2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 16

justice de femme 16



Ce mot extraordinaire, adressé par Mervil à d'Espayrac, ne donna même
pas à l'amant la tentation de sourire du mari. Le ridicule n'est
sensible que dans les situations où l'on n'est en rien mêlé. Même
chez l'homme qu'on trompe, on ne le découvre point, car on a toujours
quelque raison de prendre cet homme au sérieux. La dernière phrase de
Roger ne souleva chez son ami qu'une sorte de gêne, et la crainte qu'en
effet Simone pût encore, si elle y était résolue, se rendre d'une heure
à l'autre absolument inaccessible.
 
 
 
 
X
 
 
La propriété de Mme veuve Chambertier, à Hyères, est un domaine tel
que l'imagination des romanciers parfois en rêve, mais tel qu'on n'en
rencontre guère dans la réalité, même sur cette «côte d'azur» féconde
en miracles pour les yeux.
 
La vieille ville,l'ancien nid de guerre, d'où les Romains
surveillaient cette partie de la _Province_, d'où les Sarrasins
s'élançaient comme des vautours en quête de pâture, d'où, plus tard,
les seigneurs vassaux des ducs d'Anjou épiaient au loin sur la mer
les fines voiles sournoises des pirates algériens,la vieille ville
d'Hyères fait grimper ses ruelles d'ombre, empile ses masures trapues,
sa _Commanderie_, son église Saint-Paul au clocher carré, aux rudes
contre-forts, sur le flanc d'une colline rocheuse, encore crénelée
au sommet par les remparts, les bastions et les tours de son antique
forteresse. Sur le bleu vif et profond du ciel, ces témoins des luttes
éteintes hérissent de noirs profils aigus, des pans de murailles
grisâtres, des contours busqués de mâchicoulis ou d'échauguettes,
et, parfois, des écroulements de pierrailles d'où jaillit la hampe
d'un agave. A l'âpreté de leurs lignes, la nature ajoute sa fantaisie
tragique; le roc schisteux surgit en avant-corps déchiquetés autour
de ces fortifications humaines; il les rehausse ou les redouble, et,
par endroits, se confond avec elles. D'en bas, l'œil ne distingue pas
toujours ce qui est le bloc éruptif ou la muraille tassée par les
siècles; sur l'une comme sur l'autre, les lichens ont mis des rouilles
dorées, qui étincellent de loin sous l'embrasement du soleil; dans
leurs crevasses, on voit également les reflets d'argent des absinthes,
et les fines fourrures, vertes et veloutées, des nigelles, que les
anciens appelaient «cheveux de Vénus», tant leurs touffes offrent de
douceur au regard et au toucher.
 
Toute cette crête de colline, avec son couronnement héroïque de
tours déchirées, constitue à présent une propriété particulière.
On y laisse assez complaisamment pénétrer les visiteurs,ce que ne
faisait pas Mme veuve Chambertier lorsqu'elle en était la maîtresse.
Sur un large terre-plein ménagé à la partie la plus basse de ce
domaine,c'est-à-dire à mi-hauteur de la colline, et juste au-dessus
des dernières terrasses de la vieille ville,se trouve la maison
d'habitation, que feu Chambertier le père avait eu le goût de faire
construire dans le style des ruines, en petites pierres grises, avec
les étroites ouvertures légèrement cintrées d'une demeure gothique, des
créneaux au faîte, et, du haut en bas des murailles, l'échevèlement
des verdures. Quand, de la place Massillon, où se tient le marché,
on a grimpé les rudes pentes qui contournent l'église Saint-Paul, au
bout d'une abrupte rue, on aperçoit un porche envahi de lierre et de
jasmin, que surmonte une statuette de sainte en une niche grillée. Une
concierge, dont la logette extérieure prend des airs moyen-âge, ouvre
la porte garnie d'antiques ferrures; puis, par une allée de mimosas,
on arrive tout de suite à l'habitation, devant laquelle on s'arrête
involontairement, surpris par la vue merveilleuse qu'offre, de cette
hauteur, l'éclatante Méditerranée, bleuissant autour des îles d'Hyères
et de la presqu'île de Giens.
 
* * * * *
 
Telle était l'incomparable retraite où Simone Mervil était venue
chercher un peu d'apaisement pour son cœur, de l'énergie pour sa
volonté.
 
Tout de suite, elle en éprouva quelque bien-être. La transformation
radicale du cadre extérieur, cet air léger, suave, caressant, du
printemps méridional, ou bien ces âpres souffles de mistral qui lui
brutalisaient la chair,toute cette transplantation hors du morbide
milieu où elle avait contracté sa cruelle maladie d'âme,furent
pour Simone l'immédiate occasion d'un soulagement délicieux. Elle
respira, elle sourit; l'oubli vint, presque l'espoir. Sa faute,
si récente pourtant, subit un recul jusqu'en des lointains où les
contours s'effaçaient, et où s'effaçaient aussi la souffrance et
le désir. Elle écrivait journellement à Roger de douces lettres
mélancoliques, empreintes d'une mûre tendresse, un peu désabusée
d'elle-même peut-être, plus nuancée d'indulgence et de résignation que
d'enthousiasme, mais tendresse désormais impérissable et pétrie en la
substance même de ce douloureux cœur de femme. Son mari lui répondait
en courtes phrases, où elle eût souhaité sentir un peu de ce feu si
nécessaire pour soutenir l'effort de sa propre imagination. Elle y
reconnaissait trop ce sentiment robuste mais paisible que Mervil avait
souvent nommé «l'amitié conjugale», et qu'elle ne pourrait plus jamais
confondre avec l'amour. Mais, convalescente de sa crise passionnelle,
Simone acceptait sans amertume ce régime sentimental, comme les
convalescents des crises physiques acceptent les viandes blanches et
les aliments légers, que requiert l'affaiblissement de leurs organes.
 
