2016년 3월 3일 목요일

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 2

L'autre monde ou Histoire comique des Etats et Empires de la Lune 2


Tel est l'historique de la publication des œuvres de Savinien de
Cyrano Bergerac.
 
M. Auguste Vitu lors d'une conférence faite au théâtre de la Gaieté,
le 10 novembre 1872, avant la représentation de _la Mort d'Agrippine_,
traça de notre auteur un portrait définitif[1]. Son fils, M. Maxime
Vitu, m'a très aimablement autorisé à reproduire ici les passages
relatifs à la vie de notre héros. C'est un pur chef-d'œuvre. Il n'y a
rien à y ajouter.
 
[1] Jouaust.--La Mort d'Agrippine, 1875.
 
*
* *
 
=Tallemant des Réaux, ce Saint-Simon bourgeois du XVIIe siècle, aurait
pu connaître notre auteur. Il ne lui a cependant consacré que dix
lignes, et quelles lignes! En voici le début: «Un fou, nommé Cyrano,
fit une pièce de théâtre intitulée _Agrippine_. La pièce était un vrai
galimatias».=
 
=Un fou, voilà pour le poète; un galimatias, voilà pour le poème.
Jugement sommaire, exécution sans phrases.=
 
=Boileau, le sévère Boileau, ne fut pas aussi dur que le licencieux
narrateur des _Historiettes_:=
 
=J'aime mieux Bergerac et sa burlesque audace
Que les vers où Motin se morfond et nous glace.=
 
=Toutefois, la comparaison n'est pas extrêmement flatteuse; Cyrano
est ici le clou qui fixe Motin au gibet dressé par le justicier du
Parnasse. Le glacial Motin et l'audacieux Bergerac, l'un portant
l'autre, sont précipités dans l'immortalité comme Jupiter lança Vulcain
sur la terre, par un furieux coup de pied.=
 
=De nos jours Bergerac rencontre enfin un juge non prévenu, un esprit
ouvert, original, sensible lui-même à toutes les originalités.--Ah!
messieurs, je me refuse vainement à cette interruption dans le cours de
mes idées, mais j'ai sur les lèvres et dans le cœur le nom de celui
que nous venons de perdre, de notre illustre Théophile Gautier; je ne
puis l'omettre en parlant du Cyrano qu'il a touché d'un rayon de sa
gloire, et je ne puis pas le prononcer sans payer à une chère mémoire
ce dernier tribut de regrets et de douleurs...=
 
=Théophile Gautier a rendu sur Bergerac un jugement équitable, j'y
reviendrai tout à l'heure; d'ailleurs le livre est dans toutes les
mains. Mais enfin, ce livre est intitulé _les Grotesques_; mais enfin,
pour Théophile Gautier lui-même, le poète grandiose de _la Mort
d'Agrippine_, l'humoristique et profond penseur qui écrivit le _Voyage
à la Lune_, un demi-siècle avant _les Mondes_ de Fontenelle et les
_Voyages de Gulliver_, un siècle avant _Micromégas_, Cyrano est un
grotesque.=
 
=Fou, burlesque, grotesque, voilà quelle formidable trinité d'épithètes
méprisantes le nom de Cyrano traîne après lui devant la postérité
indifférente, qui a bien d'autres soucis plus pressants que de reviser
des jugements littéraires.=
 
=Mon Dieu, je ne viens pas m'inscrire en faux. Cyrano fut un fou, un
burlesque, un audacieux, un grotesque, j'en conviens; mais il fut aussi
quelque chose de très différent.=
 
=Dans cette opinion générale sur Cyrano, il faut faire la part de deux
influences, celle de sa vie et celle de ses œuvres. Parlons de sa vie
d'abord. Ici encore il faut subdiviser, car il y a sa vie réelle, qui
est peu connue, et sa légende, qui est populaire.=
 
=La légende, c'est le Cyrano fier-à-bras, le Cyrano duelliste,
tranche-montagne, le matamore au nez immense tout balafré de coups
de sabre, et qui défend aux passants d'en rire sous peine de mort; le
débauché, le libertin, l'impie; ce sont surtout les contes ridicules
accrédités par le _Menagiana_ et dont la critique littéraire avait déjà
fait justice au XVIIIe siècle.=
 
