2016년 3월 13일 일요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 6

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 6


Puis il se jeta sur le monstre. Il se sentait fort à culbuter une
montagne, à broyer des pierres dans ses mains. La bête le voulut
mordre, cherchant à lui fouiller le ventre; mais il l'avait saisie par
le cou, sans même se servir de son arme, et il l'étranglait doucement,
écoutant s'arrêter les souffles de sa gorge et les battements de son
cœur. Et il riait, jouissant éperdument, serrant de plus en plus sa
formidable étreinte, criant, dans un délire de joie: «Regarde, Jean,
regarde!» Toute résistance cessa; le corps du loup devint flasque. Il
était mort.
 
Alors François, le prenant à pleins bras, l'emporta et le vint jeter
aux pieds de l'aîné en répétant d'une voix attendrie: «Tiens, tiens,
tiens, mon petit Jean, le voilà!»
 
Puis il replaça sur sa selle les deux cadavres l'un sur l'autre; et il
se remit en route.
 
Il rentra au château, riant et pleurant, comme Gargantua à la naissance
de Pantagruel, poussant des cris de triomphe et trépignant d'allégresse
en racontant la mort de l'animal, et gémissant et s'arrachant la barbe
en disant celle de son frère.
 
Et souvent, plus tard, quand il reparlait de ce jour, il prononçait,
les larmes aux yeux: «Si seulement ce pauvre Jean avait pu me voir
étrangler l'autre, il serait mort content, j'en suis sûr!»
 
La veuve de mon aïeul inspira à son fils orphelin l'horreur de la
chasse, qui s'est transmise de père en fils jusqu'à moi.»
 
Le marquis d'Arville se tut. Quelqu'un demanda:
 
--Cette histoire est une légende, n'est-ce pas?
 
Et le conteur répondit:
 
--Je vous jure qu'elle est vraie d'un bout à l'autre.
 
Alors une femme déclara d'une petite voix douce:
 
--C'est égal, c'est beau d'avoir des passions pareilles.
 
 
_Le Loup_ a paru dans _le Gaulois_ du mardi 14 novembre 1882.
 
 
 
 
L'ENFANT.
 
 
APRÈS avoir longtemps juré qu'il ne se marierait jamais, Jacques
Bourdillère avait soudain changé d'avis. Cela était arrivé brusquement,
un été, aux bains de mer.
 
Un matin, comme il était étendu sur le sable, tout occupé à regarder
les femmes sortir de l'eau, un petit pied l'avait frappé par sa
gentillesse et sa mignardise. Ayant levé les yeux plus haut, toute la
personne le séduisit. De toute cette personne, il ne voyait d'ailleurs
que les chevilles et la tête émergeant d'un peignoir de flanelle
blanche, clos avec soin. On le disait sensuel et viveur. C'est donc par
la seule grâce de la forme qu'il fut capté d'abord; puis il fut retenu
par le charme d'un doux esprit de jeune fille, simple et bon, frais
comme les joues et les lèvres.
 
Présenté à la famille, il plut et il devint bientôt fou d'amour. Quand
il apercevait Berthe Lannis de loin, sur la longue plage de sable
jaune, il frémissait jusqu'aux cheveux. Près d'elle, il devenait
muet, incapable de rien dire et même de penser, avec une espèce
de bouillonnement dans le cœur, de bourdonnement dans l'oreille,
d'effarement dans l'esprit. Était-ce donc de l'amour, cela?
 
Il ne le savait pas, n'y comprenait rien, mais demeurait, en tout cas,
bien décidé à faire sa femme de cette enfant.
 
Les parents hésitèrent longtemps, retenus par la mauvaise réputation
du jeune homme. Il avait une maîtresse, disait-on, une _vieille
maîtresse_, une ancienne et forte liaison, une de ces chaînes qu'on
croit rompues et qui tiennent toujours.
 
Outre cela, il aimait, pendant des périodes plus ou moins longues,
toutes les femmes qui passaient à portée de ses lèvres.
 
Alors il se rangea, sans consentir même à revoir une seule fois
celle avec qui il avait vécu longtemps. Un ami régla la pension de
cette femme, assura son existence. Jacques paya, mais ne voulut pas
entendre parler d'elle, prétendant désormais ignorer jusqu'à son
nom. Elle écrivit des lettres sans qu'il les ouvrît. Chaque semaine,
il reconnaissait l'écriture maladroite de l'abandonnée; et, chaque
semaine, une colère plus grande lui venait contre elle, et il déchirait
brusquement l'enveloppe et le papier, sans ouvrir, sans lire une
ligne, une seule ligne, sachant d'avance les reproches et les plaintes
contenus là dedans.
 
Comme on ne croyait guère à sa persévérance, on fit durer l'épreuve
tout l'hiver, et c'est seulement au printemps que sa demande fut agréée.
 
Le mariage eut lieu à Paris, dans les premiers jours de mai.
 
Il était décidé qu'ils ne feraient point le classique voyage de
noce. Après un petit bal, une sauterie de jeunes cousines qui ne se
prolongerait point au delà de onze heures, pour ne pas éterniser les
fatigues de cette journée de cérémonies, les jeunes époux devaient
passer leur première nuit commune dans la maison familiale, puis partir
seuls, le lendemain matin, pour la plage chère à leurs cœurs, où ils
s'étaient connus et aimés.
 
