2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 19

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 19


Quant à elle, je la jugeais avec froideur et lucidité. Elle avait un
certain charme mondain provenant d'un esprit alerte, gai, aimable et
superficiel, mais aucune séduction réelle et profonde. C'était, comme
je vous l'ai dit déjà, une agitée, toute en dehors, d'une élégance un
peu tapageuse. Comment vous bien l'expliquer? C'était... c'était... un
décor... pas un logis.
 
Or, voilà qu'un jour, comme j'avais dîné chez elle, son mari, au moment
où je me retirais, me dit:
 
--Mon cher ami (il me traitait d'ami depuis quelque temps), nous allons
partir bientôt pour la campagne. Or c'est, pour ma femme et pour moi,
un grand plaisir d'y recevoir les gens que nous aimons. Voulez-vous
accepter de venir passer un mois chez nous. Ce serait très gracieux de
votre part.
 
Je fus stupéfait, mais j'acceptai.
 
Donc, un mois plus tard j'arrivais chez eux dans leur domaine de
Vertcresson, en Touraine.
 
On m'attendait à la gare, à cinq kilomètres du château. Ils étaient
trois, elle, le mari et un monsieur inconnu, le comte de Morterade à
qui je fus présenté. Il eut l'air ravi de faire ma connaissance; et
les idées les plus bizarres me passèrent dans l'esprit pendant que nous
suivions au grand trot un joli chemin profond, entre deux haies de
verdure. Je me disais: «Voyons, qu'est-ce que cela veut dire? Voilà un
mari qui ne peut douter que sa femme et moi soyons en galanterie, et
il m'invite chez lui, me reçoit comme un intime, a l'air de me dire:
«Allez, allez, mon cher, la voie est libre!»
 
Puis on me présente un monsieur, fort bien, ma foi, installé déjà dans
la maison, et... et qui cherche peut-être à en sortir et qui a l'air
aussi content que le mari lui-même de mon arrivée.
 
Est-ce un ancien qui veut sa retraite? On le croirait.--Mais alors? Les
deux hommes seraient donc d'accord, tacitement, par une de ces jolies
petites pactisations infâmes si communes dans la société? Et on me
propose, sans rien me dire, d'entrer dans l'association, en prenant la
suite. On me tend les mains, et on me tend les bras. On m'ouvre toutes
les portes et tous les cœurs.
 
Elle? une énigme. Elle ne doit, elle ne peut rien ignorer. Pourtant?...
pourtant?... voilà... Je n'y comprends rien!
 
 
Le dîner fut très gai et très cordial. En sortant de table, le mari
et son ami se mirent à jouer aux cartes tandis que j'allai contempler
le clair de lune, sur le perron, avec Madame. Elle semblait très émue
par la nature; et je jugeai que le moment de mon bonheur était proche.
Ce soir-là vraiment je la trouvai charmante. La campagne l'avait
attendrie, ou plutôt alanguie. Sa longue taille mince était jolie sur
le perron de pierre, à côté du grand vase qui portait une plante.
J'avais envie de l'entraîner sous les arbres et de me jeter à ses
genoux en lui disant des paroles d'amour.
 
La voix de son mari cria:
 
--Louise?
 
--Oui, mon ami.
 
--Tu oublies le thé.
 
--J'y vais, mon ami.
 
Nous rentrâmes; et elle nous servit le thé. Les deux hommes, leur
partie de cartes terminée, avaient visiblement sommeil. Il fallut
monter dans nos chambres. Je dormis très tard et très mal.
 
Le lendemain une excursion fut décidée dans l'après-midi; et nous
partîmes en landau découvert pour aller visiter des ruines quelconques.
Nous étions, elle et moi, dans le fond de la voiture, et eux en face de
nous, à reculons.
 
On causait avec entrain, avec sympathie, avec abandon. Je suis
orphelin, et il me semblait que je venais de retrouver ma famille tant
je me sentais chez moi, auprès d'eux.
 
Tout à coup, comme elle avait allongé son pied entre les jambes de son
mari, il murmura avec un air de reproche: «Louise, je vous en prie,
n'usez pas vous-même vos vieilles chaussures. Il n'y a pas de raison
pour se soigner davantage à Paris qu'à la campagne.»
 
Je baissai les yeux. Elle portait en effet de vieilles bottines
tournées et je m'aperçus que son bas n'était point tendu.
 
Elle avait rougi en retirant son pied sous sa robe. L'ami regardait au
loin d'un air indifférent et dégagé des choses.
 
Le mari m'offrit un cigare que j'acceptai. Pendant plusieurs jours, il
me fut impossible de rester seul avec elle deux minutes, tant il nous
suivait partout. Il était délicieux pour moi d'ailleurs.
 