=Ce qu'il y a de vrai, c'est que Cyrano fut très brave, c'est qu'il
servit de second en maintes rencontres, mais sans avoir jamais suscité
ou soutenu une querelle pour son compte personnel; c'est qu'à l'âge
de dix-neuf ans, simple cadet aux gardes, il se battait comme un lion
contre les Espagnols et tombait percé d'une balle au siège de Mouzon;
l'année suivante, en 1640, au siège d'Arras, dans un combat corps à
corps, un coup d'épée lui traversait la gorge. Cyrano fut certainement
un duelliste, ce dont on le blâme, mais ce fut avant tout un héroïque
soldat, ce dont on ne l'a jamais loué.=
 
=De même pour ses œuvres: Cyrano cédait au goût du temps. Ses
lettres descriptives, satiriques, burlesques, amoureuses, offrent
le plus parfait modèle de ce qu'on appelait alors le bel esprit; en
littérature comme en fait d'armes, on ne recherchait que les rencontres
extraordinaires. L'idée d'être naturel était la seule qui ne se
présentât jamais à ces constructeurs de rébus. Mais, si extravagantes
qu'on juge les prouesses de Cyrano en ce genre, il faut avouer qu'elles
restent gaies, spirituelles et bien françaises; ce sont, comme il
l'a dit lui-même, «des imaginations pointues dont on chatouille le
temps pour le faire marcher plus vite». Et que d'invention comique
en ce genre dont Voiture est le roi! Je ne rappelle à votre mémoire
que la _Lettre à un gros homme_, c'est-à-dire à Montfleury, ce roi
de théâtre, si prodigieusement «entripaillé», pour me servir de
l'__EXPRESSION__ de Molière: «Enfin, gros homme, je vous ai vu, mes
prunelles ont achevé sur vous de grands voyages, et le jour que vous
éboulâtes corporellement jusqu'à moi, j'eus le temps de parcourir votre
hémisphère ou, pour parler plus véritablement, d'en découvrir quelques
cantons... Pensez-vous donc, à cause qu'un homme ne vous sauroit battre
tout entier en vingt-quatre heures et qu'il ne sauroit en un jour
échiner qu'une de vos omoplates... Si les coups de bâton s'envoyoient
par écrit, vous liriez ma lettre des épaules... Une longe de veau qui
marche sur ses lardons...»=
 
=Ces folles et robustes gaietés sentent la gasconnade, je le sais; la
littérature entière était gasconne, c'est-à-dire espagnole; le capitan,
ce type obligé des comédies à la mode, aurait pu descendre du théâtre
dans le parterre sans s'y trouver dépaysé. Cyrano, que des hommes qui
s'y connaissaient avaient surnommé le démon de la bravoure, tint à
honneur de se montrer plus gascon à lui seul que la Gascogne entière,
et il y parvint aisément, car ce gascon fieffé était... un Parisien...=
 
=Oui, Messieurs, un Parisien; j'en suis fâché pour les biographes qui,
sur la foi de son nom, l'ont fait compatriote de l'illustre baron
de Crac, et particulièrement pour l'estimable érudit qui, en 1856,
écrivit une vie de Cyrano en l'honneur de la jolie ville de Bergerac en
Périgord; mais notre Cyrano fut un Parisien certain, authentique, fils
de Parisien, petit-fils de Parisien. Cela est attesté par l'acte de
son baptême, retrouvé dans les registres de la paroisse Saint-Sauveur
par un travailleur infatigable, un véritable savant celui-là, par le
vénérable M. Jal, chargé de la garde de nos archives municipales, qui
ne sont plus hélas! qu'un peu de cendres.=
 
=Donc, Savinien de Cyrano fut baptisé à Paris, sur la paroisse
Saint-Sauveur, le 6 mars 1619. Il était le cinquième fils d'Abel de
Cyrano, écuyer, seigneur de Mauvières, et de demoiselle Espérance
Bellanger. En 1612, époque de leur mariage, M. et Mme de Mauvières
habitaient rue des Prouvaires, sur la paroisse Saint-Eustache, à deux
pas de la maison où naquit Molière. Je trouve que le grand-père de
notre poète, nommé Savinien comme lui, était secrétaire du roi en
1570 et auditeur de la chambre des comptes de Paris en 1573, sous
Charles IX. Vous le voyez, c'est bien à nous Parisiens qu'appartient
Cyrano, véritable enfant de Paris. Il l'avait bien dit lui-même dans
son _Voyage à la Lune_; mais nul n'y avait pris garde: si peu de gens
lisent les livres dont tout le monde parle!=
 
