justice de femme 9
Les coquines qu'ils fréquentent, peut-être... Mais ça, c'est bien
fait! Ils n'ont que ce qu'ils méritent. Et puis, nous ne parlons pas de
ces créatures-là. Ce ne sont pas des femmes.
—Et qu'est-ce que c'est donc? demanda Roger.
Les yeux clairs de Simone le toisèrent sans qu'elle répondît.
—Si ce ne sont pas des femmes, reprit Mervil, pourquoi vous en
montrez-vous toutes si férocement jalouses?
—Jalouses! Ah! non, par exemple. Seulement nous méprisons les hommes
qui nous quittent, nous, pour aller se faire bafouer par ces espèces-là.
—Oh! oh! ricana Mervil, ça se gâte. Mon pauvre Jean, nous allons en
entendre de dures.
—Toi peut-être, dit Jean. Mais moi, je ne rentre pas dans cette
catégorie. Je suis de l'avis de Mme Mervil. Je n'apprécie guère ce que
mon épicier peut avoir pour la même somme que moi.
—Bravo, monsieur! dit Simone avec un charmant sourire.
—Voyez-vous le malin! s'écria Mervil. Tu es très fort, tu sais.
—Non, ma parole! Je dis ce que je pense.
Il se pencha vers le compositeur, prononçant à mi-voix, mais assez haut
pour être entendu de Mme Mervil:
—Les promiscuités m'écœurent. Je ne voudrais pour rien au monde, par
exemple, me mettre dans une baignoire de ces établissements de bains
publics...
Mervil eut un ricanement d'incrédulité.
—Eh bien, et en voyage, comment fais-tu?
—Je trouve partout un seau d'eau, et comme j'emporte une grosse
éponge...
—Ah! oui, pour le bain... Mais... le reste?
—Je m'en passe. Mais je voyage si peu, ajouta d'Espayrac. Les lits et
les tables de hasard n'ont, je l'avoue, aucun charme pour moi.
Simone comprit fort bien ces phrases rapides, énoncées d'un ton à peine
assourdi. Les deux hommes, d'ailleurs, en avaient dit parfois de plus
fortes en sa présence, et elle ne s'effarouchait pas d'être traitée
un peu en camarade. Seulement, quand un sujet devenait scabreux, elle
s'abstenait de mettre son mot. Elle se taisait donc et regardait Jean.
Un immense plaisir lui venait de l'entendre exprimer des délicatesses
tellement rares chez un garçon de vingt-six ans. Elle ne doutait pas
qu'il ne fût sincère. Et il l'était en effet, surtout en ce moment.
Car on devient, à certaines heures, le personnage que l'on se croit.
Et Jean d'Espayrac n'éprouvait, en présence de Simone, que les plus
raffinés des sentiments dont il était capable.
Mervil, qui, ce soir, n'avait aucune raison de poser, ni devant
lui-même, ni devant sa femme ou son ami, conservait le désavantage
d'une candeur légèrement cynique, et, en outre, ne résistait pas au
désir de taquiner Simone. Depuis quelques jours, il devenait agressif,
parce qu'il la sentait sourdement hostile. Il développa donc la théorie
qu'il savait la plus exaspérante pour elle.
—Moi, dit-il, j'affirme que la trahison de l'homme n'est pas à comparer
à celle de la femme, ni dans le principe, ni dans les résultats. Un
mari peut adorer sa femme et s'oublier un soir dans une bonne fortune
de rencontre. Une femme, elle, ne se donne que lorsqu'elle aime, ou,
tout au moins, se persuade ensuite qu'elle est irrésistiblement éprise.
Pour se créer à elle-même une excuse, elle se crée une passion. Et
puis... il y a les conséquences.
—Les conséquences! reprit vivement Simone. Oui... l'enfant. Et
encore... Ce ne sont pas les enfants qui compliquent beaucoup de
nos jours les situations amoureuses. Nous en avons si peu, des
enfants! Mais la trahison du mari n'a-t-elle pas de conséquences? Ne
peut-elle pas désillusionner la femme, la désespérer, la pousser aux
représailles, devenir pour elle un ferment de douleur, de dépravation
peut-être?...
Mervil eut, de nouveau, son petit ricanement ironique.
—Ma chère, quand la femme se venge en se dépravant, comme tu dis,
c'est qu'elle n'a pas eu le temps de commencer la première. Les femmes
sont des êtres inférieurs, qui suivent leur instinct sans se laisser
influencer par les raisonnements ni par les circonstances. Quand
l'instinct est bon, elles nous aiment et se résignent à ce qu'elles ne
sauraient empêcher. Quand l'instinct est mauvais, elles nous trompent,
et nous tromperaient quand même. J'ajoute que, généralement, en ce cas,
elles nous trompent d'autant plus qu'elles sont plus sûres de nous.
