2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 11

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 11



Il eut le temps de comprendre, de préparer sa réponse et il alla
frapper à la porte de sa femme. Elle ouvrit aussitôt, n'osant pas le
regarder. Il souriait; il s'assit, l'attira sur ses genoux; et d'une
voix douce, un peu moqueuse:
 
--Ma chère petite, j'ai en effet pour amie Mme Rosset, que je connais
depuis dix ans et que j'aime beaucoup; j'ajouterai que je connais
vingt autres familles dont je ne t'ai jamais parlé, sachant que tu ne
recherches pas le monde, les fêtes et les relations nouvelles. Mais,
pour en finir une fois pour toutes avec ces dénonciations infâmes, je
te prierai de t'habiller après le déjeuner et nous irons faire une
visite à cette jeune femme qui deviendra ton amie, je n'en doute pas.
 
Elle embrassa à pleins bras son mari; et, par une de ces curiosités
féminines qui ne s'endorment plus une fois éveillées, elle ne refusa
point d'aller voir cette inconnue qui lui demeurait, malgré tout,
un peu suspecte. Elle sentait, par instinct, qu'un danger connu est
presque évité.
 
Elle entra dans un petit appartement coquet, plein de bibelots,
orné avec art, au quatrième étage d'une belle maison. Au bout de
cinq minutes d'attente dans un salon assombri par des tentures, des
portières, des rideaux drapés gracieusement, une porte s'ouvrit et
une jeune femme apparut, très brune, petite, un peu grasse, étonnée et
souriante.
 
Georges fit les présentations.
 
--Ma femme, madame Julie Rosset.
 
La jeune veuve poussa un léger cri d'étonnement et de joie, et
s'élança, les deux mains ouvertes. Elle n'espérait point, disait-elle,
avoir ce bonheur, sachant que Mme Baron ne voyait personne; mais elle
était si heureuse, si heureuse! Elle aimait tant Georges! (elle disait
Georges tout court avec une fraternelle familiarité) qu'elle avait une
envie folle de connaître sa jeune femme et de l'aimer aussi.
 
Au bout d'un mois, les deux nouvelles amies ne se quittaient plus.
Elles se voyaient chaque jour, souvent deux fois, et dînaient tous
les soirs ensemble, tantôt chez l'une, tantôt chez l'autre. Georges
maintenant ne sortait plus guère, ne prétextait plus d'affaires,
adorant, disait-il, son coin du feu.
 
Enfin, un appartement s'étant trouvé libre dans la maison habitée par
Mme Rosset, Mme Baron s'empressa de le prendre pour se rapprocher et se
réunir encore davantage.
 
Et, pendant deux années entières, ce fut une amitié sans un nuage,
une amitié de cœur et d'âme, absolue, tendre, dévouée, délicieuse.
Berthe ne pouvait plus parler sans prononcer le nom de Julie, qui
représentait pour elle la perfection.
 
Elle était heureuse, d'un bonheur parfait, calme et doux.
 
Mais voici que Mme Rosset tomba malade. Berthe ne la quitta plus. Elle
passait les nuits, se désolait; son mari lui-même était désespéré.
 
Or, un matin, le médecin, en sortant de sa visite, prit à part Georges
et sa femme, et leur annonça qu'il trouvait fort grave l'état de leur
amie.
 
Dès qu'il fut parti, les jeunes gens, atterrés, s'assirent l'un en face
de l'autre; puis, brusquement, se mirent à pleurer. Ils veillèrent, la
nuit, tous les deux ensemble auprès du lit; et Berthe, à tout instant,
embrassait tendrement la malade, tandis que Georges, debout devant les
pieds de sa couche, la contemplait silencieusement avec une persistance
acharnée.
 
Le lendemain, elle allait plus mal encore.
 
Enfin, vers le soir, elle déclara qu'elle se trouvait mieux, et
contraignit ses amis à redescendre chez eux pour dîner.
 
Ils étaient tristement assis dans leur salle, sans guère manger, quand
la bonne remit à Georges une enveloppe. Il l'ouvrit, lut, devint livide
et, se levant, il dit à sa femme, d'un air étrange: «Attends-moi, il
faut que je m'absente un instant, je serai de retour dans dix minutes.
Surtout ne sors pas.»
 
Et il courut dans sa chambre prendre son chapeau.
 
