2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 8

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 8


Ceci n'est pas une imagination ridicule: la Nouvelle-France, où nous
sommes, en produit un exemple bien convaincant. Ce vaste continent
de l'Amérique est une moitié de la Terre, laquelle, en dépit de nos
prédécesseurs, qui avaient mille fois cinglé l'Océan, n'avait point
été encore découverte; aussi n'y était-elle pas encore, non plus que
beaucoup d'îles, de péninsules, et de montagnes, qui se sont soulevées
sur notre globe, quand les rouillures du Soleil qui se nettoyait ont
été poussées assez loin, et condensées en pelotons assez pesants,
pour être attirées par le centre de notre monde, possible peu à peu,
en particules menues, peut-être aussi tout à coup en une masse. Cela
n'est pas si déraisonnable, que saint Augustin n'y eût applaudi, si
la découverte de ce pays eût été faite de son âge; puisque ce grand
personnage, dont le génie était éclairé _du Saint-Esprit_, assure que
de son temps la Terre était plate comme un four, et qu'elle nageait
sur l'eau comme la moitié d'une orange coupée. Mais, si j'ai jamais
l'honneur de vous voir en France, je vous ferai observer, par le
moyen d'une lunette excellente, que certaines obscurités, qui d'ici
paraissent des taches, sont des mondes qui se construisent.
 
[7] _Je réponds_ que je dispute plus; car, si vous voulez m'obliger à
vous rendre raison de ce que me fournit mon imagination, c'est m'ôter
la parole, et m'obliger de vous confesser que mon raisonnement le
cédera toujours en ces sortes de choses à la Foi.
 
Il me dit qu'à la vérité sa demande était blâmable, mais que je
reprisse mon idée. (Edition Le Bret.)
 
Mes yeux, qui se fermaient en achevant ce discours, obligèrent
_Monsieur de Montmagnie à me souhaiter le bonsoir_. Nous eûmes, le
lendemain et les jours suivants, des entretiens de pareille nature.
Mais, comme, quelque temps après, l'embarras des affaires de la
Province accrocha notre Philosophie, je retombai de plus belle au
dessein de monter à la Lune.
 
Je m'en allais, dès qu'elle était levée, rêvant, parmi les bois, à la
conduite et à la réussite de mon entreprise; et enfin, une veille de
Saint-Jean, qu'on tenait conseil dans le Fort pour déterminer si l'on
donnerait secours aux Sauvages du pays contre les Iroquois, je m'en
allai tout seul, derrière notre habitation, au coupeau d'une petite
montagne, où voici ce que j'exécutai. J'avais fait une machine que je
m'imaginais capable de m'élever autant que je voudrais, en sorte que,
rien de tout ce que j'y croyais nécessaire n'y manquant, je m'assis
dedans, et me précipitai en l'air, du haut d'une roche. Mais, parce
que je n'avais pas bien pris mes mesures, je culbutai rudement dans la
vallée. Tout froissé néanmoins que j'étais, je m'en retournai dans ma
chambre, sans perdre courage, et je pris de la moelle de bœuf, dont
je m'oignis tout le corps, car j'étais tout meurtri, depuis la tête
jusqu'aux pieds; et, après m'être fortifié le cœur d'une bouteille
d'essence cordiale, je m'en retournai chercher ma machine; mais je
ne la trouvai point, car certains soldats, qu'on avait envoyés dans
la forêt couper du bois pour faire le feu de la Saint-Jean, l'ayant
rencontrée par hasard, l'avaient apportée au Fort, où, après plusieurs
explications de ce que ce pouvait être, quand on eut découvert
l'invention du ressort, quelques-uns dirent qu'il y fallait attacher
quantité de fusées volantes, parce que, leur rapidité les ayant
enlevées bien haut, et le ressort agitant ses grandes ailes, il n'y
aurait personne qui ne prît cette machine pour un dragon de feu. Je la
cherchai longtemps, cependant, mais enfin je la trouvai, au milieu de
la place de Québec, comme on y mettait le feu.
 
