2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 4

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 4



je sais trop bien que la lecture n'est agréable qu'à proportion de ce
qu'elle est libre; c'est pourquoi je trouve bon que chacun en juge
selon le fort ou le faible de son génie; mais je prie les plus généreux
de se laisser prévenir par cette favorable pensée qu'il n'a eu pour
but que le plaisant, et c'est ce qui lui a pu faire négliger quelques
endroits, auxquels, à cause de cela, on doit une attention d'autant
moins austère, que par ce moyen on l'excusera plus facilement de la
circonspection, qu'autrement on y désirerait trop grande de sa part,
de la mienne, et de celle des Imprimeurs._
 
_Quid ergo?
Ut scriptor si peccat, idem librarius usque,
Quamvis est monitus, venia caret._[3]
 
[3] _Horace, Art Poétique._
 
_J'avoue, toutefois, que, si j'eusse eu le temps, ou que je n'y eusse
pas prévu de très grandes difficultés, j'aurais volontiers examiné la
chose de sorte qu'elle t'aurait semblé peut-être plus complète; mais
j'ai appréhendé d'y mettre, ou de la confusion, ou de la difformité, si
j'entreprenais d'en changer l'ordre, ou de suppléer à quelques lacunes,
par le mélange de mon style au sien, dont ma mélancolie ne me permet
pas d'imiter la gaieté, ni de suivre les beaux emportements de son
imagination, la mienne, à cause de sa froideur, étant beaucoup plus
stérile. C'est une disgrâce qui est arrivée à presque tous les ouvrages
posthumes, où ceux qui se sont donné le soin de les mettre au jour
ont souffert de semblables lacunes, dans la crainte (s'ils en avaient
entrepris le supplément) de ne pas cadrer à la pensée de l'Auteur. Ceux
de Pétrone sont de ce nombre-là; mais on ne laisse pas d'en admirer les
beaux fragments, comme on fait des restes de l'ancienne Rome._
 
_Peut-être, toutefois, que, sans mettre ces choses en considération,
le Critique, qui ne se dément jamais, biaisant au reproche qu'il
pourrait encourir s'il attaquait un mort, changera seulement d'objets,
et prétendra me rendre caution de l'événement de ce Livre, sous ombre
que je me suis donné le soin de son impression; mais j'appelle dès
à présent de son sentiment à celui des Sages, qui me dispenseront
toujours d'être responsable des faits d'autrui, et de rendre raison
d'un pur effet de l'imagination de mon ami, qui lui-même n'aurait
pas entrepris d'en donner de plus solides que celles qu'on rend
ordinairement des fables et des romans._
 
_Je dirai seulement, par forme de manifeste en sa faveur, que sa
chimère n'est pas si absolument dépourvue de vraisemblance, qu'entre
plusieurs grands hommes anciens et modernes, quelques-uns n'aient
cru que la Lune était une terre habitable; d'autres, qu'elle était
habitée; et d'autres plus retenus, qu'elle leur semblait telle. Entre
les premiers et les seconds, Héraclite a soutenu qu'elle était une
terre entourée de brouillards; Xénophon, qu'elle était habitable;
Anaxagoras, qu'elle avait des collines, des vallées, des forêts, des
maisons, des rivières et des mers; et Lucien, qu'il y avait vu des
hommes avec lesquels il avait conversé et fait la guerre contre les
habitants du Soleil; ce qu'il conte toutefois avec beaucoup moins de
vraisemblance et de gentillesse d'imagination que Monsieur de Bergerac.
En quoi certainement les modernes l'emportent sur les anciens, puisque
les Gansars, qui y portèrent l'Espagnol, dont le Livre parut ici,
il y a douze ou quinze ans, les bouteilles pleines de rosée, les
fusées volantes et le chariot d'acier de Monsieur de Bergerac, sont
des machines bien plus agréablement imaginées que le vaisseau dont
se servit Lucien, pour y monter. Enfin, entre les derniers, le Père
de Mersenne, (dont la grande piété et la science profonde ont été
également admirées de ceux qui l'ont connu), a douté si la Lune n'était
pas une terre, à cause des eaux qu'il y remarquait, et que celles qui
environnent la terre où nous sommes en pourraient faire conjecturer la
même chose à ceux qui en seraient éloignés de soixante demi-diamètres
terrestres, comme nous sommes de la Lune. Ce qui peut passer pour une
espèce d'affirmation, parce que le doute, dans un si grand homme, est
toujours fondé sur une bonne raison, au moins sur plusieurs apparences
qui y équipollent. Gilbert se déclare plus précisément sur le même
sujet, car il veut que la Lune soit une terre, mais plus petite que
la nôtre, et il s'efforce de le prouver par les convenances qui sont
entre celle-ci et celle-là. Henry le Roy et François Patrice sont de
ce sentiment, et expliquent fort au long sur quelles apparences ils se
fondent, soutenant enfin que notre Terre et la Lune se servent de Lunes
réciproquement._
 
