2016년 3월 13일 일요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 2

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 2



Il en ressentit une émotion effroyable, et il demeura suffoqué, avec du
savon plein la figure, car il était en train de se raser.
 
Quand il se retrouva en état de réfléchir et de parler, il s'écria: «Ce
n'est pas vrai, vous mentez, Mélanie!»
 
Mais la paysanne posa la main sur son cœur: «Que Notre-Seigneur me
juge si je mens, monsieur le curé. J' vous dis qu'elle y va tous les
soirs sitôt qu' votre sœur est couchée. Ils se r'trouvent le long de
la rivière. Vous n'avez qu'à y aller voir entre dix heures et minuit.»
 
Il cessa de se gratter le menton, et il se mit à marcher violemment,
comme il faisait toujours en ses heures de grave méditation. Quand il
voulut recommencer à se barbifier, il se coupa trois fois depuis le nez
jusqu'à l'oreille.
 
Tout le jour, il demeura muet, gonflé d'indignation et de colère.
A sa fureur de prêtre, devant l'invincible amour, s'ajoutait une
exaspération de père moral, de tuteur, de chargé d'âme, trompé, volé,
joué par une enfant; cette suffocation égoïste des parents à qui leur
fille annonce qu'elle a fait, sans eux et malgré eux, choix d'un époux.
 
Après son dîner, il essaya de lire un peu, mais il ne put y parvenir;
et il s'exaspérait de plus en plus. Quand dix heures sonnèrent, il prit
sa canne, un formidable bâton de chêne dont il se servait toujours
en ses courses nocturnes, quand il allait voir quelque malade. Et il
regarda en souriant l'énorme gourdin qu'il faisait tourner, dans sa
poigne solide de campagnard, en des moulinets menaçants. Puis, soudain,
il le leva, et, grinçant des dents, l'abattit sur une chaise dont le
dossier fendu tomba sur le plancher.
 
Et il ouvrit sa porte pour sortir; mais il s'arrêta sur le seuil,
surpris par une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait
presque jamais.
 
Et comme il était doué d'un esprit exalté, un de ces esprits que
devaient avoir les Pères de l'Église, ces poètes rêveurs, il se sentit
soudain distrait, ému par la grandiose et sereine beauté de la nuit
pâle.
 
Dans son petit jardin, tout baigné de douce lumière, ses arbres
fruitiers, rangés en ligne, dessinaient en ombre sur l'allée leurs
grêles membres de bois à peine vêtus de verdure; tandis que le
chèvrefeuille géant, grimpé sur le mur de sa maison, exhalait des
souffles délicieux et comme sucrés, faisait flotter dans le soir tiède
et clair une espèce d'âme parfumée.
 
Il se mit à respirer longuement, buvant de l'air comme les ivrognes
boivent du vin, et il allait à pas lents, ravi, émerveillé, oubliant
presque sa nièce.
 
Dès qu'il fut dans la campagne, il s'arrêta pour contempler toute
la plaine inondée de cette lueur caressante, noyée dans ce charme
tendre et languissant des nuits sereines. Les crapauds à tout instant
jetaient par l'espace leur note courte et métallique, et des rossignols
lointains mêlaient leur musique égrenée qui fait rêver sans faire
penser, leur musique légère et vibrante, faite pour les baisers, à la
séduction du clair de lune.
 
L'abbé se remit à marcher, le cœur défaillant, sans qu'il sût
pourquoi. Il se sentait comme affaibli, épuisé tout à coup; il avait
une envie de s'asseoir, de rester là, de contempler, d'admirer Dieu
dans son œuvre.
 
Là-bas, suivant les ondulations de la petite rivière, une grande ligne
de peupliers serpentait. Une buée fine, une vapeur blanche que les
rayons de lune traversaient, argentaient, rendaient luisante, restait
suspendue autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours
tortueux de l'eau d'une sorte de ouate légère et transparente.
 
Le prêtre encore une fois s'arrêta, pénétré jusqu'au fond de l'âme par
un attendrissement grandissant, irrésistible.
 
Et un doute, une inquiétude vague l'envahissait; il sentait naître en
lui une de ces interrogations qu'il se posait parfois.
 
Pourquoi Dieu avait-il fait cela? Puisque la nuit est destinée au
sommeil, à l'inconscience, au repos, à l'oubli de tout, pourquoi la
rendre plus charmante que le jour, plus douce que les aurores et que
les soirs, et pourquoi cet astre lent et séduisant, plus poétique que
le soleil et qui semble destiné, tant il est discret, à éclairer des
choses trop délicates et mystérieuses pour la grande lumière, s'en
venait-il faire si transparentes les ténèbres?
 
Pourquoi le plus habile des oiseaux chanteurs ne se reposait-il pas
comme les autres et se mettait-il à vocaliser dans l'ombre troublante?
 
Pourquoi ce demi-voile jeté sur le monde? Pourquoi ces frissons de
cœur, cette émotion de l'âme, cet alanguissement de la chair?
 
Pourquoi ce déploiement de séductions que les hommes ne voyaient point,
puisqu'ils étaient couchés en leurs lits? A qui étaient destinés ce
spectacle sublime, cette abondance de poésie jetée du ciel sur la terre?
 
Et l'abbé ne comprenait point.
 
