2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 9

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 9



J'avais cheminé une demi-lieue à travers une forêt de jasmins et de
myrtes, quand j'aperçus, couché à l'ombre, je ne sais quoi qui remuait.
C'était un jeune adolescent, dont la majestueuse beauté me força
presque à l'adoration. Il se leva pour m'en empêcher:
 
--Ce n'est pas à moi, s'écria-t-il, c'est à Dieu que tu dois ces
humilités!
 
--Vous voyez une personne, lui répondis-je, consternée de tant de
miracles, que je ne sais par lequel débuter mes admirations; car,
venant d'un monde que vous prenez sans doute ici pour une Lune, je
pensais être abordé dans un autre, que ceux de mon pays appellent la
Lune aussi; et voilà que je me trouve en Paradis, aux pieds d'un Dieu
qui ne veut pas être adoré et _d'un étranger qui parle ma langue_.
 
--Hormis la qualité de Dieu, me répliqua-t-il,[8] ce que vous dites
est véritable; cette terre-ci est la Lune, que vous voyez de votre
globe; et ce lieu-ci où vous marchez est _le paradis, mais c'est le
paradis terrestre où n'ont jamais entré que six personnes, Adam, Eve,
Enoc, moi, qui suis le Vieil Elie, Saint-Jean l'Evangéliste et vous.
Vous savez bien comme les deux premiers en furent bannis, mais vous ne
savez pas comment ils arrivèrent en votre monde. Sachez donc qu'après
avoir tâté tous deux de la pomme défendue, Adam qui craignait que Dieu
irrité par sa présence ne rengregeast sa punition, considéra la Lune,
votre terre, comme le seul refuge où il se pourrait mettre à l'abri des
poursuites de son créateur_.
 
[8] Variante: Dont je ne suis que la créature. (Edition Le Bret.)
 
--Or, en ce temps-là, l'imagination chez l'homme était si forte, pour
n'avoir point encore été corrompue, ni par les débauches, ni par la
crudité des aliments, ni par l'altération des maladies, qu'étant alors
excité au violent désir d'aborder cet asile, et que sa masse étant
devenue légère par le feu de cet enthousiasme, il y fut enlevé, de la
même sorte qu'il s'est vu des Philosophes, leur imagination fortement
tendue à quelque chose, être emportés en l'air par des ravissements que
vous appelez extatiques. _Eve_, que l'infirmité de son sexe rendait
plus faible et moins chaude, n'aurait pas eu sans doute l'imaginative
assez vigoureuse pour vaincre par la contention de sa volonté le poids
de la matière, mais parce qu'il y avait très peu _qu'elle avait été
tirée du corps de son mari_, la sympathie, dont cette moitié était
encore liée à son tout, la porta vers lui à mesure qu'il montait,
comme l'ambre se fait suivre de la paille, comme l'aimant se tourne au
septentrion d'où il a été arraché, et _Adam_ attira _l'ouvrage de sa
côte_, comme la mer attire les fleuves qui sont sortis d'elle. Arrivés
qu'ils furent en votre terre, ils s'habituèrent entre la Mésopotamie
et l'Arabie; _les Hébreux_ l'ont connu sous le nom d'_Adam_ et les
Idolâtres sous celui de Prométhée, que _leurs_ Poètes feignirent avoir
dérobé le feu du Ciel, à cause de ses descendants, qu'il engendra
pourvus d'une âme aussi parfaite que celle dont il était rempli.
Ainsi, pour habiter votre monde, _le premier_ homme laissa celui-ci
désert; mais le Tout-Sage ne voulut pas qu'une demeure si heureuse
restât sans habitants: il permit, peu de siècles après, qu'_Enoc_,
ennuyé de la compagnie des hommes, dont l'innocence se corrompait, eût
envie de les abandonner. _Mais ce Saint_ personnage ne jugea point de
retraite assurée contre l'ambition de ses parents, qui s'égorgeaient
déjà pour le partage de votre monde, sinon la terre bienheureuse dont
_jadis Adam_ son aïeul lui avait tant parlé. _Toutefois comment y
aller. L'Echelle de Jacob n'était pas encore inventée, la grâce_ du
_Très-Haut_[9] y suppléa; car, _elle fit qu'Enoc s'avisa que le feu du
Ciel descendait sur les holocaustes des Justes et de ceux qui étaient
agréables devant la face du Seigneur, selon la parole de sa bouche,
«L'odeur des sacrifices du Juste est montée jusqu'à moi». Un jour que
cette flamme divine était acharnée à consumer une victime qu'il offrait
à l'Eternel, de la vapeur qui s'exhalait_, il remplit deux grands vases
qu'il luta hermétiquement, et se les attacha sous les _aisselles_. La
fumée aussitôt, qui tendait à s'élever, et qui ne pouvait pénétrer
_que par miracle_ le métal, poussa les vases en haut, et, de la sorte,
enlevèrent avec eux ce Saint homme. Quand il fut monté jusqu'à la Lune,
et qu'il eut jeté les yeux sur ce beau jardin, un épanouissement de
joie presque surnaturelle lui fit connaître que c'était le _paradis
terrestre_ où son _grand-père_ avait autrefois demeuré. Il délia
promptement les vaisseaux qu'il avait ceints comme des ailes autour
de ses épaules, et le fit avec tant de bonheur, qu'à peine était-il
en l'air quatre toises au-dessus de la Lune, qu'il prit congé de ses
nageoires. L'élévation cependant était assez grande pour le beaucoup
blesser, sans le grand tour de sa robe, où le vent s'engouffra,
et l'_ardeur du feu de charité qui_ le soutint doucement, jusqu'à
ce qu'il eût mis pied à terre. Pour les deux vases, ils montèrent
_toujours jusqu'à ce que Dieu les enchâssât dans le Ciel_, et c'est ce
qu'aujour'd'hui vous appelez les Balances, _qui nous montrent bien tous
les jours qu'elles sont encore pleines des odeurs du sacrifice d'un
juste par les influences favorables qu'elles inspirent sur l'horoscope
de Louis le Juste qui eut les balances pour ascendants_.
 
