2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 18

justice de femme 18


Ça te passera, dit Gisèle. J'ai éprouvé cette maladie-là, mais je
suis bien résolue à en guérir, par exemple!
 
Tu y connais un remède?
 
Je crois sincèrement qu'il n'y en a qu'un.
 
Et lequel?
 
Un bel et bon amour, dans lequel on se lance à plein cœur. Quelque
folle toquade qui vous fasse marcher sans les voir sur toutes les
conventions, les ennuis et les hontes de cette bête d'existence. Un
être qui vous ensorcelle, qui vous tourmente et qui vous intéresse...
Un _flirt_, comme disent nos hypocrites amies de là-bas... Dieu! que je
trouve ce mot lâche et laid! Pourquoi ne pas dire: un amant?
 
Simone n'essaya point de répondre. Un doute lui venait. Ce bonheur
que vantait Gisèle, ce bonheur coupable et caché, avait peut-être, en
effet, un prix incomparable. N'y avait-elle pas trouvé des joies, des
émotions, que la vie ne lui offrirait plus? N'était-ce pas seulement un
absurde scrupule qui le lui avait empoisonné? Elle était près d'envier
l'audace et la passion de son amie. Ne regretterait-elle jamais ce
qu'elle allait perdre? Elle pouvait encore étendre la main et ressaisir
ce rêve de félicité,ce rêve qui, près de s'évanouir, prenait une
singulière puissance de charme et de séduction... L'image de Jean
passa devant ses yeux... Une intolérable convulsion d'angoisse lui fit
défaillir le cœur.
 
Qu'as-tu? dit Gisèle en lui mettant un bras autour de la taille. Tu
es toute pâle... Mais tu as les larmes aux yeux, petite Simone! Oh! ce
n'est pas bien d'avoir un chagrin et de ne pas me le dire.
 
Non, ce n'est rien, répondit Mme Mervil. Je t'assure que je n'ai
rien... C'est trop bête!
 
Les deux jeunes femmes s'étaient éloignées du village, et venaient de
s'engager dans un petit sentier surplombant la mer.
 
Ta belle-mère et ton mari doivent nous attendre. Viens, retournons,
reprit Simone.
 
Car elle avait peurdans son troublede se laisser amollir par cette
amicale tendresse, par cette complicité câline de femme qui pressent
et absout l'amour; elle avait peur de trahir, par une parole ou par
un sanglot, son torturant secret. Et, d'autre part, ce secret, une
invincible pudeur d'âme le scellait au bord de ses lèvres; elle sentait
que les plus fines nuances de ses sentiments resteraient inexprimées,
insaisissables; elle savait que les subtilités de sa conscience, ses
doutes, les bizarres dédoublements de sa sensibilité, ne seraient pas
compris... Donc elle se raidissait contre l'instinctif besoin de faire
toucher les plaies de son cœur à une main légère, caressante...
 
Gisèle maintenant l'embrassait, l'attirait contre elle, tout
impressionnée par ce silence au fond duquel tremblait une douleur.
 
Alors, tu ne veux rien me dire? Tu n'as donc pas confiance en moi? Tu
ne m'aimes donc pas?
 
Ah! si, mignonne, je t'aime bien, toi, va! murmura Simone, en appuyant
sa tête sur l'épaule de son amie.
 
Mon Dieu! que tu es jolie! s'écria Gisèle, qui l'écarta pour tâcher de
lire dans les yeux clairs aux cils mouillés. Peut-on avoir des idées
noires quand on est jolie comme ça? Dis donc... ajouta-t-elle tout bas
avec un clignement de paupières, il n'est pas à plaindre, celui pour
qui tu pleures.
 
Je ne pleure pour personne.
 
Allons donc! Est-ce qu'à notre âge il y a d'autres peines que les
peines de cœur? Ah! si j'étais un homme, je saurais comment m'y prendre
pour sécher ces beaux yeux-là.
 
Leur pensée ne dépassa point le badinage de cette câlinerie. Mais,
inconsciemment, l'amour dont elles avaient parlé, dont elles
frissonnaient sourdement, dont elles étaient pétries, mettait une
suavité sur leurs lèvres, une trouble douceur au fond de leurs yeux. Et
la secrète alliance contre l'hommecontre l'homme dont elles avaient
souffert, dont elles souffriraient encore puisqu'elles aimeraientles
faisait se serrer plus étroitement l'une contre l'autre.
 
Enfin, vous voilà! dit la voix de Chambertier. Et vous êtes là,
installées, à vous faire des confidences!... Les femmes sont
extraordinaires, ma parole! Dans la voiture, vous n'aviez pas un mot
à dire; et maintenant, quand nous vous attendons... Mais c'est tout à
l'heure qu'il fallait vous dire tout cela: ça nous aurait amusés en
route.
 
Ah! oui, je ne dis pas. Ç'aurait pu vous amuser, dit tranquillement
Gisèle avec une froideur d'ironie qui fit un peu de mal à Simone.
 
Dépêchons-nous, reprit Chambertier. Nous passerons à la Tour-Fondue.
Il faut absolument montrer cela à Mme Mervil.
 