Mais voilà que là-bas, sur le bord de la prairie, sous la voûte des
arbres trempés de brume luisante, deux ombres apparurent qui marchaient
côte à côte.
 
L'homme était plus grand et tenait par le cou son amie, et, de temps en
temps, l'embrassait sur le front. Ils animèrent tout à coup ce paysage
immobile qui les enveloppait comme un cadre divin fait pour eux. Ils
semblaient, tous deux, un seul être, l'être à qui était destinée
cette nuit calme et silencieuse; et ils s'en venaient vers le prêtre
comme une réponse vivante, la réponse que son Maître jetait à son
interrogation.
 
Il restait debout, le cœur battant, bouleversé; et il croyait voir
quelque chose de biblique, comme les amours de Ruth et de Booz,
l'accomplissement d'une volonté du Seigneur dans un de ces grands
décors dont parlent les livres saints. En sa tête se mirent à
bourdonner les versets du Cantique des Cantiques, les cris d'ardeur,
les appels des corps, toute la chaude poésie de ce poème brûlant de
tendresse.
 
Et il se dit: «Dieu peut-être a fait ces nuits-là pour voiler d'idéal
les amours des hommes.»
 
Et il reculait devant ce couple embrassé qui marchait toujours. C'était
sa nièce pourtant; mais il se demandait maintenant s'il n'allait
pas désobéir à Dieu. Et Dieu ne permet-il point l'amour, puisqu'il
l'entoure visiblement d'une splendeur pareille?
 
Et il s'enfuit, éperdu, presque honteux, comme s'il eût pénétré dans un
temple où il n'avait pas le droit d'entrer.
 
 
_Clair de Lune_ a paru dans _le Gil-Blas_ du jeudi 19 octobre 1882,
sous la signature: MAUFRIGNEUSE.
 
 
 
 
UN COUP D'ÉTAT.
 
 
PARIS venait d'apprendre le désastre de Sedan. La République était
proclamée. La France entière haletait au début de cette démence qui
dura jusqu'après la Commune. On jouait au soldat d'un bout à l'autre du
pays.
 
Des bonnetiers étaient colonels faisant fonctions de généraux;
des revolvers et des poignards s'étalaient autour de gros ventres
pacifiques enveloppés de ceintures rouges; des petits bourgeois devenus
guerriers d'occasion commandaient des bataillons de volontaires
braillards et juraient comme des charretiers pour se donner de la
prestance.
 
Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils à système
affolait ces gens qui n'avaient jusqu'ici manié que des balances,
et les rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. On
exécutait des innocents pour prouver qu'on savait tuer; on fusillait,
en rôdant par les campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens
errants, les vaches ruminant en paix, les chevaux malades pâturant dans
les herbages.
 
Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Les cafés des
moindres villages, pleins de commerçants en uniforme, ressemblaient à
des casernes ou à des ambulances.
 
Le bourg de Canneville ignorait encore les affolantes nouvelles de
l'armée et de la capitale; mais une extrême agitation le remuait depuis
un mois, les partis adverses se trouvant face à face.
 
Le maire, M. le vicomte de Varnetot, petit homme maigre, vieux déjà,
légitimiste rallié à l'Empire depuis peu, par ambition, avait vu surgir
un adversaire déterminé dans le docteur Massarel, gros homme sanguin,
chef du parti républicain dans l'arrondissement, vénérable de la loge
maçonnique du chef-lieu, président de la Société d'agriculture et du
banquet des pompiers, et organisateur de la milice rurale qui devait
sauver la contrée.
 
En quinze jours, il avait trouvé le moyen de décider à la défense du
pays soixante-trois volontaires mariés et pères de famille, paysans
prudents et marchands du bourg, et il les exerçait, chaque matin, sur
la place de la mairie.
 
Quand le maire, par hasard, venait au bâtiment communal, le commandant
Massarel, bardé de pistolets, passant fièrement, le sabre en main,
devant le front de sa troupe, faisait hurler à son monde: «Vive la
patrie!» Et ce cri, on l'avait remarqué, agitait le petit vicomte, qui
voyait là sans doute une menace, un défi, en même temps qu'un souvenir
odieux de la grande Révolution.
 
Le 5 septembre au matin, le docteur en uniforme, son revolver sur sa
table, donnait une consultation à un couple de vieux campagnards, dont
l'un, le mari, atteint de varices depuis sept ans, avait attendu que
sa femme en eût aussi pour venir trouver le médecin, quand le facteur
apporta le journal.
 
M. Massarel l'ouvrit, pâlit, se dressa brusquement, et, levant les deux
bras au ciel dans un geste d'exaltation, il se mit à vociférer de toute
sa voix devant les deux ruraux affolés:
 
--Vive la République! vive la République! vive la République!
 
Puis il retomba sur son fauteuil, défaillant d'émotion.
 
Et comme le paysan reprenait: «Ça a commencé par des fourmis qui me
couraient censément le long des jambes,» le docteur Massarel s'écria:
 
--Fichez-moi la paix; j'ai bien le temps de m'occuper de vos bêtises.
La République est proclamée, l'empereur est prisonnier, la France est
sauvée. Vive la République! Et courant à la porte, il beugla: Céleste,
vite, Céleste!
 
La bonne épouvantée accourut; il bredouillait tant il parlait rapidement.

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