=La vie de Cyrano fut courte et peut se condenser en peu de faits.
Après une éducation classique rapidement ébauchée par un prêtre de
campagne, Savinien revint à Paris avec l'autorisation de son père et
y battit le pavé, poursuivant tant bien que mal ses études sur les
bancs du collège de Beauvais. Je ne veux pas faire le pédant avec vous,
Messieurs; permettez-moi cependant de vous rappeler que le collège de
Beauvais était établi à Paris, dans la rue qui a retenu son nom, la
rue Saint-Jean-de-Beauvais, et non pas à Beauvais en Picardie, comme
l'a cru, dans un moment d'oubli, un érudit quelque peu distrait.
Molière, plus jeune que Cyrano de trois ans, étudiait à peu près dans
le même temps au collège de Clermont, non pas au collège de Clermont
en Beauvoisis, ni de Clermont en Auvergne, mais au collège de Clermont
tenu par les Jésuites, rue Saint-Jacques à Paris, et qui est devenu en
1682 le collège Louis-le-Grand.=
 
=Lorsque Cyrano eut atteint l'âge de 19 ans (1640), se conformant au
conseil et à l'exemple d'un de ses amis, M. Le Bret, qui fut depuis son
exécuteur testamentaire, et à qui nous devons le peu que nous savons de
lui, il s'enrôla dans les cadets du régiment des Gardes et fut admis
dans la compagnie commandée par M. de Carbon Castel-Jaloux, presque
entièrement composée de Gascons. C'est alors, à ce que je suppose,
qu'il prit un nom de guerre, celui de Bergerac, et il signa toujours
de Cyrano Bergerac. Si l'on voulait à toute force que ce fût un nom de
terre, je n'irais pas en chercher l'origine au milieu de la Loire, mais
plutôt du côté de la Bretagne. Le premier et le plus authentique des
quatre portraits gravés que possède le cabinet des estampes, présente à
l'œil le moins exercé le type saisissant du Kymri breton.=
 
=D'ailleurs, il y a eu des fiefs du nom de Bergerac en Bretagne et la
seigneurie de Mauvières appartenant au père de notre Cyrano, était
située dans l'Ouest de la France.=
 
=Je n'insiste pas sur ces détails. Cyrano, à peine soldat, fit un rude
apprentissage sur les champs de bataille, et se rebuta promptement du
métier. Les deux blessures qu'il reçut aux sièges de Mouzon et d'Arras
ne lui avaient pas donné d'avancement. Le dégoût des services inutiles,
joint à l'attrait qu'il ressentait pour les sciences, l'arrachèrent
sans retour à la carrière des armes. Le poétique soldat, qui rimait
de tendres élégies dans le tumulte d'un corps de garde, redevint
un étudiant plein de zèle et d'ardeur. Il cultiva l'astronomie, la
physique, la philosophie avec Rohault et Gassendi. Convaincu par
l'évidence des idées de Copernic, il aida par l'attrait de l'esprit
le plus aiguisé et le plus alerte à la propagation des doctrines
nouvelles. Il y avait à cela quelque courage, car, en plein siècle de
Louis XIV, il n'était pas admis par tout le monde que la terre tournât
autour du soleil; Le Bret, l'ami et l'éditeur de Cyrano, invoque au
profit de son illustre ami, le bénéfice des circonstances atténuantes
et s'excuse, quant à soi, de prendre parti dans ces matières délicates.
Voilà où l'on en était en 1663, Cyrano exposa avec une remarquable
netteté la théorie très explicite de l'attraction planétaire, comme
principe du système du monde, et cela 34 ans avant les premières
publications de Newton. Je ne me hasarderai pas à lui faire honneur de
cette grande pensée et je n'ai pas eu le loisir de rechercher auquel
de ses maîtres cet honneur appartient. Mais je ne puis lui refuser
la gloire d'avoir fait pour la science nouvelle de son temps, ce que
Voltaire fit au siècle suivant, avec plus de bonheur et d'éclat, pour
les doctrines scientifiques de Locke et de Newton. Admirable spectacle
que donne le génie littéraire se faisant le messager et le défenseur du progrès des sciences!

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