2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 2

justice de femme 2



Jean d'Espayrac devait donc à sa naissance, à son éducation, à son
horreur pour toute vulgarité, de composer des vers élégants et d'une
fine sonorité de cristal, au lieu de chansons à boire et de sensuelles
ballades. Mais, comme il se fermait ainsi volontairement la chaude
source d'inspiration palpitante au fond de lui dans son cœur, dans ses
entrailles, et qu'il n'en trouvait pas une autre dans son cerveau peu
coutumier d'abstractions, il empruntait au dehors. Il se livrait à des
adaptations de poètes anglais; il attendait le soutien de la musique,
qui soulevait et portait quelque temps ses frêles rimes. D'ailleurs
Jean n'avait pas l'ombre de prétention pour ses œuvres; il ne se
croyait pas doué de génie. Cette modestie était peut-être la meilleure
de ses qualités littéraires.
 
Simone Mervil, la jeune femme de son collaborateur,elle qui commençait
à le connaître,lui dit en souriant:
 
Ainsi, c'est donc bien vrai? Vous êtes venu pour travailler?
 
Mon Dieu, oui, madame... Et je suis bien fâché de ne pas rencontrer
Mervil. J'avais des variantes à lui soumettre.
 
Des variantes?... Pourquoi?... La pièce marche si bien! On applaudit
tout.
 
Oui... la musique... dit gracieusement d'Espayrac.
 
Il expliqua que, dans les airs vifs ou passionnés, l'accord entre la
mélodie et les paroles était généralement très juste, très complet,
mais que, dans les phrases tendres ou mélancoliques, certaines
sécheresses d'__EXPRESSION__ contrastaient encore avec la douloureuse
douceur du chant.
 
Je voudrais bien, dit-il, effacer de pareilles taches. Voyez-vous,
j'en ai des remords, quand je songe que l'on me fait partager l'énorme
succès de Mervil.
 
Simone fut touchée. Elle était si fière de son mari! D'ailleurs cette
générosité de langage était, à ce qu'elle avait cru remarquer, peu
fréquente chez les artistes. Leur mépris mutuel s'étale d'une façon
qui, malgré l'habitude, lui paraissait toujours choquante. Roger
lui-même avait des crises de personnalité féroce, dont l'injustice et
la mesquinerie la gênaient.
 
Il y a, continuait Jean d'Espayrac, un passage qui me désespère. C'est
la célèbre romance: «_Tears, idle tears..._» dont votre mari a fait un
pur petit chef-d'œuvre musical.
 
Mais, dit Simone, vos paroles sont délicieuses.
 
Et elle se mit à fredonner:
 
«_D'où venez-vous, larmes folles,_
_Vaines larmes, dans mes yeux?_»
 
Et la fin, comme c'est joli:
 
«_Nous venons, ô cœur blessé!_
_Des longs jours de ton passé._»
 
Oui... le commencement, la fin... reprit d'Espayrac avec un air
piteux. Mais c'est le milieu qui ne va pas. Il y a des mots très
mauvais. Ah! cette langue française est détestable pour le chant!
 
Et, rageur, il récita:
 
«_D'où venez-vous, larmes folles,_
_Vaines larmes, dans mes yeux?_
_L'automne, tiède et joyeux,_
_Luit au fond des calmes cieux,_
_Sur les grands champs bénévoles._
_D'où venez-vous, larmes folles?..._
 
_Nous venons, ô cœur blessé!_
_Des longs jours de ton passé._»
 
... «Les grands champs bénévoles...» Pour: «_The happy
autumn-fields_». D'abord, c'est idiot. Ensuite l'actrice qui chante ça
en gagne une crampe dans la mâchoire.
 
Simone éclata de rire:
 
Pourquoi l'avez-vous mis alors?
 
Jean répondit avec un désespoir comique:
 
Parce que je n'ai pas trouvé autre chose.
 
Tenez, dit Simone, rassemblant des feuilles de papier qui jonchaient
l'immense bureau de son mari. Et tenez, répéta-t-elle, allant en
prendre d'autres sur le piano à queue. Voilà comment fait Roger quand
il ne trouve pas tout de suite.
 
