'aimer que lui, l'aimer encore, et surtout se sentir adorée par lui!
Quelquefois elle se reprenait à ce bonheur jadis si précieux; elle s'y
rattachait désespérément; elle voulait croire qu'il ne tenait qu'à elle
de le recommencer. Dans ces instants-là, elle prenait en grippe le
beau Jean d'Espayrac; elle se disait en le regardant, en l'écoutant:
«Pauvre garçon, tu prétends le remplacer dans mon cœur! Mais tu ne sais
donc pas que c'est impossible!... Mais tu ne lui vas pas à la cheville
à ce grand artiste. Mais tu ne sais pas que je donnerais cent fois
ta vie pour une heure de la sienne!...» Et dans ces instants-là, si
Roger avait pris la peine de revenir aux enfantillages des premières
tendresses, de griser un peu cette imagination avide d'amoureux
aliments, s'il avait paré de quelques coquetteries les monotones
intimités conjugales, Simone se fût rattachée éperdument à lui, eût
oublié ses jalousies, ses plaies d'orgueil, ses tentations, eût oublié
même Netty Davidson.
 
Mais, précisément, Roger Mervil tournait contre lui-même, sans en avoir
conscience, les armes qui lui eussent permis de reconquérir sa femme.
Dans les heures où il aurait pu être l'amant, il faisait voir tellement
qu'il était le maripar l'identité de ses gestes, la sécurité de ses
droits, la complète omission de toute câlinerie superflueque Simone
était plus profondément découragée par ses caresses qu'elle ne l'eût
été par son indifférence. Et toujours, en elle, revenait la pensée:
«Il n'était pas comme ça auprès de l'autre!» avec tout le cortège des
irritantes réflexions, des exaspérantes images. Elle finissait par se
dire: «Si je le trompais, je me sentirais tellement coupable envers
lui, que je perdrais la cuisante impression de ses propres torts. Oui,
vraiment, j'aimerais mieux souffrir de ma trahison que de la sienne!»
 
* * * * *
 
Au mois de février, les Chambertier donnèrent un bal. Simone dansa le
cotillon avec Jean d'Espayrac. Ce cotillon dura près de deux heures.
Le conducteurqui, naturellement, dansait avec Gisèlemultiplia les
figures et en produisit d'inédites. Les accessoires, fort nombreux,
étaient tous des objets d'un certain prix. On s'amusait fort. Ni la
jeunesse, ni la gaieté, ni la beauté ne manquaient. La richesse du
cadre, les vastes perspectives des salons et de la serre, la profusion
des lumières et des fleurs, flattaient la vanité des trois à quatre
cents personnes qui pourraient dire demain: «Nous y étions.» C'était,
comme les journaux mondains l'enregistrèrent, «une soirée tout à fait
réussie».
 
Dans la vie de Simone, elle devait marquer, cette soirée, comme un
instant décisif. La jeune femme y goûta l'une de ces rares ivresses
durant lesquellescoupable ou nonl'âme voit resplendir un éclair
de bonheur humain. Au milieu de ce bal, dans sa légère et radieuse
toilette, où elle se sentait si jolie, assise tout à côté de cet homme
frémissant d'amour, qui, de temps à autre, et suivant les caprices des
figures, l'étreignait et l'emportait, avec un soupir contenu de passion
à bout de force, Mme Mervil subit un entraînement qu'elle n'avait
jamais éprouvé, chez elle, seule avec Jean, durant leurs plus intimes,
leurs plus dangereuses causeries. Le jeune homme, ici, ne parlait point
ou parlait peu. Soucieux de ne pas compromettre sa danseuse, il évitait
même de la regarder longtemps de suite, pour rester maître de lui-même
et de l'__EXPRESSION__ de ses yeux. Pourtant jamais sa passion ne fut plus
éloquente. Il est vrai qu'elle atteignait son paroxysme à sentir que
Simone vibrait jusqu'à défaillir. En ce moment, M. d'Espayrac aimait
comme il n'avait pas encore aimé. Nulle hésitation ne faisait plus
flotter sa sentimentalité ou son désir de Gisèle à Simone, et de Simone
à Gisèle. La grâce énigmatique et voluptueuse de Mme Chambertier ne
disait plus rien, même à ses sens. «Celle-là,» pensait-il, «eût été
d'une conquête trop facile, et, par cela même, peu souhaitable.» Mais
les luttes qu'il avait pressenties chez Mme Mervil, les scrupules
délicats de cette petite âme sans hardiesse, lui prenaient le cœur
d'une séduction infiniment douce, d'un attendrissement dont il ne se
fût point cru capable, et dont il lui savait gré.
 