La douleur de rencontrer l'œuvre de mes mains en un si grand péril
me transporta tellement que je courus saisir le bras du soldat qui y
allumait le feu. Je lui arrachai sa mèche, et me jetai tout furieux
dans ma machine pour briser l'artifice dont elle était environnée;
mais j'arrivai trop tard, car à peine y eus-je les deux pieds, que me
voilà enlevé dans la nue. L'horreur dont je fus consterné ne renversa
point tellement les facultés de mon âme que je ne me sois souvenu
depuis de tout ce qui m'arriva en cet instant. Car, dès que la flamme
eut dévoré un rang de fusées, qu'on avait disposées six à six, par le
moyen d'une amorce qui bordait chaque demi-douzaine, un autre étage
s'embrasait, puis un autre; en sorte que le salpêtre, prenant feu,
éloignait le péril en le croissant. La matière, toutefois, étant usée,
fit que l'artifice manqua, et, lorsque je ne songeais plus qu'à laisser
ma tête sur celle de quelque montagne, je sentis, sans que je remuasse
aucunement, mon élévation continuée, et, ma machine prenant congé de
moi, je la vis retomber vers la terre.
 
Cette aventure extraordinaire me gonfla le cœur d'une joie si peu
commune que, ravi de me voir délivré d'un danger assuré, j'eus
l'impudence de philosopher là-dessus. Comme donc je cherchais, des
yeux et de la pensée, ce qui en pouvait être la cause, j'aperçus ma
chair boursouflée, et grasse encore de la moelle dont je m'étais enduit
pour les meurtrissures de mon trébuchement; je connus qu'étant alors
en décours, et la Lune pendant ce quartier ayant accoutumé de sucer
la moelle des animaux, elle buvait celle dont je m'étais enduit, avec
d'autant plus de force que son globe était plus proche de moi, et que
l'interposition des nuées n'en affaiblissait point la vigueur.
 
Quand j'eus percé, selon le calcul que j'ai fait depuis, beaucoup plus
des trois quarts du chemin qui sépare la Terre d'avec la Lune, je me
vis tout d'un coup choir les pieds en haut, sans avoir culbuté en
aucune façon; encore, ne m'en fussé-je pas aperçu, si je n'eusse senti
ma tête chargée du poids de mon corps. Je connus bien à la vérité que
je ne retombais pas vers notre monde; car, encore que je me trouvasse
entre deux Lunes, et que je remarquasse fort bien que je m'éloignais
de l'une à mesure que je m'approchais de l'autre, j'étais assuré que
la plus grande était notre globe; parce qu'au bout d'un jour ou deux
de voyage, les réfractions éloignées du Soleil venant à confondre la
diversité des corps et des climats, il ne m'avait plus paru que comme
une grande plaque d'or: cela me fit imaginer que je baissais vers
la Lune; et je me confirmai dans cette opinion, quand je vins à me
souvenir que je n'avais commencé de choir qu'après les trois quarts du
chemin.
 
--Car, disais-je en moi-même, cette masse étant moindre que la nôtre,
il faut que la sphère de son activité ait aussi moins d'étendue, et
que, par conséquent, j'aie senti plus tard la force de son centre.
 
Enfin, après avoir été fort longtemps à tomber (à ce que je préjugeai,
car la violence du précipice m'empêcha de le remarquer), le plus loin
dont je me souviens, c'est que je me trouvai sous un arbre, embarrassé
avec trois ou quatre branches assez grosses que j'avais éclatées par ma
chute, et le visage mouillé d'une pomme qui s'était écachée contre.
 
Par bonheur, ce lieu-là était, comme vous le saurez bientôt, le paradis
_terrestre et l'arbre sur lequel je tombai se trouva justement l'arbre
de vie_.
 
Ainsi vous pouvez bien juger que, sans ce _miraculeux_ hasard, je
serais mille fois mort. J'ai souvent fait depuis réflexion sur ce que
le vulgaire assure qu'en se précipitant d'un lieu fort haut, on est
étouffé avant de toucher la terre; et j'ai conclu, de mon aventure,
qu'il en avait menti, ou bien qu'il fallait que le jus énergique de
ce fruit, qui m'avait coulé dans la bouche, eût rappelé mon âme qui
n'était pas loin de mon cadavre encore tout tiède, et encore disposé
aux fonctions de la vie. En effet, sitôt que je fus à terre, ma douleur
s'en alla, avant même de se perdre en ma mémoire et la faim, dont
pendant mon voyage j'avais été beaucoup travaillé, ne me fit trouver en
sa place qu'un léger souvenir de l'avoir perdue.
 