Mme Mervil trouvait d'ailleurs dans le séjour de ce qu'on appelait «le
château d'Hyères» une joie presque inattendue, la joie d'une sympathie
plus vive que jamais entre elle-même et Gisèle. Leur intimité les
ravissait. Entre les deux jeunes femmes, c'étaient des causeries qui
se prolongeaient des heures entières, et dont il fallait les arracher
pour une excursion ou pour un repas. La compréhension de toutes les
fatalités de l'amour, que Simone venait d'acquérir à ses dépens, lui
ouvrait le cœur plus largement qu'autrefois pour cette Gisèle charmante
et folle, dévorée de rêves, assoiffée de sensations extraordinaires,
et, malgré tout, restée, sous ses excentriques dehors, plus pure
qu'elle-mêmeelle-même, la correcte et inattaquée Simone Mervil! Car
Mme Chambertier n'avait pas d'amant. Elle l'eût dit à Simone. Ne lui
avouait-elle pas qu'elle attendait d'aimer pour se donner tout entière,
sans le moindre remords, sans la moindre considération envers cette
institution du mariage qu'elle déclarait ignoble et d'une monstrueuse
hypocrisie?
 
Vois-tu, vertueuse petite Simone, disait-elle avec une taquinerie
gentille, tu me demanderas pourquoi j'ai consenti à épouser Édouard
Chambertier. Tu me diras qu'il était plus riche, beaucoup plus riche
que moi, que j'aurais dû ne pas accepter les privilèges du mariage du
moment que je n'en acceptais pas les inconvénients. Et tu raisonnerais
de travers, madame la Sagesse. Car, lorsque mes parents m'ont dit:
«Tu l'épouseras», je ne savais pas plus ce que j'allais faire ou ce
que j'allais éprouver que si l'on m'avait dit: «Tu vas être changée
en autruche». Sais-tu quels seraient tes peines et tes plaisirs si, à
un certain âge, les nécessités sociales te changeaient en autruche?
Non, n'est-ce pas? On t'assurerait que là seulement sont le bonheur et
la vertu pour une femme... Alors tu te dirais: «Soyons autruche». Et
ensuite?... Oui, ensuite, il serait trop tard.
 
Mais, répliquait Simone en rougissant, sais-tu de façon plus certaine
ce que c'est qu'aimer en dehors du mariage? C'est encore l'inconnu,
cela, un inconnu plus hasardeux peut-être...
 
Gisèle se mettait à rire.
 
Que veux-tu? Lorsque, avant d'épouser Édouard, je demandais à ma
mère, ou même à mes jeunes amies mariées, ce que c'était que le
mariage, elles me répondaient par des banalités vagues, ou des blagues
énormes. Maintenant je puis encore moins consulter sur l'adultère les
femmes qui ont des amants, et j'imagine qu'elles seraient encore
moins expansives. Ah! il y a bien toi, Simonette; toi, tu me dirais
la vérité. Mais, voilà, tu ne veux pas prendre un amant pour rendre
service à ta vieille amie. C'est très mal, tu sais, d'être égoïste
comme ça.
 
Ah! disait Simone avec un frisson, je me figure que ce doit être
humiliant, abominable, ce partage, ces mensonges...
 
Qu'en sais-tu, innocente? D'abord, toi, tu adores ton mari. Et je
comprends ça, tu sais. Il est très chic, ton Roger. C'est un fameux
artiste. Ça vous empoigne, son _Roman de la Princesse_. On est fière
d'aimer un homme comme lui. Mais ce pauvre Chambertier! Voyons... Toi,
la vertu même, je te défierais d'être fidèle à Chambertier.
 
Gisèle se taisait une minute, avec, aux lèvres, un sourire terrible de
dédain. Puis, secouant la tête et d'une voix lente:
 
Avoir l'existence... toute une existence... Être assez belle pour être
aimée... Sentir du rêve plein son cœur et tous les bouillonnements de
la vie dans ses veines... Puis devenir vieille, et se dire au moment de
la mort: «Qu'ai-je fait de tout cela?» Réponse: «J'ai mis des toilettes
neuves toutes les saisons, j'ai donné de jolis bals, et j'ai prodigué
des joies honnêtes à un Édouard Chambertier.» Ah!...
 
Gisèle dressait son corps de fine panthère, pâlissait, frappait du
pied:
 
Ah! non, vois-tu... Si je n'avais pas d'autre espoir, j'aimerais mieux
mourir tout de suite.
 
* * * * *
 
Un matin, après déjeuner, Chambertier ouvrait le _Petit Var_, pour
chercher des noms de connaissance sur les listes d'étrangers que font
insérer les hôtels.
 
Il y a plus de départs que d'arrivées, remarqua-t-il. On voit bien que
la saison va finir.
 
Mais il eut une exclamation.
 
Ah! mesdames, une bonne surprise!...

댓글 없음: