2016년 3월 13일 일요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 8

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 8


L'œuf fut glissé dans la marmite où mijotait la soupe, et le forgeron
se mit à raconter ce qu'on disait par la contrée.
 
La femme écoutait, toute pâle.
 
--Pour sûr que j'en ai entendu des sifflets l'autre nuit, même qu'ils
semblaient v'nir de la cheminée.
 
On se mit à table, on mangea la soupe d'abord, puis, pendant que le
mari étendait du beurre sur son pain, la femme prit l'œuf et l'examina
d'un œil méfiant.
 
--Si y avait quéque chose dans c't'œuf?
 
--Qué que tu veux qu'y ait?
 
--J'sais ti, mé?
 
--Allons, mange-le, et fais pas la bête.
 
Elle ouvrit l'œuf. Il était comme tous les œufs, et bien frais.
 
Elle se mit à le manger en hésitant, le goûtant, le laissant, le
reprenant. Le mari disait:
 
--Eh bien! qué goût qu'il a, c't'œuf?
 
Elle ne répondit pas et elle acheva de l'avaler; puis, soudain, elle
planta sur son homme des yeux fixes, hagards, affolés; leva les bras,
les tordit et, convulsée de la tête aux pieds, roula par terre en
poussant des cris horribles.
 
Toute la nuit elle se débattit en des spasmes épouvantables, secouée
de tremblements effrayants, déformée par de hideuses convulsions. Le
forgeron, impuissant à la tenir, fut obligé de la lier.
 
Et elle hurlait sans repos, d'une voix infatigable:
 
--J'l'ai dans l'corps! J'l'ai dans l'corps!
 
Je fus appelé le lendemain. J'ordonnai tous les calmants connus sans
obtenir le moindre résultat. Elle était folle.
 
Alors, avec une incroyable rapidité, malgré l'obstacle des hautes
neiges, la nouvelle, une nouvelle étrange, courut de ferme en ferme:
«La femme au forgeron qu'est possédée!» Et on venait de partout, sans
oser pénétrer dans la maison; on écoutait de loin ses cris affreux
poussés d'une voix si forte qu'on ne les aurait pas crus d'une créature
humaine.
 
Le curé du village fut prévenu. C'était un vieux prêtre naïf. Il
accourut en surplis comme pour administrer un mourant et il prononça,
en étendant les mains, les formules d'exorcisme, pendant que quatre
hommes maintenaient sur un lit la femme écumante et tordue.
 
Mais l'esprit ne fut point chassé.
 
Et la Noël arriva sans que le temps eût changé.
 
La veille au matin, le prêtre vint me trouver:
 
--J'ai envie, dit-il, de faire assister à l'office de cette nuit cette
malheureuse. Peut-être Dieu fera-t-il un miracle en sa faveur, à
l'heure même où il naquit d'une femme.
 
Je répondis au curé:
 
--Je vous approuve absolument, monsieur l'abbé. Si elle a l'esprit
frappé par la cérémonie sacrée (et rien n'est plus propice à
l'émouvoir), elle peut être sauvée sans autre remède.
 
Le vieux prêtre murmura:
 
--Vous n'êtes pas croyant, docteur, mais aidez-moi, n'est-ce pas? Vous
vous chargez de l'amener?
 
Et je lui promis mon aide.
 
Le soir vint, puis la nuit; et la cloche de l'église se mit à sonner,
jetant sa voix plaintive à travers l'espace morne, sur l'étendue
blanche et glacée des neiges.
 
Des êtres noirs s'en venaient lentement, par groupes, dociles au cri
d'airain du clocher. La pleine lune éclairait d'une lueur vive et
blafarde tout l'horizon, rendait plus visible la pâle désolation des
champs.
 
J'avais pris quatre hommes robustes et je me rendis à la forge.
 
La Possédée hurlait toujours, attachée à sa couche. On la vêtit
proprement malgré sa résistance éperdue, et on l'emporta.
 
L'église était maintenant pleine de monde, illuminée et froide; les
chantres poussaient leurs notes monotones; le serpent ronflait; la
petite sonnette de l'enfant de chœur tintait, réglant les mouvements
des fidèles.
 
J'enfermai la femme et ses gardiens dans la cuisine du presbytère, et
j'attendis le moment que je croyais favorable.
 
Je choisis l'instant qui suit la communion. Tous les paysans, hommes
et femmes, avaient reçu leur Dieu pour fléchir sa rigueur. Un grand
silence planait pendant que le prêtre achevait le mystère divin.
 
Sur mon ordre, la porte fut ouverte et mes quatre aides apportèrent la
folle.
 
Dès qu'elle aperçut les lumières, la foule à genoux, le chœur en
feu et le tabernacle doré, elle se débattit d'une telle vigueur,
qu'elle faillit nous échapper, et elle poussa des clameurs si aiguës
qu'un frisson d'épouvante passa dans l'église; toutes les têtes se
relevèrent; des gens s'enfuirent.
 
Elle n'avait plus la forme d'une femme, crispée et tordue en nos mains,
le visage contourné, les yeux fous.
 
On la traîna jusqu'aux marches du chœur et puis on la tint fortement
accroupie à terre.
 
Le prêtre s'était levé; il attendait. Dès qu'il la vit arrêtée, il prit
en ses mains l'ostensoir ceint de rayons d'or, avec l'hostie blanche
au milieu, et, s'avançant de quelques pas, il l'éleva de ses deux bras
tendus au-dessus de sa tête, le présentant aux regards égarés de la
Démoniaque.
 
Elle hurlait toujours, l'œil fixé, tendu sur cet objet rayonnant.
 
Et le prêtre demeurait tellement immobile qu'on l'aurait pris pour une
statue.
 
Et cela dura longtemps, longtemps.
 
La femme semblait saisie de peur, fascinée; elle contemplait fixement
l'ostensoir, secouée encore de tremblements terribles, mais passagers,
et criant toujours, mais d'une voix moins déchirante.
 
Et cela dura encore longtemps.
 
On eût dit qu'elle ne pouvait plus baisser les yeux, qu'ils étaient
rivés sur l'hostie; elle ne faisait plus que gémir; et son corps raidi
s'amollissait, s'affaissait.
 
Toute la foule était prosternée le front par terre.
 
La Possédée maintenant baissait rapidement les paupières, puis les
relevait aussitôt, comme impuissante à supporter la vue de son
Dieu. Elle s'était tue. Et puis soudain, je m'aperçus que ses yeux
demeuraient clos. Elle dormait du sommeil des somnambules, hypnotisée,
pardon, vaincue par la contemplation persistante de l'ostensoir aux
rayons d'or, terrassée par le Christ victorieux.
 
On l'emporta, inerte, pendant que le prêtre remontait vers l'autel.
 
L'assistance bouleversée entonna un _Te Deum_ d'actions de grâces.
 
Et la femme du forgeron dormit quarante heures de suite, puis se
réveilla sans aucun souvenir de la possession ni de la délivrance.
 
Voilà, Mesdames, le miracle que j'ai vu.»
 
Le docteur Bonenfant se tut, puis ajouta d'une voix contrariée:
 
--Je n'ai pu refuser de l'attester par écrit.
 
 
_Conte de Noël_ a paru dans _le Gaulois_ du 25 décembre 1882.
 
 
 
 
LA REINE HORTENSE.
 
 
ON l'appelait, dans Argenteuil, la reine Hortense. Personne ne sut
jamais pourquoi. Peut-être parce qu'elle parlait ferme comme un
officier qui commande? Peut-être parce qu'elle était grande, osseuse,
impérieuse? Peut-être parce qu'elle gouvernait un peuple de bêtes
domestiques, poules, chiens, chats, serins et perruches, de ces
bêtes chères aux vieilles filles? Mais elle n'avait pour ces animaux
familiers ni gâteries, ni mots mignards, ni ces puériles tendresses qui
semblent couler des lèvres des femmes sur le poil velouté du chat qui
ronronne. Elle gouvernait ses bêtes avec autorité, elle régnait.
 
C'était une vieille fille, en effet, une de ces vieilles filles à
la voix cassante, au geste sec, dont l'âme semble dure. Elle avait
toujours eu de jeunes bonnes, parce que la jeunesse se plie mieux
aux brusques volontés. Elle n'admettait jamais ni contradiction, ni
réplique, ni hésitation, ni nonchalance, ni paresse, ni fatigue. Jamais
on ne l'avait entendue se plaindre, regretter quoi que ce fût, envier
n'importe qui. Elle disait «Chacun sa part» avec une conviction de
fataliste. Elle n'allait pas à l'église, n'aimait pas les prêtres, ne
croyait guère à Dieu, appelant toutes les choses religieuses de la«marchandise à pleureurs».

댓글 없음: