2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 5

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 5



Néanmoins, il ne blâmait jamais un ouvrage absolument, quand il y
trouvait quelque chose de nouveau; parce qu'il disait que c'était un
accroissement de bien aussi grand pour la République des Lettres que
la découverte des terres nouvelles est utile aux anciennes; et la
nation des Critiques lui semblait d'autant plus insupportable, qu'il
attribuait, à l'envie et au dépit qu'ils avaient de se voir incapables
d'aucune entreprise (qui est toujours louable, quand bien l'effet
n'y répondrait pas entièrement), la passion qu'ils font paraître à
reprendre les autres._
 
_Non ego paucis_, disait-il.
_Offendat maculis quas aut incuriat fudit
Aut humana parum cavit natura._
 
_Et, en effet, si on souffre bien des ombres dans un tableau,
pourquoi ne pas souffrir dans un Livre quelques endroits moins forts
que d'autres, puisque, par la règle des contraires, le noir sert
quelquefois à faire davantage briller le blanc._
 
_Cependant, comme il n'avait que des sentiments extraordinaires,
aucun de ses ouvrages n'a été mis entre les communs. Son_ Agrippine
_commence, continue, et finit d'une manière que d'autres n'avaient
point encore pratiquée. L'élocution y est toute poétique, le sujet
bien choisi, les rôles fort beaux, les sentiments romains dans une
vigueur digne d'un si grand nom, l'intrigue merveilleuse, la surprise
agréable, le démêlé clair, et la règle des vingt-quatre heures si
régulièrement observée, que cette Pièce peut passer pour un Modèle du
Poème dramatique._
 
_Mais en quoi particulièrement il était admirable, c'est que du sérieux
il passait au plaisant, et y réussissait également. Sa comédie du_
Pédant joué _en est une preuve et très forte et très agréable; de
même que plusieurs de ses autres ouvrages; témoignage très fidèle
de l'universalité de son bel esprit. Son_ Histoire de l'Etincelle
et de la République du Soleil, _où, en même style qu'il a prouvé la
Lune habitable, il prouvait le sentiment des pierres, l'instinct des
plantes, et le raisonnement des brutes, était encore au-dessus de tout
cela, et j'avais résolu de la joindre à celle-ci; mais un voleur, qui
pilla son coffre pendant sa maladie, m'a privé de cette satisfaction,
et toi, de ce surcroît de divertissement._
 
_Enfin, Lecteur, il passa toujours pour un homme d'esprit très rare; à
quoi la Nature joignit tant de bonheur du côté des sens, qu'il se les
soumit toujours autant qu'il voulut; de sorte qu'il ne but du vin que
rarement, à cause, disait-il, que son excès abrutit, et qu'il fallait
être autant sur la précaution à son égard que de l'arsenic (c'était
à quoi il le comparait), parce qu'on doit tout appréhender de ce
poison, quelque préparation qu'on y apporte; quand même il n'y aurait
à en craindre que ce que le vulgaire nomme qui pro quo, qui le rend
toujours dangereux. Il n'était pas moins modéré dans son manger, dont
il bannissait les ragoûts tant qu'il pouvait, dans la croyance que le
plus simple vivre, et le moins mixtionné, était le meilleur: ce qu'il
confirmait par l'exemple des hommes modernes, qui vivent si peu; au
contraire de ceux des premiers siècles, qui semblent n'avoir vécu si
longtemps qu'à cause de la simplicité de leurs repas._
 
_Quippe aliter tunc orbe novo cœloque recente
Vivebant homines..._
 
_Il accompagnait ces deux qualités d'une si grande retenue envers le
beau sexe, qu'on peut dire qu'il n'est jamais sorti du respect que le
nôtre lui doit; et il avait joint à tout cela une si grande aversion
pour tout ce qui lui semblait intéressé, qu'il ne put jamais s'imaginer
ce que c'était de posséder du bien en particulier, le sien étant bien
moins à lui qu'à ceux de sa connaissance qui en avaient besoin. Aussi
le ciel, qui n'est point ingrat, voulut que d'un grand nombre d'amis
qu'il eut pendant sa vie, plusieurs l'aimassent jusqu'à la mort, et
quelques-uns même par delà._
 
_Je me doute, Lecteur, que ta curiosité, pour sa gloire et ma
satisfaction, demande que j'en consigne les noms à la postérité; et
j'y défère d'autant plus volontiers, que je ne t'en nommerai aucun qui
ne soit d'un mérite extraordinaire, tant il les avait bien su choisir.
Plusieurs raisons, et principalement l'ordre du temps, veulent que je
commence par Monsieur de Prade, en qui la belle science égalait un
grand cœur et beaucoup de bonté, que son admirable histoire de France
fait si justement nommer le Corneille Tacite des Français, et qui sut
tellement estimer les belles qualités de Monsieur de Bergerac, qu'il
fut après moi le plus ancien de ses amis et un de ceux qui le lui a
témoigné le plus obligeamment en une infinité de rencontres. L'illustre
Cavois, qui fut tué à la bataille de Lens, et le vaillant Brissailles,
Enseigne des Gens-d'armes de son Altesse Royale, furent non seulement
les justes estimateurs de ses belles actions, mais encore ses glorieux
témoins, et ses fidèles compagnons en quelques-unes. J'ose dire que
mon frère et Monsieur de Zedde, qui se connaissent en braves, et qui
l'ont servi, et en ont été servis dans quelques occasions souffertes
en ce temps-là aux gens de leur métier, égalaient son courage à celui
des plus vaillants; et, si ce témoignage était suspect, à cause de
la part qu'y a mon frère, je citerais encore un brave de la plus
haute classe, je veux dire Monsieur Duret de Monchenin, qui l'a trop
bien connu et trop estimé, pour ne pas confirmer ce que j'en dis.
J'y puis ajouter Monsieur de Bourgongne, Mestre de Camp du Régiment
d'Infanterie de Monseigneur le Prince de Conti; puisqu'il vit le
combat surhumain dont j'ai parlé, et que le témoignage qu'il en
rendit avec le nom d'intrépide, qu'il lui en donne toujours depuis,
ne permet pas qu'il en reste l'ombre du moindre doute, au moins à
ceux qui ont connu Monsieur de Bourgongne, qui était trop savant à
bien faire le discernement de ce qui n'en mérite point, et dont le
génie était universellement trop beau pour se tromper dans une chose
de cette nature. Monsieur de Chavagne, qui court toujours avec une si
agréable impétuosité au-devant de ceux qu'il veut obliger, cet illustre
Conseiller Monsieur de Longueville-Gontier, qui a toutes les qualités
d'un homme achevé, Monsieur de Saint-Gilles, en qui l'effet suit
toujours l'envie d'obliger, et qui n'est pas un petit témoin de son
courage et de son esprit, Monsieur de Lignières, dont les productions
sont les effets d'un parfaitement beau feu, Monsieur de Châteaufort,
en qui la mémoire et le jugement sont si admirables, et l'application
si heureuse d'une infinité de belles choses qu'il sait, Monsieur des
Billettes qui n'ignore rien à vingt-trois ans de ce que les autres font
gloire de savoir à cinquante, Monsieur de la Morlière, dont les mœurs
sont si belles, et la façon d'obliger si charmante, Monsieur le Comte
de Brienne, de qui le bel esprit répond si bien à sa grande naissance,
eurent pour lui toute l'estime qui fait la véritable amitié, dont à
l'envi ils prirent plaisir de lui donner des marques très sensibles.
Je ne particulariserai rien de ce fort esprit, de ce tout savant,
de cet infatigable à produire tant de bonnes et si utiles choses,
Monsieur l'Abbé de Villeloin, parce que je n'ai pas eu l'honneur de le
pratiquer, mais je puis assurer que Monsieur de Bergerac s'en louait
extrêmement, et qu'il en avait reçu plusieurs témoignages de beaucoup
de bonté._
 
_J'aurais ajouté que, pour complaire à ses amis qui lui conseillaient
de se faire un Patron qui l'appuyât à la Cour, ou ailleurs, il vainquit
le grand amour qu'il avait pour sa liberté, et que, jusqu'au jour qu'il
reçut à la tête le coup dont j'ai parlé, il demeura auprès de Monsieur
le Duc d'Arpajon, à qui même il dédia tous ses Ouvrages; mais, parce
que dans sa maladie il se plaignit d'en avoir été abandonné, j'ai cru
ne pas devoir décider si ce fut par un effet du malheur général pour
tous les petits, et commun à tous les grands, qui ne se souviennent
des services qu'on leur rend que dans le temps qu'ils les reçoivent,
ou si ce n'était point un secret du Ciel, qui, voulant l'ôter sitôt du
monde, voulait aussi lui inspirer le peu de regret qu'on doit avoir de
quitter ce qui nous y semble de plus beau, et qui pourtant ne l'est pas
toujours._
 
_Je ferais tort à Monsieur Roho, si je n'ajoutais son nom sur une liste
si glorieuse, puisque cet illustre mathématicien, qui a tant fait de
belles épreuves physiques, et qui n'est pas moins aimable pour sa bonté
et sa modestie que relevé au-dessus du commun par sa science, eut tant
d'amitié pour Monsieur de Bergerac, et s'intéressa de telle sorte pour
ce qui le touchait, qu'il fut le premier qui découvrit la véritable
cause de sa maladie, et qui rechercha soigneusement, avec tous ses
amis, les moyens de l'en délivrer; mais Monsieur des Boisclairs,
qui jusque dans ses moindres actions n'a rien que d'héroïque, crut
trouver en Monsieur de Bergerac une trop belle occasion de satisfaire
sa générosité, pour en laisser la gloire aux autres, qu'il résolut de
prévenir, et qu'il prévint en effet, dans une conjoncture d'autant plus
utile à son ami, que l'ennui de sa longue captivité le menaçait d'une
prompte mort, dont une violente fièvre avait même déjà commencé le
triste prélude. Mais cet ami sans pair l'interrompit, par un intervalle
de quatorze mois, qu'il le garda chez lui, et il eût eu, avec la gloire
que méritent tant de grands soins et tant de bons traitements qu'il lui
fit, celle de lui avoir conservé la vie, si ses jours n'eussent été
comptés et bornés à la trente-cinquième année de son âge, qu'il finit à
la campagne chez Monsieur de Cyrano, son cousin, dont il avait reçu de
grands témoignages d'amitié, de qui les conversations, si savantes dans
l'Histoire du temps présent et du passé, lui plaisaient extrêmement,
et chez qui, par une affectation de changer d'air qui précède la mort,
et qui en est un symptôme presque certain dans la plupart des malades,
il se fit porter, cinq jours avant de mourir._
 
_Je crois que c'est rendre à Monsieur le Maréchal de Gassion une partie
de l'honneur qu'on doit à sa mémoire, de dire qu'il aimait les gens
d'esprit et de cœur, parce qu'il se connaissait en tous les deux, et
que, sur le récit que Messieurs de Cavois et de Cuigy lui firent de
Monsieur de Bergerac, il le voulut avoir auprès de lui. Mais la liberté
dont il était encore idolâtre (car il ne s'attacha que longtemps après
à M. d'Arpajon) ne put jamais lui faire considérer un si grand homme
que comme un maître; de sorte qu'il aima mieux n'en être pas connu
et être libre, que d'en être aimé et être contraint; et même cette
humeur, si peu soucieuse de la fortune, et si peu des gens du temps,
lui fit négliger plusieurs belles connaissances que la Révérende Mère
Marguerite, qui l'estimait particulièrement, voulut lui procurer; comme
s'il eût pressenti que ce qui fait le bonheur de cette vie lui eût été
inutile pour s'assurer celui de l'autre. Ce fut la seule pensée qui
l'occupa sur la fin de ses jours d'autant plus sérieusement, que Madame
de Neuvillette, cette femme toute pieuse, toute charitable, toute à son
prochain, parce quelle est toute à Dieu, et de qui il avait l'honneur
d'être parent du côté de la noble famille des Bérangers, y contribua,
de sorte qu'enfin le libertinage, dont les jeunes gens sont pour la
plupart soupçonnés, lui parut un monstre, pour lequel je puis témoigner
qu'il eut depuis cela toute l'aversion qu'en doivent avoir ceux qui veulent vivre chrétiennement.

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