A peine, quand je fus relevé, eus-je observé _les bords de_ la plus
large des quatre grandes rivières qui forment un lac en s'abouchant,
que l'esprit ou l'âme invisible des simples, qui s'exhalent sur cette
contrée, me vint réjouir l'odorat; et je connus que les cailloux n'y
étaient ni durs ni raboteux, et qu'ils avaient soin de s'amollir, quand
on marchait dessus. Je rencontrai d'abord une étoile de cinq avenues,
dont les _chênes qui la composent_ semblaient par leur excessive
hauteur porter au Ciel un parterre de haute futaie. En promenant mes
yeux, de la racine au sommet, puis les précipitant du faîte jusqu'au
pied, je doutais si la terre les portait, ou si eux-mêmes ne portaient
point la terre pendue à leurs racines; leur front, superbement
élevé, semblait aussi plier, comme par force, sous la pesanteur des
globes célestes, dont on dirait qu'ils ne soutiennent la charge
qu'en gémissant; leurs bras, étendus vers le Ciel, témoignaient, en
l'embrassant, demander aux Astres la bénignité toute pure de leurs
influences, et les recevoir, avant qu'elles aient rien perdu de leur
innocence, au lit des Eléments.
 
Là, de tous côtés, les fleurs, sans avoir eu d'autre Jardinier que
la Nature, respirent une haleine si douce, quoique sauvage, qu'elle
réveille et satisfait l'odorat; là, l'incarnat d'une rose sur
l'églantier, et l'azur éclatant d'une violette sous des ronces, ne
laissant point de liberté pour le choix, font juger qu'elles sont
toutes deux plus belles l'une que l'autre; là, le Printemps compose
toutes les Saisons; là, ne germe point de plante vénéneuse, que sa
naissance ne trahisse sa construction; là, les ruisseaux, par un
agréable murmure, racontent leurs voyages aux cailloux; là, mille
petits gosiers emplumés font retentir la forêt au bruit de leurs
mélodieuses chansons; et la trémoussante assemblée de ces divins
musiciens est si générale, qu'il semble que chaque feuille, dans ce
bois, ait pris la langue et la figure d'un rossignol; et même l'Echo
prend tant de plaisir à leurs airs, qu'on dirait, à les lui entendre
répéter, qu'elle ait envie de les apprendre.
 
A côté de ce bois se voient deux prairies, dont le vert-gai continu
fait une émeraude à perte de vue. Le mélange confus des peintures,
que le Printemps attache à cent petites fleurs, en égare les nuances
l'une dans l'autre avec une si agréable confusion, qu'on ne sait si ces
fleurs, agitées par un doux zéphyr, courent plutôt après elles-mêmes
qu'elles ne fuient pour échapper aux caresses de ce vent folâtre. On
prendrait même cette prairie pour un Océan, à cause qu'elle est comme
une mer qui n'offre point de rivage, en sorte que mon œil, épouvanté
d'avoir couru si loin sans découvrir le bord, y envoyait vitement ma
pensée; et ma pensée, doutant que ce fût l'extrémité du monde, se
voulait persuader que des lieux si charmants avaient peut-être forcé le
Ciel de se joindre à la Terre.
 
Au milieu d'un tapis si vaste et si plaisant, court à bouillons
d'argent une fontaine rustique, qui couronne ses bords d'un gazon
émaillé de _pâquerettes_, de bassinets, de violettes, et ces fleurs,
semblent se presser à qui s'y mirera la première: elle est encore au
berceau, car elle ne vient que de naître, et sa face jeune et polie
ne montre pas seulement une ride. Les grands cercles qu'elle promène
en revenant mille fois sur elle-même montrent que c'est bien à regret
qu'elle sort de son pays natal; et, comme si elle eût été honteuse de
se voir caressée auprès de sa mère, elle repoussa en murmurant ma main
qui la voulait toucher. Les animaux qui s'y venaient désaltérer, plus
raisonnables que ceux de notre monde, témoignaient être surpris de voir
qu'il faisait grand jour vers l'horizon, pendant qu'ils regardaient
le Soleil aux Antipodes, et n'osaient se pencher sur le bord, de la
crainte qu'ils avaient de tomber au Firmament.
 
Il faut que je vous avoue qu'à la vue de tant de belles choses, je
me sentis chatouillé de ces agréables douleurs, qu'on dit que sent
l'embryon, à l'infusion de son âme. Le vieux poil me tomba pour faire
place à d'autres cheveux plus épais et plus déliés. Je sentis ma
jeunesse se rallumer, mon visage devenir vermeil, ma chaleur naturelle
se remêler doucement à mon humide radical; enfin, je reculai sur mon âge environ quatorze ans.

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