2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 15

justice de femme 15


Madame Mervil n'avait pas été plus de quatre fois à Meudon.
 
En quittant la gare, elle montait vers la forêt. Par quelques détours,
elle dépistait les rares voyageurs qui, descendus en même temps
qu'elle, pouvaient observer où elle allait; puis, quand les chemins
avaient repris leur solitude d'hiver, entre les murs des jardins
flétris, silencieux, elle hâtait le pas. De loin, parmi les hachures
des branches noires, elle apercevait un toit d'ardoises à longue
pente, deux hautes cheminées de briques roses, une girouette et le
cône aigu d'un grand sapin,détails qu'elle ne devait plus oublier.
Elle distinguait aussi deux dragons japonais, en faïence bleue, qui
grimaçaient en haut des pilastres, de part et d'autre de la grille.
Mais elle n'allait pas jusque-là. Un sentier, se détachant de la route,
contournait la propriété. Elle s'y engageait, et son cœur battait plus
vite à l'aspect d'une petite porte verte, derrière laquelle sa pensée
voyait Jean d'Espayrac, qui l'attendait en arpentant pas à pas les
étroites allées du potager. Elle frappait imperceptiblement; mais,
si faible que fût le bruit, la clef aussitôt criait dans la serrure;
le beau visage du jeune homme apparaissait, avec tant de joie dans
les yeux, tant de baisers sur les lèvres, que Simone sentait monter
à sa tête les premières vapeurs de cette ivresse que son cœur déçu
s'obstinait à prendre pour de l'amour.
 
Tous deux couraient vite s'enfermer dans la maison, s'isoler de tout
dans une étroite pièce du rez-de-chaussée, dont les rideaux, malgré
les journées grandissantes du commencement de mars, étaient clos déjà,
les bougies allumées,le joli décor voluptueux, parfumé, fleuri,
empruntant un charme d'intimité, de mystère, à cette nuit artificielle.
L'imagination de Simone s'excitait aux suggestives incitations de ce
lieu inconnu, où elle ne pénétrait que pour aimer, dont elle ignorait
toute autre destination, n'en ayant point même exploré les alentours.
De toute la maison, elle ne connaissait que cette chambre.
 
Ah! elle devait bien se l'avouer,même lorsqu'elle se jurait de n'y
jamais revenir,elle y avait goûté la joie, si excessive pour toute
créature humaine, de tromper l'inassouvi qui veille dans le secret
de l'être, par la saveur inattendue d'un fruit nouveau cueilli sur
l'arbre des éternelles tentations. Elle y avait vibré de sensations
non éprouvées encore. Pour la première fois de sa vie, en l'étonnement
de ces extases du corps, qui laissaient ensuite son âme si vide et si
triste, elle avait discerné la différenceque bien des femmes, et les
meilleures sans doute, ne discerneront jamaisentre l'amour des sens et
l'amour du cœur, entre le plaisir et la tendresse.
 
Ces découvertes qu'elle faisait en elle-même, ce réveil de la passion
dans sa chair longtemps apaisée, cette intensité de sentiments
nouveaux, et même cette habileté de mensonge qu'elle ne se connaissait
pas, lui inspiraient tantôt une honte affreuse, tantôt un bizarre
orgueil. Lorsqu'elle quittait Jean, toute enfiévrée par les caresses,
toute grisée par les plus ingénieuses paroles d'adoration, elle
emportait autour d'elle une atmosphère d'exaltation qui lui ôtait
jusqu'au sens de sa faute. A ces moments-là, elle ne regrettait rien,
elle ne redoutait rien; une fièvre d'audace la soulevait, et le
moindre des hasards lui eût fait commettre la pire imprudence. Rien
ne lui importait plus que le rêve à peine fini qu'elle revivait par
le souvenir. Elle accomplissait le voyage de Meudon à la rue Ampère
sans presque s'en apercevoir, marchant, parlant comme une somnambule,
avec des yeux languissants et fixes qui ne voyaient pas les choses
extérieures.
 
Au seuil de sa maison, une secousse la réveillait. Le songe de
paradis se déformait en une vision trouble, obsédante. Quelque chose
d'affreusement pénible suspendait les battements de son cœur.
 
Puis, peu à peu, entre son mari et sa fille, une phase nouvelle se
produisait. La Simone perverse de Meudon s'endormait, disparaissait,
reculait à l'infini par une sorte de dédoublement. Et la Simone
paisible et honnête se retrouvait elle-même, se reprenait si fortement
qu'elle en arrivait à douter de l'existence de l'autre. C'est alors
qu'elle se jurait de ne plus retourner à Meudon; elle ne pouvait
concevoir même qu'il lui en revînt jamais le désir. La griserie
du rendez-vous était dissipée, et, à sa suite, naissaient des
humiliations, des dégoûts, que Simone empêchait de devenir des remords
seulement en s'affirmant son droit à la vengeance.
 
Mais, parfois, au moment même où elle en arrivait à se demander si
elle aimait encore, si elle avait aimé Jean d'Espayrac, le poète
paraissait... Oh! cette présence d'un être dont chaque parole, chaque
geste, ébranle une fibre au fond de nous-mêmes! Cette présence qui,
sous des yeux étrangers, devient une si douloureuse joie!... Mme
Mervil en éprouvait le trouble et le charme, et cet aigu besoin de
tête-à-tête qui saisit quand on a dû jouer devant des tiers la comédie
de l'indifférence. Alors Jean lui jetait à l'oreille, dans un coin
de salon, près de la portière de sa voiture, une heure, une date
prochaine... Et Simone se trouvait sans force pour dire non.
 
