2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 7

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 7



Je les voulus aborder; mais, comme si la frayeur les eût changés
en oiseaux, un moment les vit perdre dans la forêt prochaine. J'en
attrapai un toutefois, dont les jambes sans doute avaient trahi le
cœur. Je lui demandai, avec bien de la peine (car j'étais tout
essouflé), combien l'on comptait de là à Paris, et depuis quand en
France le monde allait tout nu, et pourquoi ils me fuyaient avec tant
d'épouvante. Cet homme, à qui je parlais, était un vieillard olivâtre,
qui d'abord se jeta à mes genoux; et, joignant les mains en haut
derrière la tête, ouvrit la bouche et ferma les yeux. Il marmotta
longtemps entre ses dents, mais je ne discernai point qu'il articulât
rien: de façon que je pris son langage pour le gazouillement enroué
d'un muet.
 
A quelque temps de là, je vis arriver une compagnie de soldats
tambour battant, et j'en remarquai deux se séparer du gros, pour me
reconnaître. Quand ils furent assez proches pour être entendus, je leur
demandai où j'étais.
 
--Vous êtes en France, me répondirent-ils, mais qui Diable vous a mis
en cet état? et d'où vient que nous ne vous connaissons point? Est-ce
que les vaisseaux sont arrivés? En allez-vous donner avis à monsieur le
Gouverneur? et pourquoi avez-vous divisé votre eau-de-vie en tant de
bouteilles?
 
A tout cela, je leur répartis que le Diable ne m'avait point mis en cet
état; qu'ils ne me connaissaient pas, à cause qu'ils ne pouvaient pas
connaître tous les hommes; que je ne savais point que la Seine portât
de navires à Paris, que je n'avais point d'avis à donner à Monsieur de
_Montbazon_[5]; et que je n'étais point chargé d'eau-de-vie.
 
[5] Var: le maréchal de l'Hôpital. (Edition Le Bret.)
 
--Ho, ho, me dirent-ils, me prenant les bras, vous faites le gaillard?
Monsieur le Gouverneur vous connaîtra bien, lui!
 
Ils me menèrent vers leur gros, où j'appris que j'étais véritablement
en France, mais en la Nouvelle[6], de sorte qu'à quelque temps de là
je fus présenté à _Monsieur de Montmagnie, qui en est le_ Vice-Roi,
qui me demanda mon pays, mon nom et ma qualité; et, après que je l'eus
satisfait, lui contant l'agréable succès de mon voyage, soit qu'il le
crût, soit qu'il feignît de le croire, il eut la bonté de me faire
donner une chambre dans son appartement. Mon bonheur fut grand de
rencontrer un homme capable de hautes opinions, et qui ne s'étonna
point, quand je lui dis qu'il fallait que la Terre eût tourné pendant
mon élévation, puisque, ayant commencé de monter à deux lieues de
Paris, j'étais tombé, par une ligne quasi-perpendiculaire, en Canada.
 
[6] Le Canada ou Nouvelle-France.
 
Le soir, comme je m'allais coucher, il entra dans ma chambre, et me dit:
 
--Je ne serais pas venu interrompre votre repos, si je n'avais cru
qu'une personne qui a pu trouver le secret de faire tant de chemin en
un demi-jour n'ait pas eu aussi celui de ne se point lasser. Mais vous
ne savez pas, ajouta-t-il, la plaisante querelle que je viens d'avoir
pour vous avec nos Pères _Jésuites_? Ils veulent absolument que vous
soyez magicien; et la plus grande grâce que vous puissiez obtenir d'eux
est de ne passer que pour imposteur. Et, en effet, ce mouvement que
vous attribuez à la Terre est un paradoxe assez délicat; et, pour moi,
je vous dirai franchement que ce qui fait que je ne suis pas de votre
opinion, c'est qu'encore qu'hier vous soyez parti de Paris, vous pouvez
être arrivé aujourd'hui en cette contrée, sans que la Terre ait tourné;
car le Soleil, vous ayant enlevé par le moyen de vos bouteilles, ne
doit-il pas vous avoir amené ici, puisque, selon Ptolémée, Tycho Brahé
et les philosophes modernes, il chemine du biais que vous faites
marcher la Terre? Et puis, quelle grande vraisemblance avez-vous, pour
vous figurer que le Soleil soit immobile, quand nous le voyons marcher?
et quelle apparence que la Terre tourne avec tant de rapidité, quand
nous la sentons ferme dessous nous?
 
