2016년 3월 30일 수요일

justice de femme 20

justice de femme 20


Simone respira longuement, avec un frémissement de tout son être; ses
narines, si délicates, eurent un imperceptible gonflement de fierté;
elle venait de se sentir soudain pleine de courage et de calme. Ses
yeux, éclairés de franchise, cherchèrent bravement ceux de Jean. Le
jeune homme la regardait, sans mot dire, avec tout ce qu'il pouvait
mettre de reproche triste dans l'outremer de ses larges prunelles.
 
Eh bien! vous êtes contente, lui dit-il enfin, de m'avoir fait tant de
mal?
 
Voilà, malheureusement pour lui, ce qu'elle ne pouvait pas croire.
Depuis trois ou quatre jours qu'il flirtait avec Gisèle, s'il n'avait
joué que le rôle d'un homme véritablement blessé, trop fier pour
laisser voir sa blessure, il aurait eu quelque défaillance dans son
jeu, quelque silence ou quelque regard, quelque ironie même, qui eût
fait tressaillir Simone comme un éclair de sincérité. Mais il s'était
montré si pareil à lui-même; il avait si bien été ce que toujours
elle avait pu le voir: le beau séducteur charmeur et charmé, l'homme
qui se sent irrésistible, le poète qui dans un type de femme nouveau
n'entrevoit qu'une rime nouvelle, le gentilhomme à qui toute jolie
petite bourgeoise appartient par droit du seigneur, etil lui fallait
bien se le direle mâle aussi, le mâle jeune et fort à qui toute
caresse qui s'offre fait oublier bien vite la caresse qui se refuse;
il avait trop été le Jean qui l'avait conquise pour être maintenant le
Jean que sa fuite eût meurtri, qui l'eût pleurée, regrettée, poursuivie
et rappelée éperdument.
 
Oh! dit-elle avec une amertume qu'elle ne sut pas dissimuler,
dispensez-moi de vous plaindre. Personne ne vous prendrait pour un
homme malheureux.
 
Simone, dit-il en s'animant, je n'aurais jamais cru que vous fussiez
une coquette.
 
Elle protesta. C'était bien là sa crainte, de passeraux yeux de cet
être placé désormais à part dans l'universpour une femme qui se donne
et se reprend facilement, par amusement ou curiosité, elle qui payait
si cher la plus furtive sensation. Mais Jean, maintenant, l'accusait
presque avec violence. Dans son tête-à-tête avec elle, il éprouvait
le réveil de son amour-propre froissé, de son désir déçu, de son réel
désappointement, qui, pendant quelques semaines, avait donné un goût si
amer à sa vie.
 
Ce désappointement, qui l'avait amené dans le Midi, à la poursuite
de Simone, s'était atténué depuis, il est vrai, entre l'abattement
de sa maîtresse et la contagieuse surexcitation de Mme Chambertier.
Déchiffrer l'énigme d'un cœur qu'on venait de lui fermer paraissait
à d'Espayrac une besogne plus aride que partager la folie d'un corps
qui semblait s'offrir. Devant les provocations évidentes de Gisèle,
il s'était rappelé avec quelle ardeur irritante il avait désiré cette
femme bien avant de se griser avec la fraîche beauté blonde de Simone.
S'il eût gardé l'amour de celle-ci, peut-être l'orgueil de posséder
une mondaine si peu accessible aux entreprises, d'une réputation si
fièrement établie, l'aurait-il haussé jusqu'au dédain d'une tentation
qui sollicitait exclusivement son sang et ses nerfs. Mais le dépit
l'avait poussé tout droit vers le piège. Bien qu'il n'y fût point tombé
encore, les pas accomplis de ce côté lui inspiraient un regret sourd,
une honte vague, et il s'en prenait à Simone, comme, d'ailleurs, il en
avait un peu le droit.
 
Quel respect, lui dit-il, pouvons-nous conserver envers les femmes,
quand celles que nous élevions le plus haut se conduisent de la sorte?
Ah! Simone, votre amour faisait de moi un autre homme. Pour la première
fois je mêlais de l'adoration, de l'émotion, de la tendresse, aux joies
des sens... Je croyais en vous, j'étais reconnaissant du sacrifice que
vous me faisiez, sacrifice de vos délicatesses, de votre ombrageuse
vertu, de vos scrupules, de vos pudeurs... Un sacrifice!... Allons
donc! Quand on a vraiment d'un tel prix acheté quelque chose, on y
tient, à cette chose, on ne la rejette pas au bout de quinze jours!
 
Alors, dit Simone toute pâle, vous croyez?...
 
Je crois, reprit Jean, qu'une honnête femme doit être honnête envers
son amant, quand elle en prend un, et que la vertu ne peut pas servir à
faire autant de mal qu'en ferait la plus perverse coquetterie.
 
Mon Dieu! s'écria Simone, c'est épouvantable. Je m'étais déjà dit ces
choses-là.
 
D'Espayrac fut déconcerté, car il s'attendait à une crise d'indignation
qui lui eût permis d'être plus dur encore. Sa colère, à lui, allait
en augmentant, parce que Simone ne s'excusait pas, ne donnait aucune
explication, ne se révoltait pas quand il parlait de leur amour comme
d'une chose finie. Il avait envie de lui crier des brutalités, de lui
diresans le croirequ'il la soupçonnait de l'avoir quitté pour un
autre amant; qu'une aussi courte liaison, jamais il n'en avait eu même
avec des filles, car toutes s'étaient séparées de lui convenablement.
Il s'affolait de fureur à la pensée que c'était bien vrai, que cette
Simonela seule de ses maîtresses qui lui eût inspiré de l'estimelui
infligeait réellement le plus brutal des _lâchages_.
 
