2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 15

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 15


Alors, pendant cinq minutes, des bulles d'air vinrent crever à la
surface comme si le fleuve se fût mis à bouillonner; et François,
hagard, affolé, le cœur palpitant, croyait voir Cocotte se tordant
dans la vase; et il se disait, dans sa simplicité de paysan: «Qu'est-ce
qu'elle pense de moi, à c't'heure, c'te bête?»
 
Il faillit devenir idiot; il fut malade pendant un mois; et, chaque
nuit, il rêvait de sa chienne; il la sentait qui léchait ses mains; il
l'entendait aboyer. Il fallut appeler un médecin. Enfin il alla mieux;
et ses maîtres, vers la fin de juin, l'emmenèrent dans leur propriété
de Biessard, près de Rouen.
 
Là encore il était au bord de la Seine. Il se mit à prendre des bains.
Il descendait chaque matin avec le palefrenier, et ils traversaient le
fleuve à la nage.
 
Or, un jour, comme ils s'amusaient à batifoler dans l'eau, François
cria soudain à son camarade:
 
--Regarde celle-là qui s'amène. Je vas t'en faire goûter une côtelette.
 
C'était une charogne énorme, gonflée, pelée, qui s'en venait, les
pattes en l'air en suivant le courant.
 
François s'en approcha en faisant des brasses; et, continuant ses
plaisanteries:
 
--Cristi! elle n'est pas fraîche. Quelle prise! mon vieux. Elle n'est
pas maigre non plus.
 
Et il tournait autour, se maintenant à distance de l'énorme bête en
putréfaction.
 
Puis, soudain, il se tut et il la regarda avec une attention
singulière; puis il s'approcha encore comme pour la toucher, cette
fois. Il examinait fixement le collier, puis il avança le bras, saisit
le cou, fit pivoter la charogne, l'attira tout près de lui, et lut sur
le cuivre verdi qui restait adhérent au cuir décoloré: «Mademoiselle
Cocotte, au cocher François.»
 
La chienne morte avait retrouvé son maître à soixante lieues de leur
maison!
 
Il poussa un cri épouvantable et il se mit à nager de toute sa force
vers la berge, en continuant à hurler; et, dès qu'il eut atteint la
terre, il se sauva éperdu, tout nu, par la campagne. Il était fou!»
 
 
_Mademoiselle Cocotte_ a paru dans _le Gil-Blas_ du mardi 20 mars
1883, sous la signature: MAUFRIGNEUSE.
 
 
 
 
LES BIJOUX.
 
 
MONSIEUR Lantin ayant rencontré cette jeune fille, dans une soirée,
chez son sous-chef de bureau, l'amour l'enveloppa comme un filet.
 
C'était la fille d'un percepteur de province, mort depuis plusieurs
années. Elle était venue ensuite à Paris avec sa mère, qui fréquentait
quelques familles bourgeoises de son quartier dans l'espoir de marier
la jeune personne. Elles étaient pauvres et honorables, tranquilles et
douces. La jeune fille semblait le type absolu de l'honnête femme à
laquelle le jeune homme sage rêve de confier sa vie. Sa beauté modeste
avait un charme de pudeur angélique, et l'imperceptible sourire qui ne
quittait point ses lèvres semblait un reflet de son cœur.
 
Tout le monde chantait ses louanges; tous ceux qui la connaissaient
répétaient sans fin: «Heureux celui qui la prendra. On ne pourrait
trouver mieux.»
 
M. Lantin, alors commis principal au ministère de l'Intérieur, aux
appointements annuels de trois mille cinq cents francs, la demanda en
mariage et l'épousa.
 
Il fut avec elle invraisemblablement heureux. Elle gouverna sa maison
avec une économie si adroite qu'ils semblaient vivre dans le luxe. Il
n'était point d'attentions, de délicatesses, de chatteries qu'elle
n'eût pour son mari; et la séduction de sa personne était si grande
que, six ans après leur rencontre, il l'aimait plus encore qu'aux
premiers jours.
 
Il ne blâmait en elle que deux goûts, celui du théâtre et celui des
bijouteries fausses.
 
Ses amies (elle connaissait quelques femmes de modestes fonctionnaires)
lui procuraient à tous moments des loges pour les pièces en vogue, même
pour les premières représentations; et elle traînait, bon gré, mal
gré, son mari à ces divertissements qui le fatiguaient affreusement
après sa journée de travail. Alors il la supplia de consentir à aller
au spectacle avec quelque dame de sa connaissance qui la ramènerait
ensuite. Elle fut longtemps à céder, trouvant peu convenable cette
manière d'agir. Elle s'y décida enfin par complaisance, et il lui en
sut un gré infini.
 
Or ce goût pour le théâtre fit bientôt naître en elle le besoin de se
parer. Ses toilettes demeuraient toutes simples, il est vrai, de bon
goût toujours, mais modestes; et sa grâce douce, sa grâce irrésistible,
humble et souriante, semblait acquérir une saveur nouvelle de la
simplicité de ses robes, mais elle prit l'habitude de pendre à ses
oreilles deux gros cailloux du Rhin qui simulaient des diamants, et
elle portait des colliers de perles fausses, des bracelets en similor,
des peignes agrémentés de verroteries variées jouant les pierres fines.
 
Son mari, que choquait un peu cet amour du clinquant, répétait souvent:
«Ma chère, quand on n'a pas le moyen de se payer des bijoux véritables,
on ne se montre parée que de sa beauté et de sa grâce, voilà encore les
plus rares joyaux.»
 