Les pages, rayées par les lignes des portées et constellées
d'hiéroglyphes, étaient en outre balafrées de ratures, égratignées
de furieux coups de plume, écartelées de grands traits en croix,
destructifs. D'Espayrac, en y jetant les yeux, crut voir les prunelles
en feu de Mervil flamber dans la pâleur de son visage trop long, trop
fin, sous le front déjà dégarni; il vit la haute taille, trop grêle, se
voûter un peu; il songea que le musicien avait au moins douze ans de
plus que lui-même... Et, relevant son regard sur la jeune femme qui se
tenait à son côté:
 
Hein? fit-il, avec une gaieté un peu ironique sur sa physionomie de
mâle superbe, ça ne doit pas faire un mari commode. S'il vous traite
comme ses partitions...
 
Ah! s'écria Simone avec chaleur, c'est le meilleur des hommes.
 
Au fond, tout au fond, n'est-ce pas? Mais à la surface... un peu
rugueux, un peu brusque. Et puis...
 
Et puis?... répéta-t-elle ouvrant tout grands ses limpides yeux de
blonde.
 
D'Espayrac ricana légèrement, sans répondre.
 
Que vous êtes méchant, monsieur d'Espayrac! s'écria Simone avec une
jolie intonation de petite fille fâchée. Je vous comprends bien, allez!
Vous voulez me faire croire que Roger me préfère la musique.
 
Cette fois, le jeune homme eut un rire franc, prolongé en une roulade
joyeuse.
 
Ce n'était pas la première fois que Simone entendait ce beau rire
clair, ce rire perlé comme un rire de femme, qui éclatait parfois,
non sans bizarrerie mais avec un singulier charme, sur ces lèvres
moustachues de mousquetaire, entre ces dents étincelantes de bel animal
vigoureux et sain, ces fortes dents blanches aiguisées par tous les
appétits.
 
Elle rit elle-même.
 
La musique, je n'en suis pas jalouse. J'aime cent fois mieux l'avoir
pour rivale que...
 
Que... des femmes?
 
Un petit air belliqueux anima soudain la charmante figure de Simone.
Ses sourcils se froncèrent, son regard pétilla, son petit menton se
releva, comme par défi.
 
Oh! oh! dit Jean, très amusé, très piqué de curiosité. Ce serait si
grave que cela? Et, voyons, qu'est-ce que vous lui feriez, s'il vous
trompait?
 
Des choses terribles.
 
Vous le tueriez?
 
Oh! non, je l'aime trop.
 
Vous tueriez la femme?
 
Pouah! Oh! non. Ça me dégoûterait comme d'écraser un crapaud. Puis ce
serait lui faire trop d'honneur, à elle.
 
Alors, vous... Vous lui rendriez la pareille?... Vous le tromperiez à
votre tour?
 
Tout de suite!... Oh! je voudrais qu'il souffrît juste de la façon
dont il m'aurait fait souffrir.
 
Bravo! dit Jean. Vous êtes dans les bons principes: Trompe-moi, je
te trompe. Pas de dénouement sanglant. Et tout le monde y gagne. Je
souhaite pour mes contemporains que Mervil vous fasse des traits.
 
C'est très laid, ce que vous dites là, monsieur d'Espayrac. Adieu, je
me sauve. Roger n'approuverait pas que je cause plus longtemps avec un
mauvais sujet comme vous. D'ailleurs, j'ai un tas de visites, je vais
être en retard... Oh! vous ne savez pas?...
 
Quoi donc?
 
J'étrenne mon coupé, le coupé que Roger devait me donner dès qu'il
aurait une pièce à succès.
 
Parbleu, je sais bien, dit Jean. C'est moi qui l'ai commandé. Un coupé
bleu, à filets orange, modèle anglais, caisse profonde. Et là dedans,
vous avez la glace, la petite pendule... Une autre pendule devant le
cocher, sur le siège... Enfin, je crois que rien n'y manque.
 
Comment?...
 
Mais oui... Est-ce que ce pauvre Mervil s'entend à ces

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