Justice de femme
Justice de femme
Author: Daniel Lesueur
_POÉSIE_
FLEURS D'AVRIL, ouvrage couronné par l'Académie française.
1 vol. 3 »
SURSUM CORDA, pièce de vers ayant remporté le grand prix de
poésie à l'Académie française. 1 vol. » 75
UN MYSTÉRIEUX AMOUR, 1 vol. 3 50
RÊVES ET VISIONS, ouvrage couronné par l'Académie française.
1 vol. 3 »
POUR LES PAUVRES, 1 vol. in-4ᵒ, papier vergé. 3 »
_ROMAN_
LE MARIAGE DE GABRIELLE, ouvrage couronné par
l'Académie française. 1 vol. 3 50
L'AMANT DE GENEVIÈVE, 1 vol. 3 50
MARCELLE. 1 vol. 3 50
AMOUR D'AUJOURD'HUI. 1 vol. 3 50
NÉVROSÉE. 1 vol. 3 50
UNE VIE TRAGIQUE. 1 vol. 3 50
PASSION SLAVE. 1 vol. 3 50
L'AUBERGE DES SAULES, illustré par Jeanne Lemerre
et Henri Pille. 1 vol. 9 »
_TRADUCTION_
LORD BYRON, Œuvres complètes. Tome I (_Heures d'Oisiveté,
Childe Harold_) précédé d'un _Essai sur Lord Byron_.
1 vol. in-12, papier vélin, orné d'un portrait de
Lord Byron. 6 »
Tome II (_Le Giaour, La Fiancée d'Abydos, Le Corsaire,
Lara_, etc.) 6 »
_SOUS PRESSE_
LORD BYRON, tome III 1 vol.
STERNE, _Voyage sentimental_ (traduction nouvelle) 1 vol.
_EN PRÉPARATION_
HAINE D'AMOUR, roman 1 vol.
_Tous droits réservés._
DANIEL LESUEUR
Justice de Femme
[Illustration]
_PARIS_
ALPHONSE LEMERRE, ÉDITEUR
23-31, PASSAGE CHOISEUL, 23-31
M DCCC XCIII
[Illustration]
Justice de Femme
I
Voici du papier, de l'encre... un porte-plume... Qu'est-ce qu'il vous
faudrait bien encore?... Est-ce tout?... Aurez-vous assez chaud ici?...
Le valet de chambre veillera au feu. Mais, s'il ne venait pas à temps,
sonnez, n'est-ce pas?
Puis, avec un mouvement vers la cheminée, un air de jolie sollicitude
pour son hôte, Mme Mervil ajouta:
—Le timbre est ici, à droite. Vous sonnerez deux fois, s'il vous plaît,
pour le valet de chambre.
Elle s'arrêta, promena tout autour de la pièce le regard de ses yeux
jeunes et clairs, puis le ramena, interrogateur, sur Jean d'Espayrac.
N'oubliait-elle pas quelque chose?
Il la contemplait silencieusement. Une rougeur très fine courut sur ce
délicat visage féminin, d'une telle transparence de peau que la plus
fugace vibration nerveuse y projetait un reflet.
—Allons, adieu, reprit-elle, tendant sa main gantée,—car elle était
tout habillée pour ses visites de l'après-midi.— Resterez-vous à dîner
avec nous? Attendrez-vous au moins Roger?