Berthe l'attendit, torturée par une inquiétude nouvelle. Mais, docile
en tout, elle ne voulait point remonter chez son amie avant qu'il fût
revenu.
 
Comme il ne reparaissait pas, la pensée lui vint d'aller voir en sa
chambre s'il avait pris ses gants, ce qui eût indiqué qu'il devait
entrer quelque part.
 
Elle les aperçut du premier coup d'œil. Près d'eux un papier froissé
gisait, jeté là.
 
Elle le reconnut aussitôt, c'était celui qu'on venait de remettre à
Georges.
 
Et une tentation brûlante, la première de sa vie, lui vint de lire,
de savoir. Sa conscience révoltée luttait, mais la démangeaison d'une
curiosité fouettée et douloureuse poussait sa main. Elle saisit le
papier, l'ouvrit, reconnut aussitôt l'écriture, celle de Julie, une
écriture tremblée, au crayon. Elle lut: «Viens seul m'embrasser, mon
pauvre ami, je vais mourir.»
 
Elle ne comprit pas d'abord, et restait là stupide, frappée surtout
par l'idée de mort. Puis, soudain, le tutoiement saisit sa pensée; et
ce fut comme un grand éclair illuminant son existence, lui montrant
toute l'infâme vérité, toute leur trahison, toute leur perfidie. Elle
comprit leur longue astuce, leurs regards, sa bonne foi jouée, sa
confiance trompée. Elle les revit l'un en face de l'autre, le soir sous
l'abat-jour de sa lampe, lisant le même livre, se consultant de l'œil
à la fin des pages.
 
Et son cœur soulevé d'indignation, meurtri de souffrance, s'abîma dans
un désespoir sans bornes.
 
Des pas retentirent; elle s'enfuit et s'enferma chez elle.
 
Son mari, bientôt, l'appela.
 
--Viens vite, Mme Rosset va mourir.
 
Berthe parut sur sa porte et, la lèvre tremblante:
 
--Retournez seul auprès d'elle, elle n'a pas besoin de moi.
 
Il la regarda follement, abruti de chagrin, et il reprit:
 
--Vite, vite, elle meurt.
 
Berthe répondit:
 
--Vous aimeriez mieux que ce fût moi.
 
Alors il comprit peut-être, et s'en alla, remontant près de
l'agonisante.
 
Il la pleura sans dissimulation, sans pudeur, indifférent à la douleur
de sa femme qui ne lui parlait plus, ne le regardait plus, vivait
seule murée dans le dégoût, dans une colère révoltée, et priait Dieu
matin et soir.
 
Ils habitaient ensemble pourtant, mangeaient face à face, muets et
désespérés.
 
Puis il s'apaisa peu à peu; mais elle ne lui pardonnait point.
 
Et la vie continua, dure pour tous les deux.
 
Pendant un an, ils demeurèrent aussi étrangers l'un à l'autre que s'ils
ne se fussent pas connus. Berthe faillit devenir folle.
 
Puis un matin étant partie dès l'aurore, elle rentra vers huit heures
portant en ses deux mains un énorme bouquet de roses, de roses
blanches, toutes blanches.
 
Et elle fit dire à son mari qu'elle désirait lui parler.
 
Il vint inquiet, troublé.
 
--Nous allons sortir ensemble, lui dit-elle; prenez ces fleurs, elles
sont trop lourdes pour moi.
 
Il prit le bouquet et suivit sa femme. Une voiture les attendait qui
partit dès qu'ils furent montés.
 
Elle s'arrêta devant la grille du cimetière. Alors Berthe, dont les
yeux s'emplissaient de larmes, dit à Georges:
 
--Conduisez-moi à sa tombe.
 
Il tremblait sans comprendre, et il se mit à marcher devant, tenant
toujours les fleurs en ses bras. Il s'arrêta enfin devant un marbre
blanc et le désigna sans rien dire.
 
Alors elle lui reprit le grand bouquet et, s'agenouillant, le déposa
sur les pieds du tombeau. Puis elle s'isola en une prière inconnue et
suppliante!
 
Debout derrière elle, son mari, hanté de souvenirs, pleurait.
 
Elle se releva et lui tendit les mains.
 
--Si vous voulez, nous serons amis, dit-elle._Le Pardon_ a paru dans _le Gaulois_ du lundi 16 octobre 1882.

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