Mais elle souriait doucement et répétait: «Que veux-tu? J'aime ça.
C'est mon vice. Je sais bien que tu as raison; mais on ne se refait
pas. J'aurais adoré les bijoux, moi!»
 
Et elle faisait rouler dans ses doigts les colliers de perles, miroiter
les facettes des cristaux taillés, en répétant: «Mais regarde donc
comme c'est bien fait. On jurerait du vrai.»
 
Il souriait en déclarant: «Tu as des goûts de bohémienne.»
 
Quelquefois, le soir, quand ils demeuraient en tête à tête au coin du
feu, elle apportait sur la table où ils prenaient le thé la boîte de
maroquin où elle enfermait la «pacotille», selon le mot de M. Lantin;
et elle se mettait à examiner ces bijoux imités avec une attention
passionnée, comme si elle eût savouré quelque jouissance secrète et
profonde; et elle s'obstinait à passer un collier au cou de son mari
pour rire ensuite de tout son cœur en s'écriant: «Comme tu es drôle!»
Puis se jetait dans ses bras et l'embrassait éperdument.
 
Comme elle avait été à l'Opéra, une nuit d'hiver, elle rentra toute
frissonnante de froid. Le lendemain elle toussait. Huit jours plus tard
elle mourait d'une fluxion de poitrine.
 
Lantin faillit la suivre dans la tombe. Son désespoir fut si terrible
que ses cheveux devinrent blancs en un mois. Il pleurait du matin
au soir, l'âme déchirée d'une souffrance intolérable, hanté par le
souvenir, par le sourire, par la voix, par tout le charme de la morte.
 
Le temps n'apaisa point sa douleur. Souvent pendant les heures du
bureau, alors que les collègues s'en venaient causer un peu des choses
du jour, on voyait soudain ses joues se gonfler, son nez se plisser,
ses yeux s'emplir d'eau; il faisait une grimace affreuse et se mettait
à sangloter.
 
Il avait gardé intacte la chambre de sa compagne où il s'enfermait tous
les jours pour penser à elle; et tous les meubles, ses vêtements mêmes
demeuraient à leur place comme ils se trouvaient au dernier jour.
 
Mais la vie se faisait dure pour lui. Ses appointements, qui, entre
les mains de sa femme, suffisaient à tous les besoins du ménage,
devenaient, à présent, insuffisants pour lui tout seul. Et il se
demandait avec stupeur comment elle avait su s'y prendre pour lui faire
boire toujours des vins excellents et manger des nourritures délicates
qu'il ne pouvait plus se procurer avec ses modestes ressources.
 
Il fit quelques dettes et courut après l'argent à la façon des gens
réduits aux expédients. Un matin enfin, comme il se trouvait sans un
sou, une semaine entière avant la fin du mois, il songea à vendre
quelque chose; et tout de suite la pensée lui vint de se défaire de la
«pacotille» de sa femme, car il avait gardé au fond du cœur une sorte
de rancune contre ces «trompe-l'œil» qui l'irritaient autrefois. Leur
vue même, chaque jour, lui gâtait un peu le souvenir de sa bien-aimée.
 
Il chercha longtemps dans le tas de clinquant qu'elle avait laissé, car
jusqu'aux derniers jours de sa vie elle en avait acheté obstinément,
rapportant presque chaque soir un objet nouveau, et il se décida pour
le grand collier qu'elle semblait préférer, et qui pouvait bien valoir,
pensait-il, six ou huit francs, car il était vraiment d'un travail très
soigné pour du faux.
 
Il le mit en sa poche et s'en alla vers son ministère en suivant les
boulevards, cherchant une boutique de bijoutier qui lui inspirât
confiance.
 
Il en vit une enfin et entra, un peu honteux d'étaler ainsi sa misère
et de chercher à vendre une chose de si peu de prix.
 
--Monsieur, dit-il au marchand, je voudrais bien savoir ce que vous
estimez ce morceau.
 
L'homme reçut l'objet, l'examina, le retourna, le soupesa, prit une
loupe, appela son commis, lui fit tout bas des remarques, reposa le
collier sur son comptoir et le regarda de loin pour mieux juger de
l'effet.
 
M. Lantin, gêné par toutes ces cérémonies, ouvrait la bouche pour
déclarer: «Oh! je sais bien que cela n'a aucune valeur,»--quand le
bijoutier prononça:
 
--Monsieur, cela vaut de douze à quinze mille francs, mais je ne
pourrais l'acheter que si vous m'en faisiez connaître exactement la
provenance.
 
Le veuf ouvrit des yeux énormes et demeura béant, ne comprenant pas.
Il balbutia enfin: «Vous dites?... Vous êtes sûr.» L'autre se méprit
sur son étonnement, et, d'un ton sec: «Vous pouvez chercher ailleurs si
on vous en donne davantage. Pour moi cela vaut, au plus, quinze mille.
Vous reviendrez me trouver si vous ne trouvez pas mieux.»
 
M. Lantin, tout à fait idiot, reprit son collier et s'en alla,
obéissant à un confus besoin de se trouver seul et de réfléchir.
 
Mais, dès qu'il fut dans la rue, un besoin de rire le saisit, et il
pensa: «L'imbécile! oh! l'imbécile! si je l'avais pris au mot tout de
même! En voilà un bijoutier qui ne sait pas distinguer le faux du vrai!»
 
Et il pénétra chez un autre marchand, à l'entrée de la rue de la Paix.
Dès qu'il eut aperçu le bijou, l'orfèvre s'écria:
 
--Ah! parbleu, je le connais bien, ce collier; il vient de chez moi.
M. Lantin, fort troublé, demanda:

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