La seule chance qui restait à la pauvre femme de se reprendre était
qu'une séparation de quelque durée éloignât M. d'Espayrac.
 
* * * * *
 
Or il y avait plusieurs jours qu'elle n'avait vu son amant, lorsque
Mme Mervil, éclairée tout à coup par la vision de loyauté, de dignité,
de tendresse, qu'évoquèrent à ses yeux les paroles de son mari, eut la
notion réelle de sa propre démence, de l'abîme où elle s'enfonçait,
de l'irrémissible souillure dont elle avait flétri sa vie. Elle se
trouvait donc dans une période de force relative, et elle sentait que,
si elle ne tranchait pas à l'instant même, si elle ne profitait pas de
cette exceptionnelle minute où la figure de son Roger resplendissait
presque sublime, si elle attendait que les trivialités journalières
eussent émoussé son enthousiasme, surtout si elle revoyait Jean,
s'il la tenait sous le charme avec la voix, avec les yeux, avec les
lèvres... Ah! son raisonnement s'arrêtait à de si brûlantes images.
Elle n'osait même pas y songer.
 
Mais que faire?... Quel prétexte invoquer pour éloigner M. d'Espayrac,
ou pour fuir elle-même?... Quel subterfuge assez violent ou assez fin
découragerait pour toujours cet homme très véritablement épris?... A
quelle extrémité de dépit ou de douleur ne se jetterait-il pas?...
Comment la jugerait-il?... N'allait-il pas la mépriser?... N'allait-il
pas la haïr?...
 
En se posant ces questions insolubles et terrifiantes, Simone se
tordait d'angoisse, la nuit, dans le grand lit conjugal; et, pour ne
pas éveiller Mervil, elle plongeait sa bouche sanglotante et convulsive
dans l'épaisseur des oreillers. Ah! les lentes heures de ces nuits de
détresse, ne commençaient-elles pas à payer déjà les courtes heures
des nuits artificielles que marquait naguère une petite pendule de
voyage apportée par Jean d'Espayrac dans la villa de Meudon? Oui, bien
courtes elles avaient été, celles-ci. En les additionnant, à peine en
pourrait-on faire un jour. Finies?... Déjà?... Pour jamais?... Il le
fallait bien. Ah! le malheureux Jean! Elle le voyait, allant et venant
derrière la petite porte verte, ou bien assis dans le réduit d'amour,
le front dans ses mains, dévoré par le tourment des vaines attentes.
Mais quoi! n'allait-elle pas pleurer sur son amant après avoir pleuré
sur son mari?... Étonnantes complications du cœur humain! Mystérieuses
fatalités de l'existence humaine!
 
Pendant plusieurs jours, Simone se dit malade, et, par instants,
eut l'espoir de l'être en réalité. Roger, très inquiet de constater
l'extrême abattement de sa femme, très attendri encore par leur
explication récente, par la frayeur dont l'avaient secoué les allusions
à Netty Davidson, par le renouveau de passion que ses regrets
avivaient dans son cœur, entoura cette blanche créature souffrante de
soins ingénieux et charmants, qui semblaient, à chaque fois,chose
étrange,la rendre un peu plus pâle, plus douloureusement rêveuse, en
même temps que plus humblement reconnaissante.
 
M. d'Espayrac venait tous les jours prendre des nouvelles. Parfois il
déjeunait ou dînait avec Mervil et Paulette. Il osa demander à voir la
malade, car il apprit qu'elle n'était pas couchée, mais étendue sur sa
chaise longue. On envoya la femme de chambre demander à Madame si elle
pouvait le recevoir. Simone fit dire qu'elle souffrait trop de la tête,
qu'elle regrettait beaucoup, que c'était impossible.
 
Un vague malaise commençait à troubler Jean. Sa maîtresse ne lui avait
point écrit, ne lui avait rien fait dire. Il se consolait en songeant
que Mme Mervilau contraire de la plupart des femmesn'abusait pas de
la plume et du papier, répugnait plutôt à sentir des morceaux de son
cœur traîner sous les doigts des employés de la poste et dans les loges
des portiers. Malgré cela, maintenant, d'Espayrac ne rentrait plus dans
son joli hôtel gothique de la rue de la Faisanderie, sans se sentir
traversé par un éclair d'espoir anxieux.
 
Pas de lettres pour moi, Paul? disait-il à son valet de chambre.
 
Pardon, monsieur, répondait l'homme, en tendant le petit plateau
d'argent.
 
Ou bien il ajoutait:
 
Je les ai montées... Monsieur les trouvera sur son bureau.
 
Mais, parmi les enveloppes hâtivement déchirées, il n'y avait rien de
Simone.
 
D'Espayrac soupçonnait quelque chose de la vérité. Il avait une trop
haute opinion de Mervil, et il devinait trop la nature de Simone,
pour croire que ce mari serait jamais définitivement remplacé dans
le cœur de cette femme. D'ailleurs, quelque très vive passion qu'il
éprouvât pour Mme Mervil, les notions d'absolu et d'éternité ne se
mêlaient pas aux songeries amoureuses dans son cœur de Parisien. Mais
il croyait pouvoir offrir à cette fine mondaine, en qui s'éveillaient
les curiosités et les désirs de la seconde jeunesse, tout ce qu'un
intellectuel comme Mervil, oublieux et dédaigneux des sens, était
incapable de lui donner. A voir les étonnements extasiés de Simone,
à sentir la puissance des liens dont il l'enlaçait, Jean s'était
persuadé que l'ivresse était complète, les remords vaincus, et que, de

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