2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 20

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 20


Quand l'homme eut disparu, mon ami me prit le bras.
 
--Allons doucement, dit-il, je vais te conter cette histoire.
 
«Il y a maintenant sept ans, c'était l'année de mon arrivée ici, je
sortis un soir pour faire un tour dans la forêt. Il faisait beau
comme aujourd'hui; et j'allais à petits pas sous les grands arbres,
contemplant les étoiles à travers les feuilles, respirant et buvant à
pleine poitrine le frais repos de la nuit et du bois.
 
Je venais de quitter Paris pour toujours. J'étais las, las, écœuré
plus que je ne saurais dire par toutes les bêtises, toutes les
bassesses, toutes les saletés que j'avais vues et auxquelles j'avais
participé pendant quinze ans.
 
J'allai loin, très loin, dans ce bois profond, en suivant un chemin
creux qui conduit au village de Crouzille, à quinze kilomètres d'ici.
 
Tout à coup mon chien, Bock, un grand saint-germain qui ne me quittait
jamais, s'arrêta net et se mit à grogner. Je crus à la présence
d'un renard, d'un loup ou d'un sanglier; et j'avançai doucement, sur
la pointe des pieds, afin de ne pas faire de bruit; mais soudain
j'entendis des cris, des cris humains, plaintifs, étouffés, déchirants.
 
Certes, on assassinait quelqu'un dans un taillis, et je me mis à
courir, serrant dans ma main droite une lourde canne de chêne, une
vraie massue.
 
J'approchais des gémissements qui me parvenaient maintenant plus
distincts, mais étrangement sourds. On eût dit qu'ils sortaient d'une
maison, d'une hutte de charbonnier peut-être. Bock, trois pas devant
moi, courait, s'arrêtait, repartait, très excité, grondant toujours.
Soudain un autre chien, un gros chien noir, aux yeux de feu, nous barra
la route. Je voyais très bien ses crocs blancs qui semblaient luire
dans sa gueule.
 
Je courus sur lui la canne levée, mais déjà Bock avait sauté dessus
et les deux bêtes se roulaient par terre, les gueules refermées sur
les gorges. Je passai et je faillis heurter un cheval couché dans le
chemin. Comme je m'arrêtais, fort surpris, pour examiner l'animal,
j'aperçus devant moi une voiture, ou plutôt une maison roulante, une de
ces maisons de saltimbanques et de marchands forains qui vont dans nos
campagnes de foire en foire.
 
Les cris sortaient de là, affreux, continus. Comme la porte donnait
de l'autre côté, je fis le tour de cette guimbarde et je montai
brusquement les trois marches de bois, prêt à tomber sur le malfaiteur.
 
Ce que je vis me parut si étrange que je ne compris rien d'abord. Un
homme, à genoux, semblait prier, tandis que dans le lit que contenait
cette boîte, quelque chose d'impossible à reconnaître, un être à
moitié nu, contourné, tordu, dont je ne voyais pas la figure, remuait,
s'agitait et hurlait.
 
C'était une femme en mal d'enfant.
 
Dès que j'eus compris le genre d'accident provoquant ces plaintes, je
fis connaître ma présence, et l'homme, une sorte de Marseillais affolé,
me supplia de le sauver, de la sauver, me promettant avec des paroles
innombrables une reconnaissance invraisemblable. Je n'avais jamais
vu d'accouchement, jamais secouru un être femelle, femme, chienne
ou chatte, en cette circonstance, et je le déclarai ingénument en
regardant avec stupeur ce qui criait si fort dans le lit.
 
Puis quand j'eus repris mon sang-froid, je demandai à l'homme atterré
pourquoi il n'allait pas jusqu'au prochain village. Son cheval tombant
dans une ornière avait dû se casser la jambe et ne pouvait plus se
lever.
 
--Eh bien! mon brave, lui dis-je, nous sommes deux, à présent, nous
allons traîner votre femme jusque chez moi.
 
Mais les hurlements des chiens nous forcèrent à sortir, et il fallut
les séparer à coups de bâton, au risque de les tuer. Puis, j'eus l'idée
de les atteler avec nous, l'un à droite, l'autre à gauche dans nos
jambes, pour nous aider. En dix minutes tout fut prêt, et la voiture se
mit en route lentement, secouant aux cahots des ornières profondes la
pauvre femme au flanc déchiré.
 
Quelle route, mon cher! Nous allions, haletant, râlant, en sueur,
glissant et tombant parfois, tandis que nos pauvres chiens soufflaient
comme des forges dans nos jambes.
 
Il fallut trois heures pour atteindre le château. Quand nous arrivâmes
devant la porte, les cris avaient cessé dans la voiture. La mère et
l'enfant se portaient bien.
 
