2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 6

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 6


J'augurai ce grand changement, quelque temps avant sa mort, de ce
que, lui ayant un jour reproché la mélancolie qu'il témoignait dans
les lieux où il avait accoutumé de dire les meilleures et les plus
plaisantes choses, il me répondit que c'était à cause que, commençant à
connaître le monde, il s'en désabusait; et qu'enfin il se trouvait dans
un état où il prévoyait que dans peu la fin de sa vie serait la fin de
ses disgrâces; mais qu'en vérité son plus grand déplaisir était de ne
l'avoir pas mieux employée_:
 
_Iam invenes vides, me dit-il,
Insteteum ferior œtas
Merentem stultos preterisse dies._
 
«_Et en vérité, ajouta-t-il, je crois que Tibulle prophétisait de moi,
quand il parlait de la sorte; car personne n'eut jamais tant de regret
que j'en ai de tant de beaux jours passés si inutilement._»
 
_Tu me dois pardonner cette digression, Lecteur, et si je me suis si
fort étendu sur le mérite d'un ami, sa mort m'exempte du blâme que
j'aurais encouru de l'avoir voulu flatter, outre que de si belles
choses ne sauraient jamais déplaire. Pour donc reprendre la suite des
autorités sur lesquelles il s'est fondé, je dis que le Démon dont il se
fait servir si utilement pendant son séjour dans la Lune n'est pas une
chose inouïe, puisque Thalès et Héraclite ont dit que le monde en était
rempli; outre ce qu'on a publié de ceux de Socrate, de Dion, de Brutus,
et de plusieurs autres. La pluralité des mondes, dont il a parlé, est
appuyée sur le sentiment de Démocrite, qui l'a soutenue; de même que
l'infini et les petits corps ou atomes, dont il a discouru en quelques
endroits après ce Philosophe, Epicure et Lucrèce._
 
_Le mouvement qu'il donne à la Terre n'est pas nouveau, puisque
Pythagore, Philolaus et Aristarque soutinrent autrefois qu'elle
tournait autour du Soleil, qu'ils mettaient au centre du monde.
Leucippe, et plusieurs autres ont presque dit la même chose; mais
Copernic, dans le dernier siècle, l'a soutenue plus hautement que tous,
puisqu'il a changé le système de Ptolémée, auparavant suivi de tous les
Astronomes, dont la plupart approuvent aujourd'hui celui de Copernic,
d'autant plus simple et plus aisé, qu'il met le Soleil au centre du
Monde, la Terre entre les Planètes, à la place que Ptolémée y donne
au Soleil, c'est-à-dire qu'il fait mouvoir autour du Soleil la sphère
de Mercure, puis celle de Vénus, puis celle de la Terre, au bord de
laquelle il met un Epicicle, sur lequel il fait tourner la Lune autour
de la Terre, et achever sa révolution en vingt-sept jours, outre celle
qu'il lui fait faire avec la même Terre autour du Soleil en un an._
 
_Je te confesserai toutefois, Lecteur, que ce changement m'est
indifférent, parce que je ne professe point ces Sciences, qui sont
trop abstraites pour moi; et je te proteste que tout ce que j'en sais
ne consiste qu'en quelques termes que me fournit la mémoire de quelque
lecture des ouvrages qui en traitent. C'est pourquoi je déclare que,
par ce que j'ai dit de Copernic, je n'ai point prétendu offenser
Ptolémée; il me suffit que_ Cœli enarrant gloriam Dei, _et que leur
admirable structure me prouve qu'ils ne sont point l'ouvrage de la main
des hommes. Quoi qu'en ait dit Ptolémée, ils ne sont que ce qu'ils ont
toujours été; et, quelque changement qu'y ait apporté Copernic, ils
sont demeurés dans le même lieu et dans la même fonction que leur a
donnés l'Etre Souverain, qui, sans changer, peut seul changer toutes
choses. J'ai dit, au commencement de ce discours, le sujet qui me l'a
fait entreprendre; et, dans la suite, on peut connaître comment et
pourquoi j'ai cité, tous ces Savants. Je te prie, Lecteur, de t'en
souvenir, afin de justifier le peu ou point de déférence que j'ai
pour tout ce qui peut commettre la vérité de ma croyance avec les
imaginations d'autrui._
 
_LE BRET._
 
[Illustration: Reproduction de la figure placée en tête du second
volume des «Œuvres || de Monsieur || de Cyrano || Bergerac Nouvelle
Édition || ornée de figures en taille-douce || A Amsterdam || chez
Jacques Desbordes, Libraire || vis-à-vis de la grande porte de la
Bourse 1709.]
 
 
 
 
[Illustration]
 
L'AUTRE MONDE
 
ou
 
HISTOIRE COMIQUE
 
des
 
États et Empires de la Lune
 
 
La Lune était en son plein, le Ciel était découvert, et neuf heures du
soir étaient sonnées, lorsque, revenant de Clamart, près Paris (où M.
de Guigy le fils, qui en est Seigneur, nous avait régalés plusieurs
de mes amis et moi), les diverses pensées que nous donna cette boule
de safran nous défrayèrent sur le chemin: de sorte que, les yeux
noyés dans ce grand Astre, tantôt l'un le prenait pour une lucarne du
Ciel; tantôt un autre assurait que c'était la platine où Diane dresse
les rabats d'Apollon; un autre, que ce pouvait bien être le Soleil
lui-même, qui, s'étant au soir dépouillé de ses rayons, regardait par
un trou ce qu'on faisait au monde, quand il n'y était pas.
 
--Et moi, leur dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres,
je crois, sans m'amuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez
le Temps pour le faire marcher plus vite, que la Lune est un monde
comme celui-ci; à qui le nôtre sert de Lune.
 