[9] Il y a dans l'édition Le Bret: son imagination.
 
_Il n'était pas encore toutefois en ces jardins et n'y arriva que
quelque temps après._
 
_Ce fut lorsque déborda le déluge, car les eaux où votre monde
s'engloutit montèrent à une hauteur si prodigieuse que l'arche voguait
dans les cieux à côté de la Lune._
 
_Les humains aperçurent ce globe par la fenêtre, mais la réflexion de
ce grand corps opaque s'affaiblissant à cause de leur proximité qui
partageait sa lumière, chacun d'eux crut que c'était un canton de la
terre qui n'avait pas été noyé._
 
_Il n'y eut qu'une fille de Noé nommée Achab, qui, à cause peut-être
qu'elle avait pris garde qu'à mesure que le navire haussait, ils
approchaient de cet astre, soutint à cor et à cris qu'assurément
c'était la Lune._
 
_On eut beau lui représenter que, les sondes jetées, on n'avait
trouvé que quinze coudées d'eau, elle répondait que le fer avait donc
rencontré le dos d'une baleine qu'ils avaient pris pour la terre, que
quant à elle, elle était bien assurée que c'était la Lune en propre
personne qu'ils allaient aborder._
 
_Enfin, comme chacun opine pour son semblable, toutes les autres femmes
se le persuadèrent ensuite._
 
_Les voilà donc, malgré la défense des hommes, qui jettent l'esquif
en mer; Achab était la plus hasardeuse, aussi voulut-elle la première
essayer le péril, elle se lance allègrement dedans et tout son sexe
l'allait joindre sans une vague qui sépara le bateau du navire. On
eut beau crier après elle, l'appeler cent fois lunatique, protester
qu'elle serait cause qu'un jour on reprocherait à toutes les femmes
d'avoir dans la tête un quartier de la lune, elle se moqua d'eux. La
voilà qui vogue hors du monde. Les animaux suivirent son exemple, car
la plupart des oiseaux qui se sentirent l'aile assez forte pour risquer
le voyage, impatients de la première prison dont on eût encore arrêté
leur liberté, donnèrent jusque-là; des quadrupèdes même, les plus
courageux, se mirent à la nage. Il en était sorti près de mille avant
que les fils de Noé pussent fermer les étables que la foule des animaux
qui s'échappaient tenait ouverte. La plupart abordèrent ce nouveau
monde. Pour l'esquif, il alla donner contre un coteau fort agréable
où la généreuse Achab descendit et, joyeuse d'avoir connu qu'en effet
cette terre était la lune, ne voulut point se rembarquer pour rejoindre
ses frères. Elle s'habitua quelques temps dans une grotte et comme un
jour elle se promenait, balançant si elle serait fâchée d'avoir perdu
la compagnie des siens ou si elle en serait bien aise, elle aperçut un
homme qui abattait du gland._
 
_La joie d'une telle rencontre la fit voler aux embrassements; elle
en reçut de réciproques, car il y avait encore plus longtemps que le
vieillard n'avait vu visage humain. C'était Enoc le juste. Ils vécurent
ensemble, et sans que le naturel impie de ses enfants et l'orgueil de
la femme l'obligea de se retirer dans les bois ils auraient achevé
ensemble de filer leurs jours avec toute la douceur dont Dieu bénit
le mariage des justes. Là tous les jours, dans les retraites les
plus sauvages de ces affreuses solitudes, ce bon vieillard offrait à
Dieu, d'un esprit épuré, son cœur en holocauste, quand, de l'arbre
de science que vous savez qui est en ce jardin, un jour étant tombé
une pomme dans la rivière au bord de laquelle il est planté, elle fut
portée à la merci des vagues hors le Paradis en un lieu où le pauvre
Enoc pour sustenter sa vie prenait du poisson à la pêche. Ce beau fruit
fut arrêté dans le filet, il le mangea; aussitôt il connut où était le
Paradis terrestre et par des secrets que vous ne sauriez concevoir si
vous n'avez mangé comme lui de la pomme de science, il y vint demeurer._
 
Il faut maintenant que je vous raconte la façon dont j'y suis venu.
 