On les coucha dans un bon lit, puis je fis atteler pour chercher un
médecin, tandis que le Marseillais, rassuré, consolé, triomphant,
mangeait à étouffer et se grisait à mort pour célébrer cette heureuse
naissance.
 
C'était une fille.
 
Je gardai ces gens-là huit jours chez moi. La mère, Mlle Elmire, était
une somnambule extra-lucide qui me promit une vie interminable et des
félicités sans nombre.
 
 
L'année suivante, jour pour jour, vers la tombée de la nuit, le
domestique qui m'appela tout à l'heure vint me trouver dans le fumoir
après dîner, et me dit: «C'est la bohémienne de l'an dernier qui vient
remercier Monsieur.»
 
J'ordonnai de la faire entrer et je demeurai stupéfait en apercevant
à côté d'elle un grand garçon, gros et blond, un homme du Nord qui,
m'ayant salué, prit la parole, comme chef de la communauté. Il avait
appris ma bonté pour Mlle Elmire, et il n'avait pas voulu laisser
passer cet anniversaire sans m'apporter leurs remerciements et le
témoignage de leur reconnaissance.
 
Je leur offris à souper à la cuisine et l'hospitalité pour la nuit. Ils
partirent le lendemain.
 
Or, la pauvre femme revient tous les ans, à la même date avec l'enfant,
une superbe fillette, et un nouveau... seigneur chaque fois. Un seul,
un Auvergnat qui me «remerchia» bien, reparut deux ans de suite. La
petite fille les appelle tous papa, comme on dit «monsieur» chez nous.»
 
 
Nous arrivions au château et nous aperçûmes vaguement, debout devant le
perron, trois ombres qui nous attendaient.
 
La plus haute fit quatre pas, et avec un grand salut:
 
--Monsieur le comte, nous sommes venus ce jour, savez-vous, vous
témoigner de notre reconnaissance...
 
C'était un Belge!
 
Après lui, la plus petite parla, avec cette voix apprêtée et factice
des enfants qui récitent un compliment.
 
Moi, jouant l'innocent, je pris à part Mme Elmire et, après quelques
propos, je lui demandai:
 
--C'est le père de votre enfant?
 
--Oh! non, Monsieur.
 
--Et le père, il est mort.
 
--Oh! non, Monsieur. Nous nous voyons encore quelquefois. Il est
gendarme.
 
--Ah! bah! Alors ce n'était pas le Marseillais, le premier, celui de
l'accouchement?
 
--Oh! non, Monsieur. Celui-là, c'était une crapule qui m'a volé mes
économies.
 
--Et le gendarme, le vrai père, connaît-il son enfant?
 
--Oh! oui, Monsieur, et même il l'aime bien; mais il ne peut pas s'en
occuper parce qu'il en a d'autres, avec sa femme.
 
 
_Le Père_ a paru dans _le Gil-Blas_ du mardi 26 juillet 1887.
 
 
 
 
MOIRON.
 
 
COMME on parlait encore de Pranzini, M. Maloureau, qui avait été
procureur général sous l'Empire, nous dit:
 
--Oh! j'ai connu, autrefois, une bien curieuse affaire, curieuse par
plusieurs points particuliers, comme vous l'allez voir.
 
J'étais à ce moment-là procureur impérial en province, et très bien en
cour, grâce à mon père, premier président à Paris. Or j'eus à prendre
la parole dans une cause restée célèbre sous le nom de l'Affaire de
l'instituteur Moiron.
 
M. Moiron, instituteur dans le nord de la France, jouissait, dans tout
le pays, d'une excellente réputation. Homme intelligent, réfléchi,
très religieux, un peu taciturne, il s'était marié dans la commune
de Boislinot où il exerçait sa profession. Il avait eu trois enfants,
morts successivement de la poitrine. A partir de ce moment, il sembla
reporter sur la marmaille confiée à ses soins toute la tendresse cachée
en son cœur. Il achetait, de ses propres deniers, des joujoux pour
ses meilleurs élèves, pour les plus sages et les plus gentils; il leur
faisait faire des dînettes, les gorgeant de friandises, de sucreries
et de gâteaux. Tout le monde aimait et vantait ce brave homme, ce
brave cœur, lorsque coup sur coup cinq de ses élèves moururent d'une
façon bizarre. On crut à une épidémie venant de l'eau corrompue par la
sécheresse; on chercha les causes sans les découvrir, d'autant plus que
les symptômes semblaient des plus étranges. Les enfants paraissaient
atteints d'une maladie de langueur, ne mangeaient plus, accusaient des
douleurs de ventre, traînaient quelque temps, puis expiraient au milieu d'abominables souffrances.

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