_Je sais que les Péripatéticiens ont été d'opinion contraire, et qu'ils
ont soutenu que la Lune ne pouvait être une terre, parce qu'elle
ne portait point d'animaux, qu'ils n'y auraient pu être que par la
génération et la corruption, et que la Lune est incorruptible, qu'elle
a toujours été portée d'une situation stable et constante, et qu'on n'y
a remarqué aucun changement depuis le commencement du monde jusqu'à
présent. Mais Hevelius leur répond que notre Terre, quelque corruptible
qu'elle nous paraisse, n'a pas laissé de durer autant que la Lune, où
il s'est pu faire des corruptions, dont nous ne nous sommes jamais
aperçus, parce qu'elles s'y sont faites dans ses moindres parties,
et sur sa simple surface; comme celles qui se font sur la surface de
notre Terre, où nous ne les pourrions découvrir, si nous en étions
aussi éloignés que de la Lune. Il ajoute plusieurs autres raisonnements
qu'il confirme par un télescope de son invention, avec quoi il dit (et
l'expérience en est facile et familière) qu'il a découvert dans la Lune
que les parties plus luisantes et plus épaisses, les grandes et les
petites, ont un juste rapport avec nos mers, nos rivières, nos lacs,
nos plaines, nos montagnes et nos forêts._
 
_Enfin, notre divin Gassendi, si sage, si modeste, et si savant en
toutes ces choses, ayant voulu se divertir, comme je crois qu'ont voulu
faire les autres, a écrit sur ce sujet de même que Hevelius, ajoutant
qu'il croit qu'il y a des montagnes dans la Lune, hautes quatre fois
comme le mont Olympe, à prendre sa hauteur sur celle que lui donne
Xénagoras, c'est-à-dire de quarante stades, qui reviennent environ à
cinq milles d'Italie._
 
_Tout cela, Lecteur, te peut faire connaître que Monsieur de Bergerac
ayant eu tant de grands hommes de son sentiment, il est d'autant plus
à louer, qu'il a traité plaisamment une chimère dont ils ont traité
trop sérieusement: aussi, avait-il cela de particulier, qu'il croyait
qu'on devait rire et douter de tout ce que certaines gens assurent
bien souvent aussi opiniâtrement que ridiculement; en sorte que je
lui ai ouï dire beaucoup de fois qu'il avait autant de Farceurs qu'il
rencontrait de Sidias (c'est le nom d'un pédant que Théophile, dans
ses fragments comiques, fait battre à coups de poing contre un jeune
homme à qui le pédant opiniâtrait qu'odor in pomo non erat forma, sed
accidens), parce qu'il croyait qu'on pouvait donner ce nom à ceux qui
disputent, avec la même opiniâtreté, de choses aussi inutiles._
 