--Monsieur, lui répliquai-je, voici les raisons à peu près qui nous
obligent à le préjuger. Premièrement, il est du sens commun de croire
que le Soleil a pris la place au centre de l'univers, puisque tous
les corps qui sont dans la Nature ont besoin de ce feu radical;
qu'il habite au cœur de ce Royaume, pour être en état de satisfaire
promptement à la nécessité de chaque partie, et que la cause des
générations soit placée au milieu de tous les corps, pour y agir
également et plus aisément: de même que la sage Nature a placé les
parties génitales dans l'homme, les pépins dans le centre des pommes,
les noyaux au milieu de leur fruit; et de même que l'oignon conserve,
à l'abri de cent écorces qui l'environnent, le précieux germe où
dix millions d'autres ont à puiser leur essence; car cette pomme
est un petit univers à soi-même, dont le pépin, plus chaud que les
autres parties, est le soleil, qui répand autour de soi la chaleur
conservatrice de son globe; et ce germe, dans cette opinion, est
le petit Soleil de ce petit monde, qui réchauffe et nourrit le sel
végétatif de cette petite masse. Cela donc supposé, je dis que la
Terre ayant besoin de la lumière, de la chaleur, et de l'influence de
ce grand feu, elle tourne autour de lui pour recevoir également en
toutes ses parties cette vertu qui la conserve. Car il serait aussi
ridicule de croire que ce grand corps lumineux tournât autour d'un
point dont il n'a que faire que de s'imaginer, quand nous voyons une
alouette rôtie, qu'on a, pour la cuire, tourné la cheminée alentour.
Autrement, si c'était au Soleil à faire cette corvée, il semblerait
que la médecine eût besoin du malade; que le fort dût plier sous le
faible; le grand servir au petit; et qu'au lieu qu'un vaisseau cingle
le long des côtes d'une province, la province tournerait autour du
vaisseau. Que si vous avez peine à comprendre comme une masse si lourde
se peut mouvoir, dites-moi, je vous prie, les Astres et les Cieux, que
vous faites si solides, sont-ils plus légers? Encore est-il plus aisé
à nous, qui sommes assurés de la rondeur de la Terre, de conclure son
mouvement par sa figure. Mais pourquoi supposer le Ciel rond, puisque
vous ne le sauriez savoir, et que, de toutes les figures, s'il n'a pas
celle-ci, il est certain qu'il ne se peut mouvoir? Je ne vous reproche
point vos excentèques, ni vos épicicles, lesquels vous ne sauriez
expliquer que très confusément, et dont je sauve mon système. Parlons
seulement des causes naturelles de ce mouvement. Vous êtes contraints,
vous autres, de recourir aux intelligences qui remuent et gouvernent
vos globes? Mais moi, sans interrompre le repos du Souverain Etre, qui
sans doute a créé la Nature toute parfaite, et de la sagesse duquel il
est de l'avoir achevée, de telle sorte que, l'ayant accomplie pour une
chose, il ne l'ait pas rendue défectueuse pour une autre; je dis que
les rayons du Soleil, avec ses influences, venant à frapper dessus, par
leur circulation, la font tourner, comme nous faisons tourner un globe
en le frappant de la main; ou de même que les fumées, qui s'évaporent
continuellement de son sein, du côté que le Soleil la regarde,
répercutées par le froid de la moyenne région, rejaillissent dessus,
et de nécessité, ne la pouvant frapper que de biais, la font ainsi
pirouetter. L'explication des deux autres mouvements est encore moins
embrouillée. Considérez un peu, je vous prie...
 
A ces mots, _Monsieur de Montmagnie_ m'interrompit:
 
--J'aime mieux, dit-il, vous dispenser de cette peine; aussi bien,
ai-je lu, sur ce sujet, quelques livres de Gassendi, mais à la charge
que vous écouterez ce que me répondit un jour un de nos Pères, qui
soutenait votre opinion: «En effet, disait-il, je m'imagine que la
Terre tourne, non point pour les raisons qu'allègue Copernic, mais
parce que, le feu d'enfer _ainsi que vous apprend la Sainte-Ecriture_,
étant enclos au centre de la terre, les damnés, qui veulent fuir
l'ardeur de sa flamme, gravissent, pour s'en éloigner, contre la voûte,
et font ainsi tourner la Terre, comme un chien fait tourner une roue,
lorsqu'il court enfermé dedans.»
 
Nous louâmes quelque temps cette pensée, comme un pur zèle de ce bon
Père, et enfin _Monsieur de Montmagnie_ me dit qu'il s'étonnait fort,
vu que le système de Ptolémée était si peu probable, qu'il eût été si
généralement reçu.
 