Or, un matin, comme il m'était venu chercher pour faire une promenade
à pied, avant déjeuner, nous en vînmes à parler du mariage. Je dis
quelques phrases sur la solitude et quelques autres sur la vie commune
rendue charmante par la tendresse d'une femme. Il m'interrompit tout à
coup: «Mon cher, ne parlez pas de ce que vous ne connaissez point. Une
femme qui n'a plus d'intérêt à vous aimer, ne vous aime pas longtemps.
Toutes les coquetteries qui les font exquises, quand elles ne nous
appartiennent pas définitivement, cessent dès qu'elles sont à nous. Et
puis d'ailleurs... les femmes honnêtes... c'est-à-dire nos femmes...
sont... ne sont pas... manquent de... enfin ne connaissent pas assez
leur métier de femme. Voilà... je m'entends.»
 
Il n'en dit pas davantage et je ne pus deviner au juste sa pensée.
 
Deux jours après cette conversation il m'appela dans sa chambre, de
très bonne heure, pour me montrer une collection de gravures.
 
Je m'assis dans un fauteuil, en face de la grande porte qui séparait
son appartement de celui de sa femme, et derrière cette porte
j'entendais marcher, remuer, et je ne songeais guère aux gravures, tout
en m'écriant: «Oh! délicieux! exquis! exquis!»
 
Il dit soudain:
 
--Oh! mais, j'ai une merveille, à côté. Je vais vous la chercher.
 
Et il se précipita sur la porte, dont les deux battants s'ouvrirent
comme pour un effet de théâtre.
 
Dans une grande pièce en désordre, au milieu de jupes, de cols, de
corsages semés par terre, un grand être sec, dépeigné, le bas du corps
couvert d'une vieille jupe de soie fripée qui collait sur sa croupe
maigre, brossait devant une glace des cheveux blonds, courts et rares.
 
Ses bras formaient deux angles pointus; et comme elle se retournait
effarée, je vis sous une chemise de toile commune un cimetière de côtes
qu'une fausse gorge de coton dissimulait en public.
 
Le mari poussa un cri fort naturel, rentra en refermant les portes, et
d'un air navré: «Oh! mon Dieu! suis-je stupide! Oh! vraiment, suis-je
bête! Voilà une bévue que ma femme ne me pardonnera jamais!»
 
Moi j'avais envie, déjà, de le remercier.
 
Je partis trois jours plus tard, après avoir vivement serré les mains
des deux hommes et baisé celle de la femme, qui me dit adieu froidement.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
 
Karl Massouligny se tut.
 
Quelqu'un demanda:
 
--Mais l'ami, qu'était-ce?
 
--Je ne sais pas... Cependant... cependant il avait l'air désolé de me
voir partir si vite...
 
 
_La Porte_ a paru dans _le Gil-Blas_ du mardi 3 mai 1887.
 
 
 
 
LE PÈRE.
 
 
JEAN DE VALNOIX est un ami que je vais voir de temps en temps. Il
habite un petit manoir, au bord d'une rivière, dans un bois. Il s'était
retiré là après avoir vécu à Paris, une vie de fou, pendant quinze ans.
Tout à coup il en eut assez des plaisirs, des soupers, des hommes, des
femmes, des cartes, de tout, et il vint habiter ce domaine où il était
né.
 
Nous sommes deux ou trois qui allons passer, de temps en temps, quinze
jours ou trois semaines avec lui. Il est certes enchanté de nous revoir
quand nous arrivons, et ravi de se retrouver seul quand nous partons.
 
Donc j'allai chez lui, la semaine dernière, et il me reçut à bras
ouverts. Nous passions les heures tantôt ensemble, tantôt isolément.
En général, il lit, et je travaille pendant le jour; et chaque soir
nous causons jusqu'à minuit.
 
Donc, mardi dernier, après une journée étouffante, nous étions assis
tous les deux, vers neuf heures du soir, à regarder couler l'eau de la
rivière, contre nos pieds: et nous échangions des idées très vagues
sur les étoiles qui se baignaient dans le courant et semblaient nager
devant nous. Nous échangions des idées très vagues, très confuses,
très courtes, car nos esprits sont très bornés, très faibles, très
impuissants. Moi je m'attendrissais sur le soleil qui meurt dans la
Grande Ourse. On ne le voit plus que par les nuits claires, tant il
pâlit. Quand le ciel est un peu brumeux, il disparaît, cet agonisant.
Nous songions aux êtres qui peuplent ces mondes, à leurs formes
inimaginables, à leurs facultés insoupçonnables, à leurs organes
inconnus, aux animaux, aux plantes, à toutes les espèces, à tous les
règnes, à toutes les essences, à toutes les matières, que le rêve de
l'homme ne peut même effleurer.
 
Tout à coup une voix cria dans le lointain:
 
--Monsieur, monsieur!
 
Jean répondit:
 
--Ici, Baptiste.
 
Et quand le domestique nous eut trouvés, il annonça:
 
--C'est la bohémienne de Monsieur.
 
Mon ami se mit à rire, d'un rire fou bien rare chez lui, puis il
demanda:
 
--Nous sommes donc au 19 juillet?
 
--Mais oui, Monsieur.
 
--Très bien. Dites-lui de m'attendre. Faites-la souper. Je rentrerai dans dix minutes.

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