La nuit était venue, on dansait dans le grand salon. Ils s'étaient
retirés tous les deux dans un petit boudoir japonais, tendu de soies
éclatantes, à peine éclairé, ce soir-là, par les rayons alanguis d'une
grosse lanterne de couleur, pendue au plafond comme un œuf énorme.
La fenêtre entr'ouverte laissait entrer parfois des souffles frais du
dehors, des caresses d'air qui passaient sur les visages, car la soirée
était tiède et calme, pleine d'odeurs de printemps.
 
Ils ne disaient rien; ils se tenaient les mains en se les pressant
parfois de toute leur force. Elle demeurait, les yeux vagues, un peu
éperdue par ce grand changement dans sa vie, mais souriante, remuée,
prête à pleurer, souvent prête aussi à défaillir de joie, croyant le
monde entier changé par ce qui lui arrivait, inquiète sans savoir
de quoi, et sentant tout son corps, toute son âme envahis d'une
indéfinissable et délicieuse lassitude.
 
Lui la regardait obstinément, souriant d'un sourire fixe. Il voulait
parler, ne trouvait rien et restait là, mettant toute son ardeur en
des pressions de mains. De temps en temps, il murmurait: «Berthe!» et
chaque fois elle levait les yeux sur lui d'un mouvement doux et tendre;
ils se contemplaient une seconde, puis son regard à elle, pénétré et
fasciné par son regard à lui, retombait.
 
Ils ne découvraient aucune pensée à échanger. On les laissait seuls;
mais, parfois, un couple de danseurs jetait sur eux, en passant, un
coup d'œil furtif, comme s'il eût été témoin discret et confident d'un
mystère.
 
Une porte de côté s'ouvrit, un domestique entra, tenant sur un plateau
une lettre pressée qu'un commissionnaire venait d'apporter. Jacques
prit en tremblant ce papier, saisi d'une peur vague et soudaine, la
peur mystérieuse des brusques malheurs.
 
Il regarda longtemps l'enveloppe dont il ne connaissait point
l'écriture, n'osant pas l'ouvrir, désirant follement ne pas lire,
ne pas savoir, mettre en poche cela, et se dire: «A demain. Demain,
je serai loin, peu m'importe!» Mais, sur un coin, deux grands mots
soulignés: TRÈS URGENT, le retenaient et l'épouvantaient. Il demanda:
«Vous permettez, mon amie?» déchira la feuille collée et lut. Il lut le
papier, pâlissant affreusement, le parcourut d'un coup et, lentement,
sembla l'épeler.
 
Quand il releva la tête, toute sa face était bouleversée. Il balbutia:
«Ma chère petite, c'est... c'est mon meilleur ami à qui il arrive un
grand, un très grand malheur. Il a besoin de moi tout de suite... tout
de suite... pour une affaire de vie ou de mort. Me permettez-vous de
m'absenter vingt minutes; je reviens aussitôt?»
 
Elle bégaya, tremblante, effarée: «Allez, mon ami!» n'étant pas encore
assez sa femme pour oser l'interroger, pour exiger savoir. Et il
disparut. Elle resta seule, écoutant danser dans le salon voisin.
 
Il avait pris un chapeau, le premier trouvé, un pardessus quelconque,
et il descendit en courant l'escalier. Au moment de sauter dans la rue,
il s'arrêta encore sous le bec de gaz du vestibule et relut la lettre.
 
Voici ce qu'elle disait:
 
«MONSIEUR,
 
«Une fille Ravet, votre ancienne maîtresse, paraît-il, vient
d'accoucher d'un enfant qu'elle prétend être à vous. La mère va
mourir et implore votre visite. Je prends la liberté de vous écrire
et de vous demander si vous pouvez accorder ce dernier entretien à
cette femme, qui semble très malheureuse et digne de pitié.
 
«Votre serviteur,
 
«Dr BONNARD.»
 
Quand il pénétra dans la chambre de la mourante, elle agonisait déjà.
Il ne la reconnut pas d'abord. Le médecin et deux gardes la soignaient,
et partout à terre traînaient des seaux pleins de glace et des linges
pleins de sang.
 
L'eau répandue inondait le parquet; deux bougies brûlaient sur un
meuble; derrière le lit, dans un petit berceau d'osier, l'enfant
criait, et, à chacun de ses vagissements, la mère, torturée, essayait
un mouvement, grelottante sous les compresses gelées.
 
Elle saignait; elle saignait, blessée à mort, tuée par cette naissance.
Toute sa vie coulait; et, malgré la glace, malgré les soins,
l'invincible hémorragie continuait, précipitait son heure dernière.
 
Elle reconnut Jacques et voulut lever les bras; elle ne put pas, tant
ils étaient faibles, mais sur ses joues livides des larmes commencèrent
à glisser.
 
Il s'abattit à genoux près du lit, saisit une main pendante et la baisa
frénétiquement; puis, peu à peu, il s'approcha tout près, tout près du
maigre visage qui tressaillait à son contact. Une des gardes, debout,
une bougie à la main, les éclairait, et le médecin, s'étant reculé, regardait du fond de la chambre.

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