--Monsieur, lui répondis-je, la plupart des hommes, qui ne jugent que
par les sens, se sont laissé persuader à leurs yeux, et de même que
celui dont le vaisseau vogue terre à terre croit demeurer immobile, et
que le rivage chemine, ainsi les hommes, tournant avec la Terre autour
du Ciel, ont cru que c'était le Ciel lui-même qui tournait autour
d'eux. Ajoutez à cela l'orgueil insupportable des humains, qui se
persuadent que la Nature n'a été faite que pour eux, comme s'il était
vraisemblable que le Soleil, un grand corps quatre cent trente-quatre
fois plus vaste que la terre, n'eût été allumé que pour mûrir ses
nèfles, et pommer ses choux. Quant à moi bien loin de consentir à leur
insolence, je crois que les Planètes sont des mondes autour du Soleil,
et que les étoiles fixes sont aussi des Soleils qui ont des Planètes
autour d'eux, c'est-à-dire, des mondes que nous ne voyons pas d'ici à
cause de leur petitesse, et parce que leur lumière empruntée ne saurait
venir jusqu'à nous. Car comment, en bonne foi, s'imaginer que ces
globes si spacieux ne soient que de grandes campagnes désertes, et que
le nôtre, à cause que nous y campons _une douzaine de glorieux coquins_
ait été bâti pour _commander à tous_? Quoi! parce que le Soleil
compasse nos jours et nos années, est-ce à dire, pour cela, qu'il n'ait
été construit qu'afin que nous ne frappions pas de la tête contre
les murs? Non, non, si ce Dieu visible éclaire l'homme, c'est par
accident, comme le flambeau du Roi éclaire par accident au Crocheteur
qui passe par la rue.
 
--Mais, me dit-il, si, comme vous assurez, les étoiles fixes sont
autant de Soleils, on pourrait conclure de là que le monde serait
infini, puisqu'il est vraisemblable que les peuples de ce monde
qui sont autour d'une étoile fixe, que vous prenez pour un Soleil,
découvrent encore au-dessus d'eux d'autres étoiles fixes que nous ne
saurions apercevoir d'ici, et qu'il en va de cette sorte à l'infini.
 
--N'en doutez point, lui répliquai-je, comme Dieu a pu faire l'âme
immortelle, il a pu faire le monde infini, s'il est vrai que l'éternité
n'est rien autre chose qu'une durée sans bornes, et l'infini, une
étendue sans limites. Et puis, Dieu serait fini lui-même, supposé que
le monde ne fût pas infini, puisqu'il ne pourrait pas être où il n'y
aurait rien, et qu'il ne pourrait accroître la grandeur du monde qu'il
n'ajoutât quelque chose à sa propre étendue, commençant d'être où il
n'était pas auparavant. Il faut donc croire que, comme nous voyons
d'ici Saturne et Jupiter, si nous étions dans l'un ou dans l'autre,
nous découvririons beaucoup de mondes que nous n'apercevons pas, et que
l'univers est à l'infini construit de cette sorte.
 
--Ma foi! me répliqua-t-il, vous avez beau dire, je ne saurais du tout
comprendre cet infini.
 
[Illustration: Dès que la flamme eut dévoré un rang de fusées...
(Page 33).]
 
--Hé! dites-moi, lui repartis-je, comprenez-vous le rien qui est au
delà? Point du tout. Car, quand vous songez à ce néant, vous vous
l'imaginez tout au moins comme du vent ou comme de l'air, et cela,
c'est quelque chose; mais l'infini, si vous ne le comprenez en général,
vous le concevez au moins par parties, puisqu'il n'est pas difficile de
se figurer, au delà de ce que nous voyons de terre et d'air, du feu,
d'autre air, et d'autre terre. Or, l'infini n'est rien qu'une tissure
sans bornes de tout cela. Que si vous me demandez de quelle façon ces
mondes ont été faits, vu que la Sainte-Ecriture parle seulement d'un
que Dieu créa[7], _je réponds qu'elle ne parle que du nôtre à cause
qu'il est le seul que Dieu ait voulu prendre la peine de faire de sa
propre main, mais_ tous les autres _qu'on voit ou_ qu'on ne voit point,
_suspendus parmi l'azur de l'Univers_, ne sont rien que de l'écume des
Soleils qui se purgent. Car comment ces grands feux pourraient-ils
subsister, s'ils n'étaient attachés à quelque matière qui les nourrit?
Or, de même que le feu pousse loin de chez soi la cendre dont il est
étouffé, de même que l'or, dans le creuset, se détache en s'affinant,
du marcassite qui affaiblit son carat, et de même encore que notre
cœur se dégage, par le vomissement, des humeurs indigestes qui
l'attaquent; ainsi _le_ Soleil dégorge tous les jours et se purge, des
restes de la matière qui _nourrit son_ feu. Mais, lorsqu'il aura tout à
fait consumé cette matière qui l'entretient, vous ne devez point douter
qu'il ne se répande de tous côtés pour chercher une autre pâture, et
qu'il ne s'attache à tous les mondes qu'il aura construits autrefois,
à ceux particulièrement qu'il rencontrera les plus proches; alors ces
grands feux, rebouillant tous les corps, les rechasseront pêle-mêle
de toutes parts comme auparavant, et, s'étant peu à peu purifiés,
ils commenceront de servir de Soleil à d'autres petits mondes qu'ils
engendreront en les poussant hors de leur Spère. Et c'est ce qui a
fait sans doute prédire aux Pythagoriciens l'embrasement universel.

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