On remonta dans la voiture; les chevaux, qui somnolaient, secouèrent
leurs sonnailles; le cocher fit claquer son fouet, et l'on redescendit
au grand trot la route gravie au pas il y avait une heure. Mais
bientôt on prit un chemin de traverse qui pénétrait sous un bois
de pins-parasols; la mer disparut, les yeux se reposèrent en des
profondeurs d'un vert obscur; une fraîcheur descendit des dômes opaques
et arrondis que ces arbres étalent avec une régularité de monstrueux
champignons aux pieds élancés et très minces; des parfums de romarin
et de lavande se dégageaient du fouillis des plantes où s'enfonçaient
leurs troncs.
 
Un tournant de la route fit découvrir un cavalier qui suivait en avant
la même direction, et qui s'en allait au petit galop. Il disparut
derrière les arbres. Un peu plus loin, on le revit; il avait mis sa
bête au pas.
 
Simone, qui avait changé de place avec Gisèle pour ne plus se trouver
en face de Chambertier, tournait maintenant le dos aux chevaux. Elle
n'aperçut donc pas le promeneur. Aussi reçut-elle un choc à la faire
presque s'évanouir, lorsque son amie s'écria:
 
Par exemple, voilà qui est trop fort! Mais c'est M. d'Espayrac!
 
On se trouvait maintenant si près, que Jean put entendre l'exclamation.
Il s'arrêtait, saluait. La voiture lancée le dépassa; mais, sur un
ordre de M. Chambertier, le cocher retint son attelage. D'Espayrac
s'approcha de la portière.
 
Il montait un cheval de louage qui faisait mal valoir ses grâces de
cavalier parfait. C'était, paraissait-il, sa plus vive préoccupation de
beau sportsman vaniteux, car il commença par dire du mal de sa monture,
et par jurer que, sans un vif désir de rattraper ces dames, il n'eût
pas consenti à se montrer sur un carcan pareil.
 
Laissez donc, dit Gisèle. Nous vous avons vu gagner des flots de
rubans au Concours hippique, sur votre _Saturne_. Votre amour-propre
est sauf. N'injuriez plus cette pauvre bête.
 
On vous a donc dit, prononça Chambertier, que nous étions partis pour
la presqu'île de Giens?
 
Mais non, il l'a deviné, dit Gisèle avec le haussement d'épaules dont
elle accueillait généralement les remarques de son mari.
 
Jean expliqua qu'il était arrivé pour leur rendre visite juste au
moment où ils venaient de partir. Le temps de prendre cette rosse chez
un loueur et il les avait suivis.
 
Mais pourquoi ne pas aller d'abord au village de Giens?
 
C'est qu'il connaissait l'itinéraire suivi de temps immémorial par
les cochers du pays: le village, puis la Tour-Fondue. Comme ses amis
avaient de l'avance, le plus sûr était de les attendre à la seconde
étape.
 
Eh bien, marchons, reprit Gisèle. Et ne vous faites pas emballer,
noble poète. Votre Pégase m'a l'air bien fougueux.
 
D'Espayrac, piqué, serra les jambes, toucha de l'éperon et rapprocha
les doigts, si bien que le cheval tomba en main et mâcha son mors,
chose oubliée depuis longtemps sans doute par ce quadrupède suranné.
 
On repartit. Les yeux de Simone et de Jean ne s'étaient pas une seule
fois rencontrés. Le jeune homme, tout en parlant de «ces dames»,
n'avait adressé qu'à Gisèle toutes ses coquettes politesses. Maintenant
il trottait près de la voiture, et, de temps à autre, il ripostait
gaiement à quelque malice lancée par Mme Chambertier. Simone était
d'autant plus mal à l'aise que, pour ne pas exciter les soupçons par
une inexplicable bouderie, elle devait s'efforcer de rire, prendre sa
part de la joie qu'éveillait brusquement la présence de cet homme,de
cet homme qui l'avait possédée, et qui, partout, maintenant, traînerait
un lambeau saignant de sa vie.
 
«Comme il rit de bon cœur!» pensait-elle. «Ah! il n'a donc pas
souffert! Il n'éprouve rien du trouble qui m'écrase. Il ne m'a même pas
aimée, ce n'était qu'un caprice. Et je me suis donnée à lui!...»
 
Elle n'imaginait pas qu'il pût dissimuler, grâce à cette verve
apparente, une émotion qui, en réalité, crispait ce cœur masculin,
sous le veston de voyage, en dépit du rire qu'affectaient la bouche
et les yeux. Encore moins eût-elle soupçonné un plan arrêté d'avance,
une tactique, cependant tout indiquée soit par la rancune d'un orgueil
blessé au vif, soit par la stratégie amoureuse d'un cœur qui, pour
en reprendre un autre, joue la comédie de l'indifférence ou de la
guérison. Ce sont pourtant là des stratagèmes plus familiers à son
sexe qu'à celui de M. d'Espayrac. Mais, à ce moment, Simone était
moins femme que Jean, parce qu'elle se trouvait aux prises avec des

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