Quelques-uns de la compagnie me régalèrent d'un grand éclat de rire.
 
--Ainsi peut-être, leur dis-je, se moque-t-on maintenant, dans la Lune,
de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde.
 
Mais j'eus beau leur alléguer que _Pythagore_, _Epicure_, _Démocrite et
de notre âge Copernic et Keppler_[4] avaient été de cette opinion, je
ne les obligeai qu'à rire de plus belle.
 
[4] Var: plusieurs grands hommes. (Edition Le Bret.)
 
Cette pensée, cependant, dont la hardiesse biaisait à mon humeur,
affermie par la contradiction, se plongea si profondément chez moi,
que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille
définitions de Lune, dont je ne pouvais accoucher: de sorte qu'à force
d'appuyer cette croyance burlesque par des raisonnements presque
sérieux, il s'en fallait peu que je n'y déférasse déjà, quand le
miracle ou l'accident, la fortune, ou peut-être ce qu'on nommera
vision, fiction, chimère ou folie, si on veut, me fournit l'occasion
qui m'engagea à ce discours.
 
Etant arrivé chez moi, je montai dans mon cabinet, où je trouvai sur
la table un livre ouvert que je n'y avais point mis. C'était celui de
Cardan, et, quoique je n'eusse pas dessein d'y lire, je tombai de la
vue, comme par force, justement sur une histoire de ce philosophe qui
dit qu'étudiant un soir à la chandelle, il aperçut entrer, au travers
des portes fermées, deux grands vieillards, lesquels, après beaucoup
d'interrogations qu'il leur fit, répondirent qu'ils étaient habitants
de la Lune, et en même temps disparurent. Je demeurai si surpris, tant
de voir un livre qui s'était apporté là tout seul, que du temps et de
la feuille où il s'était rencontré ouvert, que je pris toute cette
enchaînure d'incidents pour une inspiration de faire connaître aux
hommes que la Lune est un monde.
 
--Quoi! disais-je en moi-même, après avoir tout aujourd'hui parlé d'une
chose, un livre qui est peut-être le seul au monde où cette matière
se traite si particulièrement, voler de ma bibliothèque sur ma table,
devenir capable de raison, pour s'ouvrir justement à l'endroit d'une
aventure si merveilleuse; entraîner mes yeux dessus, comme par force,
et fournir ensuite à ma fantaisie les réflexions, et à ma volonté les
desseins que je fais!--Sans doute, continuais-je, les deux vieillards
qui apparurent à ce grand homme sont ceux-là mêmes qui ont dérangé mon
livre et qui l'ont ouvert sur cette page pour s'épargner la peine de me
faire la harangue qu'ils ont faite à Cardan.--Mais, ajoutais-je, je ne
saurais m'éclaircir de ce doute, si je ne monte jusque-là?--Et pourquoi
non? me répondais-je aussitôt. Prométhée fut bien autrefois au Ciel y
dérober du feu. Suis-je moins hardi que lui? et ai-je lieu de n'en pas
espérer un succès aussi favorable?
 
A ces boutades, qu'on nommera peut-être des accès de fièvre chaude,
succéda l'espérance de faire réussir un si beau voyage: de sorte que
je m'enfermai, pour en venir à bout, dans une maison de campagne
assez écartée, où, après avoir flatté mes rêveries de quelques moyens
proportionnés à mon sujet, voici comment je montai au Ciel.
 
J'avais attaché autour de moi quantité de fioles pleines de rosée,
sur lesquelles le Soleil dardait ses rayons si violemment, que la
chaleur, qui les attirait, comme elle fait les plus grosses nuées,
m'éleva si haut, qu'enfin je me trouvai au-dessus de la moyenne région.
Mais, comme cette attraction me faisait monter avec trop de rapidité,
et qu'au lieu de m'approcher de la Lune, comme je prétendais, elle
me paraissait plus éloignée qu'à mon départ, je cassai plusieurs de
mes fioles, jusqu'à ce que je sentis que ma pesanteur surmontait
l'attraction, et que je redescendais vers la terre.
 
Mon opinion ne fut point fausse, car j'y retombai quelque temps après;
et, à compter de l'heure que j'en étais parti, il devait être minuit.
Cependant, je reconnus que le Soleil était alors au plus haut de
l'horizon, et qu'il était là midi. Je vous laisse à penser combien je
fus étonné: certes, je le fus de si bonne sorte que, ne sachant à quoi
attribuer ce miracle, j'eus l'insolence de m'imaginer qu'en faveur
de ma hardiesse, Dieu avait encore une fois recloué le Soleil aux
Cieux, afin d'éclairer une si généreuse entreprise. Ce qui accrut mon
étonnement, ce fut de ne point connaître le pays où j'étais, vu qu'il
me semblait qu'étant monté droit, je devais être descendu au même lieu
d'où j'étais parti. Equipé pourtant comme j'étais, je m'acheminai vers
une espèce de chaumière, où j'aperçus de la fumée; et j'en étais à
peine à une portée de pistolet, que je me vis entouré d'un grand nombre
d'hommes tout nus. Ils parurent fort surpris de ma rencontre, car
j'étais le premier, à ce que je pense, qu'ils eussent jamais vu habillé
de bouteilles. Et, pour renverser encore toutes les interprétations
qu'ils auraient pu donner à cet équipage, ils voyaient qu'en marchant
je ne touchais presque point à la terre: aussi ne savaient-ils pas
qu'au moindre branle que je donnais à mon corps, l'ardeur des rayons de
midi me soulevait avec ma rosée, et que, sans que mes fioles n'étaient
plus en assez grand nombre, j'eusse été possible à leur vue enlevé dans les airs.

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