_Vous n'avez pas oublié je pense que je me nomme Hélie_ car je vous
l'ai dit naguère. Vous saurez donc que _j'étais en votre monde et
que_ j'habitais avec _Elisée, un Hébreu comme moi_, sur les agréables
bords _du Jourdain_, où je menais, parmi les livres, une vie assez
douce pour ne pas la regretter, encore qu'elle s'écoulât. Cependant,
plus les lumières de mon esprit croissaient, plus aussi croissait la
connaissance de celles que je n'avais point. Jamais nos _prêtres_ ne me
ramentevaient _Adam_, que le souvenir de _cette_ Philosophie parfaite
_qu'il avait possédée_ ne me fît soupirer. Je désespérais de la pouvoir
acquérir, quand un jour, après avoir _sacrifié pour l'expiation des
faiblesses de mon être mortel, je m'endormis et l'Ange du Seigneur
m'apparut en songe; aussitôt que je fus réveillé, je ne manquai pas
de travailler aux choses qu'il m'avait prescrites_[10]: je pris de
l'aimant environ deux pieds en carré, que je mis dans un fourneau puis
lorsqu'il fut bien purgé, précipité et dissous, j'en tirai l'attractif,
_je calcinai tout cet élixir_ et le réduisis à la grosseur d'environ
une balle médiocre.
 
[10] _Après avoir longtemps rêvé._ (Edition Le Bret.)
 
En suite de ces préparations, je fis construire _un chariot_ de fer
fort _léger et de là, à quelques mois, tous mes engins étant achevés
j'entrai dans mon industrieuse charrette: vous me demanderez possible
à quoi bon tout cet attirail. Sachez que l'Ange m'avait dit en songe
que si je voulais acquérir une science parfaite comme je le désirais,
je montasse au monde de la Lune, où je trouverais devant le Paradis
d'Adam, l'arbre de la Science, parce qu'aussitôt que j'aurais tâté
de son fruit, mon âme serait éclairée de toutes les vérités dont une
créature est capable, voilà donc le voyage pour lequel j'avais bâti mon
chariot. Enfin, je montai dedans_ et, lorsque je fus bien ferme et bien
appuyé sur le siège, je jetai fort haut en l'air cette boule d'aimant.
Or la machine de fer, que j'avais forgée tout exprès plus massive au
milieu qu'aux extrémités, fut enlevée aussitôt, et dans un parfait
équilibre, à mesure que j'arrivais où l'aimant m'avait attiré et dès
que j'avais sauté jusque-là _ma main_ le faisait repartir...
 
[Illustration: Je fus mené droit à l'Hôtel de Ville.]
 
--Mais, l'interrompis-je, comment lanciez-vous votre balle si droit
au-dessus de votre chariot, qu'il ne se trouvât jamais à côté?
 
--Je ne vois point de merveille en cette aventure, me dit-il; car
l'aimant poussé qu'il était en l'air, attirait le fer droit à lui; et,
par conséquent, il était impossible que je montasse jamais à côté.
Je vous dirai même que, tenant ma boule en ma main, je ne laissais
pas de monter, parce que le chariot courait toujours à l'aimant que
je tenais au-dessus de lui; mais la saillie de ce fer, pour s'unir
à ma boule, était si violente, qu'elle me faisait plier le corps en
_quatre_ doubles, de sorte que je n'osai tenter qu'une fois cette
nouvelle expérience. A la vérité, c'était un spectacle à voir bien
étonnant, car l'acier de cette maison volante, que j'avais poli avec
beaucoup de soin, réfléchissait de tous côtés la lumière du Soleil si
vive et si brillante, que je croyais moi-même être _emporté dans un
chariot de feu_[11]. Enfin, après avoir beaucoup rué et volé après mon
coup, j'arrivai, comme vous avez fait, à un terme où je tombais vers
ce monde-ci; et, pour ce qu'en cet instant je tenais ma boule bien
serrée entre mes mains, mon chariot dont le siège me pressait pour
approcher de son attractif, ne me quitta point; tout ce qui me restait
à craindre, c'était de me rompre le col; mais, pour m'en garantir, je
rejetais ma boule de temps en temps, ainsi que ma machine, _se sentant
naturellement rattirée_ se ralentît, et qu'ainsi ma chute fût moins
rude, comme en effet, il arriva; car, quand je me vis à deux ou trois
cents toises près de la terre, je lançai ma balle de tous côtés à fleur
du chariot, tantôt deçà, tantôt delà, jusqu'à ce que je m'en visse à
une certaine distance; et aussitôt je la jetai au-dessus de moi, et,
ma machine l'ayant suivie, je la quittai et me laissai tomber d'un
autre côté le plus doucement que je pus sur le sable, de sorte que ma
chute ne fut pas plus violente que si je fusse tombé de ma hauteur. Je
ne vous représenterai point l'étonnement qui me saisit à la vue des
merveilles qui sont céans, parce qu'il fut à peu près semblable à celui dont je vous viens de voir consterné.

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