—Cela dépend, répondit M. d'Espayrac. J'aurais voulu lui montrer tout
de suite mes corrections. Mais quand rentrera-t-il? _That is the
question._
Cette citation par trop usée semblait ici naturelle, sur les
lèvres de ce poète mondain, connu pour l'intimité de son commerce
intellectuel avec les auteurs d'outre-Manche. Jean d'Espayrac avait
mis en vers très français des sentimentalités et des rêveries très
anglaises. Il avait fait jouer—avec des demi-succès de politesse et de
camaraderie—quelques-unes de ses «adaptations», sur différentes scènes
de genre. Mais, depuis quelques semaines, il atteignait à la grande
notoriété. Le théâtre des FANTAISIES-LYRIQUES faisait le maximum de
recette chaque soir avec son _Roman de la Princesse_. Il n'était pas
le seul auteur de cette jolie opérette. D'abord, et comme pour ses
précédentes œuvres, il avait emprunté l'âme et les ailes de sa pièce
au génie anglo-saxon. La _Princesse_ de Tennyson lui avait fourni
le sujet, avec les plus charmants détails. En outre, les mélodies
du compositeur Roger Mervil faisaient de ce gracieux spectacle un
véritable enchantement. Elles étaient, ces mélodies, d'une limpidité,
d'une légèreté, d'une tendresse dans leur mélancolie et d'un imprévu
dans leur grâce, qui surprirent, saisirent, troublèrent jusqu'en leurs
plus inertes fibres les petites âmes rétives des Parisiennes, avant que
celles-ci eussent le temps de se demander si c'était là de la musique
savante et de la musique de demain. Le «chic» n'eut rien à voir dans
le plaisir ni dans l'attendrissement des spectatrices, et elles furent
émues sans savoir si leur émotion était à la mode.
Le _Roman de la Princesse_ était le plus vif succès de théâtre de cette
fin d'année. A Roger Mervil, déjà presque célèbre, il apportait un
triomphe qui promettait de se traduire, cette fois-ci,—la première,—par
de très grosses sommes d'argent. A Jean d'Espayrac, déjà riche, il
conférait pour de bon le titre de poète. «Enfin,» disait celui-ci
avec un soupir de satisfaction comique, «je ne serai plus: ce jeune
homme qui conduit si divinement les cotillons et qui fait si bien les
vers!...»
M. d'Espayrac avait vingt-six ans. Sa taille d'athlète, sa grosse
moustache fauve, la hardiesse grave de ses yeux bleu sombre, la
décision de ses gestes sobres, le faisaient paraître plus proche de
la trentaine. Ce n'était pas la délicatesse de son tempérament, ni les
nostalgies de sa pensée, qui forçaient sa main, si robuste en dépit
de la finesse de race, à tracer sur du papier blanc de petites lignes
noires avec une rime au bout. Non, cet heureux homme faisait des vers
comme il faisait des armes: pour laisser déborder au dehors le trop
abondant flot de vie qui roulait dans ses souples muscles ainsi que
dans son tranquille cerveau. Cela lui venait tout seul, voilà pourquoi
il écrivait. Cette facilité, jointe à l'exubérance de ce que Montaigne
eût appelé «ses esprits animaux», risquait de le porter à choisir, en
fait de muse, quelque belle fille bien débraillée, ayant son franc
parler gaulois. De fait, si d'Espayrac fût né dans le peuple, cette
fin de siècle eût possédé en lui son petit Villon, avec la potence
en moins, ou son Scarron grandi, avec les deux jambes en plus. Mais
Jean était l'unique héritier d'une famille très authentiquement
noble. Son nom sonore était bien à lui; ce n'était pas un pseudonyme
à fracas, ainsi que les bons petits confrères voulurent d'abord le
croire et le faire croire au lendemain de son succès. Le milieu où
il avait été élevé, c'était—dans le faubourg Saint-Germain—un vieil
hôtel imposant et maussade, où l'atmosphère du siècle semblait ne pas
pénétrer, et où il avait grandi entre une mère pieuse et un précepteur
ecclésiastique. Cet hôtel venait d'être démoli pour le prolongement du
boulevard Saint-Germain, et lorsqu'il se représentait maintenant la
morne demeure, Jean rendait grâce à la République de l'avoir exproprié.
D'autant plus que sa mère, Mme d'Espayrac, étant morte avant la
décision du Conseil municipal, n'avait pas eu le cœur secoué par les
pénibles soubresauts dont l'eût torturée, même à distance, la pioche des démolisseurs.
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