Mais, pour échapper à cette scène si différente des plaintes
passionnées et des supplications dont à l'avance elle avait eu peur,
Simone s'était remise en marche. Elle s'avançait au milieu d'un plateau
couvert d'une herbe drue et fine, sous le feuillage gris de jeunes
oliviers. Du bout de son ombrelle fermée, elle touchait le sol de temps
à autre; sa robe de batiste à fond ivoire, dont le bord traînait,
courbait les plantes par derrière, et, quand elle avait passé, une
foule de petites pointes vertes se redressaient avec des frissons de
choses vivantes; l'ombre grêle des rameaux faisait des taches mouvantes
sur sa taille et sur ses hanches, dont le balancement avait comme une
langueur découragée; au-dessus de son collet de dentelle sa nuque
blonde s'érigeait avec la soie des cheveux, plus pâles près de la peau.
Jean se souvint des petits rires d'extase qu'elle avait roucoulés un
jour qu'il la mordillait à cette place... A ce moment, le pied de
Simone tourna sur une pierre; il accourut pour la soutenir, la saisit
dans ses bras, et, avant qu'elle pût s'en défendre, il la baisait
éperdument.
 
Méchante! murmurait-il, méchante!... Pourquoi m'as-tu boudé! Pourquoi
m'as-tu fait penser de vilaines choses?... Pourquoi m'en as-tu fait
dire?... Pardonne-moi... J'étais fou! Mais dis-moi donc que tu
m'aimes!...
 
Simone n'essaya pas plus de se soustraire à ses baisers que, tout à
l'heure, à ses reproches. Elle les accueillit avec des lèvres tristes
et passionnées. Même elle l'étreignit un instant avec l'énergie dont
on retient quelque chose de précieux qui vous échappe. L'état violent
et désespéré de son âme prêtait à son frêle corps, plutôt indifférent
et paisible, une ardeur qui, tout à coup, lui rendait ses résolutions
presque impossibles à accomplir.
 
Ah! soupira-t-elle, tandis que d'irrésistibles larmes noyaient la
douceur de ses yeux, la vie est une chose affreuse, mon ami... Une
chose cruelle et affreuse!
 
Parce que tu ne sais pas la prendre, petite folle chérie. Elle est si
simple! Bien moins compliquée que tu ne te la fabriques.
 
Au ton de badinage et de câlinerie qu'il mit à cette réponse, Simone
sut combien la pensée de cet homme était loin de sa propre pensée.
S'il pouvait lire en elle-même, il sourirait probablement avec une
pitié mêlée de scepticisme. La substance solide et matérielle de son
cœur, à lui, n'offrait pas de prises aux fines pointes aiguës dont
elle sentait le sien tout criblé. Quelle nature heureuse il avait,
lui qui pouvait, sans souffrir, tromper un ami, et, probablement,
trahir une maîtresse; lui qui pouvait aimer sans que son amour lui
fît mal! C'était là, sans doute, la supériorité masculine, et elle,
Simone, n'était qu'une femme nerveuse, incapable de sérénité soit dans
la vertu, soit dans le plaisir. Elle envia cette belle sensualité
tranquille, avec laquelle il lui baisait la bouche sans vouloir
connaître ce qui lui gonflait si douloureusement la poitrine et les
paupières.
 
Oui, dit-elle avec une pauvre ironie, c'est vous qui avez raison. J'ai
le caractère mal fait. Quand on n'a pas plus de bravoure dans la faute,
on ne devrait pas la commettre.
 
La faute? répéta Jean. Ah! voilà les grands mots... Tu n'es pas
raisonnable.
 
Je le sais bien.
 
Mais puisque c'est fait, petite bête! Est-ce qu'on doit se tourmenter
pour ce qui est accompli, irrévocable? Le mieux est d'en profiter.
C'est l'existence, cela, Simone. Tu n'as rien commis de pire que tant
d'autres.
 
Jean, dit-elle, je vous en supplie, ne me tutoyez pas!...
 
Les yeux du jeune homme se durcirent. Il comprit que, malgré
l'attendrissement de tout à l'heure, où, pendant une minute, il l'avait
sentie se fondre dans ses bras, elle n'était plus à lui; il devina,
sous cette douleur, l'obstination d'une volonté d'autant plus difficile
à vaincre qu'elle ne se raisonnait pas et qu'elle ne discuterait pas.
Cette femme s'était donnée; cette femme se reprenait. Savait-elle au
juste pourquoi? Non, certes. Elle considérait sans doute la première
action comme une faute, la seconde comme une expiation. Qu'importaient
les étiquettes ainsi distribuées par sa petite cervelle? Le fait est
qu'un jour elle l'avait préféré à tout, et qu'aujourd'hui elle lui
préférait autre chose: son mari, ou le bon Dieu, ou un autre amant...
Pouvait-on savoir? Et cela presque d'une heure à l'autre!... Elle
était femme, voilà tout. D'Espayrac se retint pour ne pas hausser les
épaules. Lui qui, très sérieusement, gardait à Simone de l'estime
lorsque, à Meudon, elle se donnait à lui, commençait de la mépriser
maintenant qu'elle voulait reconquérir son honnêteté perdue. Et là,

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