Toutefois le matérialisme de ses vingt-six ans ne lui permettait point
un plus long stage dans ces régions de platonique tendresse.
 
«Si je n'obtiens pas un rendez-vous ce soir,» se disait-il encore, «je
perdrai la meilleure occasion que j'aurai peut-être jamais.»
 
Pourtant, même ce soir, il n'osait rien brusquer. Le respect où le
maintenaient les clairs yeux de Simone, même quand ces beaux yeux
s'embrumaient de langueur, avait encore pour M. d'Espayrac un charme
qu'il ne pouvait rompre.
 
Un hasard le servit. Roger Mervil avait quitté le bal, où il
s'ennuyait, promettant à Simone qu'il reviendrait à trois heures du
matin, pour le souper, et qu'il la ramènerait à la maison. «Je vais
corriger des épreuves pressées,» lui avait-il dit. «Et, en même temps,
je verrai comment va Paulette. Elle s'est couchée, tu sais, avec un peu
de fièvre.»
 
Or, comme le cotillon venait de finir, on vit M. Chambertier traverser
les salons avec un air inquiet.
 
Je cherche Mme Mervil. Où est donc Mme Mervil?
 
Elle était encore au bras de Jean. Tous deux choisissaient leurs places
à l'une des petites tables du souper, riant et faisant signe de loin à
leurs partenaires.
 
Chère madame... D'abord n'ayez pas peur... Il n'y a rien du tout.
Mervil vient de me téléphoner. Votre fillette a seulement un peu plus
de fièvre, et il a jugé prudent d'appeler le médecin... Il l'attend
et ne veut pas quitter... Je viens de lui dire que je vous ramènerai
moi-même...
 
Ah! mon Dieu! s'écria Simone.
 
Elle avait quitté le bras de Jean et s'élançait dans la direction du
vestiaire.
 
Les deux hommes la suivirent. Chambertier la rassurait.
 
Mervil dit que ce n'est rien, que vous ne partiez même pas avant le
souper.
 
Mais Simone, toute pâle, secouée d'un tremblement, ne l'écoutait
seulement pas. Ses mains agitées ne pouvaient nouer les rubans de sa
sortie de bal. M. d'Espayrac, très grave, très tendre, l'habillait
comme une enfant, la forçait à s'envelopper la tête dans son grand
voile d'Alençon.
 
Ne vous faites pas tant de mal, murmura-t-il. Nous allons y être tout
de suite.
 
En même temps, il tendait le bras à un valet, qui lui passa sa pelisse.
 
Alors, dit Chambertier, c'est vous, monsieur d'Espayrac, qui
reconduisez Mme Mervil?... Moi, je ne peux pas quitter avant le
souper... Je suis désolé, chère madame... Ah! quel contretemps! Gisèle
va être aux cent coups!...
 
Déjà Simone courait sur le perron.
 
Un fiacre! dit-elle. Ma voiture ne devait venir qu'à quatre heures.
 
La mienne est là, fit d'Espayrac. Rue Ampère, dit-il à son cocher. Et
vite, n'est-ce pas?
 
Quand il fut près d'elle, dans le coupé,tout près d'elle, tout seul
avec elle, et pour de si courtes minutes,il ne put pas se contenir, il
la prit tout de suite dans ses bras, mais avec une pitié câline, comme
une petite fille affligée.
 
Ma chérie!... prononça-t-il tout bas. Ma pauvre chérie, comme elle
tremble!...
 
Simone, sans résister, cacha sa figure contre l'épaule du jeune homme.

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