Nous ne gagnerions rien à leur être fidèles.
—Vous l'entendez, monsieur d'Espayrac? dit Simone.
Le ton de la jeune femme eût fait réfléchir un mari moins confiant
ou moins maladroit que Roger Mervil. Mais celui-ci, comme tant
d'autres,—comme tous les autres,—superposait à la personnalité de
sa compagne une créature de sa fabrication, dont il croyait si bien
connaître tous les ressorts qu'il en perdait la faculté d'observer
les plus fins changements d'intonation dans cette voix ou de nuance
sur cette physionomie. Roger ne vit donc pas que Simone était pâle
d'indignation, pâle jusqu'aux lèvres, et il ne perçut pas que la
frivolité railleuse qu'elle venait de mettre dans sa question sonnait
faux.
Jean d'Espayrac—qui, pour être clairvoyant, possédait toutes les
raisons que le mari n'avait plus—éprouva jusqu'au fond de son être
la commotion de l'état nerveux qu'il découvrit chez Simone. La
trépidation contenue de colère secouant cette jolie femme qu'il avait
crue, jusqu'ici, plutôt inerte, indifférente, produisit, chez lui,
une commotion sensuelle, violente et aiguë comme un coup de fouet.
Brusquement il passa de la sentimentale attirance au désir passionné.
Cette frêle Parisienne blonde, ce «petit glaçon» des bonnes langues
mondaines, pouvait donc s'animer, vibrer ainsi? Parut-elle vraiment
différente d'elle-même ou ne fut-ce pas plutôt lui qui se découvrit au
cœur quelque chose de très inattendu? «Mais j'en suis fou!» pensa-t-il.
Et l'aveu, sans doute, passa dans ses yeux fixés sur elle, car Simone,
de blanche qu'elle était, devint toute rose, tandis que M. d'Espayrac
répondait simplement:
—Ne croyez donc pas votre mari, madame. Il ne pense pas un mot de ce
qu'il dit.
Un moment après, vers dix heures, le domestique apporta, pour M.
Mervil, quelques lettres sur un plateau. Roger demanda la permission de
les lire, et s'assit à une petite table, sous la lumière d'une lampe
minuscule, coiffée de son abat-jour en froufrou.
—Faites faire du thé, dit Mme Mervil au domestique. Vous en prendrez,
n'est-ce pas, monsieur? ajouta-t-elle avec un regard vers Jean.
—Oh! moi, madame, je n'ai pas d'objection. Mais si vous en faites
prendre à Mervil tous les soirs...
—Il n'y a pas de danger! dit Simone. Nous prenons du tilleul, lui et
moi.
—Eh bien, madame, je vous en prie, offrez-moi donc aussi du tilleul.
Ce ne sera pas la première fois que j'en prendrai. Le tilleul est à la
mode.
—Ah! oui, reprit Simone, c'est la boisson qu'on sert à présent dans nos
salons de névrosés.
—Moi, dit Mervil qui se levait, j'en bois pour tenir compagnie à cette
jeune dame. Je n'en ai pas besoin, mais elle!... Ah! d'Espayrac,
heureux garçon, vous n'êtes pas marié, vous ne savez pas ce que c'est
que les crises de nerfs.
Il prononça _nerffes_. Décidément, ce soir, il semblait s'être proposé
la gageure de déplaire à Simone aussi parfaitement que possible. Il
fut le seul à rire de sa plaisanterie,—une vieille plaisanterie, bien
usée, mais qui lui servait toujours, avec quelque demi-douzaine du même
calibre, à se figurer, lui, ce rêveur, qu'il avait l'esprit facétieux.
—Vous m'excusez? dit-il en prenant le bouton de la porte. Un mot
seulement à répondre tout de suite. Je monte et je redescends.
Jean et Simone restèrent seuls. Certes, ce n'était pas la première
fois. Pourtant jamais ils n'avaient constaté entre eux cette gêne
singulière. Une minute se passa dans un silence de plus en plus
difficile à rompre. Et, peu à peu, ce silence prenait une signification
tellement nette qu'ils n'eussent plus osé se regarder. A la fin, M.
d'Espayrac, sans trop savoir ce qu'il disait, ni quel était l'à-propos
de la phrase qu'il allait prononcer, murmura d'une voix caressante:
—Vous avez en moi le plus dévoué, le plus respectueux des amis. Le
croyez-vous, madame?
—Oui, je le crois.
Et, tout de suite, sentant la pente, le danger, avec ce besoin qui
harcèle toute femme de se justifier à elle-même ses propres sentiments,
elle expliqua:
—J'ai tant de confiance en vous! Votre nature est si loyale, si
délicate! Ah! vous ne ressemblez pas aux autres hommes.
—Non, c'est vrai, dit Jean, avec la meilleure foi du monde. Mais vous
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