_L'éducation que nous avions eue ensemble, chez un bon prêtre de la
campagne qui tenait de petits pensionnaires, nous avait fait amis dès
notre plus grande jeunesse, et je me souviens de l'aversion qu'il avait
dès ce temps-là pour ce qui lui paraissait l'ombre d'un Sidias, parce
que, dans la pensée que cet homme en tenait un peu, il le croyait
incapable de lui enseigner quelque chose; de sorte qu'il faisait si peu
d'état de ses leçons et de ses corrections, que son père, qui était
un bon vieux Gentilhomme assez indifférent pour l'éducation de ses
enfants, et trop crédule aux plaintes de celui-ci, l'en retira un peu
trop brusquement; et, sans s'informer si son fils serait mieux autre
part, il l'envoya à Paris, où il le laissa jusqu'à dix-neuf ans sur
sa bonne foi. Cet âge, où la nature se corrompt plus aisément, et la
grande liberté qu'il avait de ne faire que ce que bon lui semblait, le
portèrent sur un dangereux penchant, où j'ose dire que je l'arrêtai;
parce qu'ayant achevé mes études, et mon père voulant que je servisse
dans les Gardes, je l'obligeai d'entrer avec moi dans la Compagnie
de Monsieur de Carbon Casteljaloux. Les duels, qui semblaient, en
ce temps-là l'unique et le plus prompt moyen de se faire connaître
le rendirent en si peu de jours si fameux, que les Gascons, qui
composaient presque seuls cette Compagnie, le considéraient comme le
démon de la bravoure, et en comptaient autant de combats que de jours
qu'il y était entré. Tout cela cependant ne le détournait point de ses
études, et je le vis un jour dans un corps de garde travailler à une
Elégie avec aussi peu de distraction, que s'il eût été dans un cabinet
fort éloigné du bruit. Il alla quelque temps après au siège de Mouzon,
où il reçut un coup de mousquet au travers du corps, et depuis, un coup
d'épée dans la gorge, au siège d'Arras en 1640. Mais les incommodités
qu'il souffrit pendant ces deux sièges, celles que lui laissèrent
ces deux grandes plaies, les fréquents combats que lui attirait la
réputation de son courage et de son adresse, qui l'engagèrent plus
de cent fois à être second (car il n'eut jamais une querelle de son
chef), le peu d'espérance qu'il avait d'être considéré, faute d'un
patron, auprès de qui son génie tout libre le rendait incapable de
s'assujettir, et enfin le grand amour qu'il avait pour l'étude, le
firent renoncer entièrement au métier de la guerre, qui veut tout
un homme, et qui le rend autant ennemi des Lettres que les Lettres
le font ami de la paix. Je t'en particulariserais quelques combats
qui n'étaient point des duels, comme fut celui où, de cent hommes
attroupés pour insulter en plein jour à un de ses amis sur le fossé de
la porte de Nesle, deux, par leur mort, et sept autres, par de grandes
blessures, payèrent la peine de leur mauvais dessein. Mais, outre
que cela passerait pour fabuleux, quoique fait à la vue de plusieurs
personnes de qualité qui l'ont publié assez hautement pour empêcher
qu'on n'en puisse douter, je crois n'en devoir pas dire davantage,
puisque aussi bien en suis-je à l'endroit où il quitta Mars pour se
donner à Minerve; je veux dire qu'il renonça si absolument à toutes
sortes d'emplois depuis ce temps-là, que l'étude fut l'unique auquel il
s'adonna jusqu'à la mort._
 
_Au reste, il ne bornait pas sa haine pour la sujétion, à celle
qu'exigent les Grands auprès desquels on s'attache; il l'étendait
encore plus loin, et même jusqu'aux choses qui lui semblaient
contraindre les pensées et les opinions, dans lesquelles il voulait
être aussi libre, que dans les plus indifférentes actions; et
il traitait de ridicules certaines gens, qui, avec l'autorité
d'un passage, ou d'Aristote, ou de tel autre, prétendent, aussi
audacieusement que les disciples de Pythagore avec leur Magister dixit,
juger des questions importantes, quoique des preuves sensibles et
familières les démentent tous les jours. Ce n'est pas qu'il n'eût toute
la vénération qu'on doit avoir pour tant de rares Philosophes, anciens
et modernes; mais la grande diversité de leurs sectes, et l'étrange
contrariété de leurs opinions, lui persuadaient qu'on ne devait être
d'aucun parti_:
 
_Nullius addictus jurare in verba magistri_.
 
_Démocrite et Pyrrhon lui semblaient, après Socrate, les plus
raisonnables de l'antiquité; encore, n'était-ce qu'à cause que le
premier avait mis la vérité dans un lieu si obscur, qu'il était
impossible de la voir; et que Pyrrhon avait été si généreux,
qu'aucun des savants de son siècle n'avait pu mettre ses sentiments
en servitude, et si modeste, qu'il n'avait jamais voulu rien décider;
ajoutant, à propos de ces savants, que beaucoup de nos Modernes
ne lui semblaient que les échos d'autres savants, et que beaucoup
de gens passent pour très doctes, qui auraient passé pour très
ignorants, si des savants ne les avaient précédés. De sorte que,
quand je lui demandais pourquoi donc il lisait les ouvrages d'autrui,
il me répondait que c'était pour connaître les larcins d'autrui; et
que, s'il eût été juge de ces sortes de crimes, il y aurait établi
des peines plus rigoureuses que celles dont on punit les voleurs de
grands chemins; à cause que, la gloire étant quelque chose de plus
précieux qu'un habit, qu'un cheval, et même que de l'or, ceux qui s'en
acquièrent par des livres qu'ils composent de ce qu'ils dérobent chez
les autres étaient comme des voleurs de grands chemins, qui se parent
aux dépens de ceux qu'ils dévalisent; et que, si chacun eût travaillé à
ne dire que ce qui n'eût point été dit, les bibliothèques eussent été
moins grosses, moins embarrassantes, plus utiles, et la vie de l'homme,
(quoique très courte), eût presque suffi pour lire et savoir toutes
les bonnes choses; au lieu que, pour en trouver une qui soit passable,
il en faut lire cent mille, ou qui ne valent rien, ou qu'on a lues
ailleurs une infinité de fois, et qui font cependant consumer le temps inutilement et désagréablement.

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