2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 16

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 16


Combien vaut-il?
 
--Monsieur, je l'ai vendu vingt-cinq mille. Je suis prêt à le reprendre
pour dix-huit mille, quand vous m'aurez indiqué, pour obéir aux
prescriptions légales, comment vous en êtes détenteur.
 
Cette fois, M. Lantin s'assit perclus d'étonnement. Il reprit:
 
--Mais..., mais, examinez-le bien attentivement, monsieur, j'avais cru
jusqu'ici qu'il était en... en faux.
 
Le joaillier reprit:
 
--Voulez-vous me dire votre nom, monsieur?
 
--Parfaitement. Je m'appelle Lantin, je suis employé au ministère de
l'Intérieur, je demeure 16, rue des Martyrs.
 
Le marchand ouvrit ses registres, rechercha, et prononça:
 
--Ce collier a été envoyé en effet à l'adresse de Mme Lantin, 16, rue
des Martyrs, le 20 juillet 1876.
 
Et les deux hommes se regardèrent dans les yeux, l'employé éperdu de
surprise, l'orfèvre flairant un voleur.
 
Celui-ci reprit:
 
--Voulez-vous me laisser cet objet pendant vingt-quatre heures
seulement, je vais vous en donner un reçu.
 
M. Lantin balbutia:
 
--Mais oui, certainement. Et il sortit en pliant le papier qu'il mit
dans sa poche.
 
Puis il traversa la rue, la remonta, s'aperçut qu'il se trompait de
route, redescendit aux Tuileries, passa la Seine, reconnut encore son
erreur, revint aux Champs-Élysées sans une idée nette dans la tête. Il
s'efforçait de raisonner, de comprendre. Sa femme n'avait pu acheter
un objet d'une pareille valeur.--Non, certes.--Mais alors, c'était un
cadeau! Un cadeau! Un cadeau de qui? Pourquoi?
 
Il s'était arrêté, et il demeurait debout au milieu de l'avenue. Le
doute horrible l'effleura.--Elle?--Mais alors tous les autres bijoux
étaient aussi des cadeaux! Il lui sembla que la terre remuait; qu'un
arbre, devant lui, s'abattait; il étendit les bras et s'écroula, privé
de sentiment.
 
Il reprit connaissance dans la boutique d'un pharmacien où les passants
l'avaient porté. Il se fit reconduire chez lui, et s'enferma.
 
Jusqu'à la nuit il pleura éperdument, mordant un mouchoir pour ne pas
crier. Puis il se mit au lit accablé de fatigue et de chagrin, et il
dormit d'un pesant sommeil.
 
Un rayon de soleil le réveilla, et il se leva lentement pour aller à
son ministère. C'était dur de travailler après de pareilles secousses.
Il réfléchit alors qu'il pouvait s'excuser auprès de son chef; et il
lui écrivit. Puis il songea qu'il fallait retourner chez le bijoutier;
et une honte l'empourpra. Il demeura longtemps à réfléchir. Il ne
pouvait pourtant pas laisser le collier chez cet homme, il s'habilla et
sortit.
 
Il faisait beau, le ciel bleu s'étendait sur la ville qui semblait
sourire. Des flâneurs allaient devant eux, les mains dans leurs poches.
 
Lantin se dit, en les regardant passer: «Comme on est heureux quand on
a de la fortune! Avec de l'argent on peut secouer jusqu'aux chagrins,
on va où l'on veut, on voyage, on se distrait! Oh! si j'étais riche!»
 
Il s'aperçut qu'il avait faim, n'ayant pas mangé depuis l'avant-veille.
Mais sa poche était vide, et il se ressouvint du collier. Dix-huit
mille francs! Dix-huit mille francs! c'était une somme, cela!
 
Il gagna la rue de la Paix et commença à se promener de long en large
sur le trottoir, en face de la boutique. Dix-huit mille francs! Vingt
fois il faillit entrer; mais la honte l'arrêtait toujours.
 
Il avait faim pourtant, grand'faim, et pas un sou. Il se décida
brusquement, traversa la rue en courant pour ne pas se laisser le temps
de réfléchir, et il se précipita chez l'orfèvre.
 
Dès qu'il l'aperçut, le marchand s'empressa, offrit un siège avec une
politesse souriante. Les commis eux-mêmes arrivèrent, qui regardaient
de côté Lantin, avec des gaietés dans les yeux et sur les lèvres.
 
Le bijoutier déclara:
 
--Je me suis renseigné, monsieur, et si vous êtes toujours dans les
mêmes dispositions, je suis prêt à vous payer la somme que je vous ai
proposée.
 
L'employé balbutia:
 
--Mais certainement.
 
L'orfèvre tira d'un tiroir dix-huit grands billets, les compta, les
tendit à Lantin, qui signa un petit reçu et mit d'une main frémissante
l'argent dans sa poche.
 
Puis, comme il allait sortir, il se retourna vers le marchand qui
souriait toujours, et, baissant les yeux:
 
--J'ai... j'ai d'autres bijoux... qui me viennent... qui me viennent de
la même succession. Vous conviendrait-il de me les acheter aussi?
 
Le marchand s'inclina:
 
--Mais certainement, monsieur. Un des commis sortit pour rire à son
aise; un autre se mouchait avec force.
 
Lantin impassible, rouge et grave, annonça:
 
--Je vais vous les apporter.
 
Et il prit un fiacre pour aller chercher les joyaux.
 
Quand il revint chez le marchand, une heure plus tard, il n'avait pas
encore déjeuné. Ils se mirent à examiner les objets pièce à pièce,
évaluant chacun. Presque tous venaient de la maison.
 
Lantin, maintenant, discutait les estimations, se fâchait, exigeait
qu'on lui montrât les livres de vente, et parlait de plus en plus haut
à mesure que s'élevait la somme.
 
Les gros brillants d'oreilles valent vingt mille francs, les bracelets
trente-cinq mille, les broches, bagues et médaillons seize mille, une
parure d'émeraudes et de saphirs quatorze mille; un solitaire suspendu
à une chaîne d'or formant collier quarante mille; le tout atteignant le
chiffre de cent quatre-vingt-seize mille francs.
 
Le marchand déclara avec une bonhomie railleuse:
 
--Cela vient d'une personne qui mettait toutes ses économies en bijoux.
 
Lantin prononça gravement:
 
--C'est une manière comme une autre de placer son argent. Et il s'en
alla après avoir décidé avec l'acquéreur qu'une contre-expertise aurait
lieu le lendemain.
 
Quand il se trouva dans la rue, il regarda la colonne Vendôme avec
l'envie d'y grimper, comme si c'eût été un mât de cocagne. Il se
sentait léger à jouer à saute-mouton par-dessus la statue de l'Empereur
perché là-haut dans le ciel.
 
Il alla déjeuner chez Voisin et but du vin à vingt francs la bouteille.
 
Puis il prit un fiacre et fit un tour au Bois. Il regardait les
équipages avec un certain mépris, oppressé du désir de crier aux
passants: «Je suis riche aussi, moi. J'ai deux cent mille francs!»
 
Le souvenir de son ministère lui revint. Il s'y fit conduire, entra
délibérément chez son chef et annonça:
 
--Je viens, monsieur, vous donner ma démission. J'ai fait un héritage
de trois cent mille francs.
 
Il alla serrer la main de ses anciens collègues et leur confia ses
projets d'existence nouvelle; puis il dîna au Café Anglais.
 
Se trouvant à côté d'un monsieur qui lui parut distingué, il ne
put résister à la démangeaison de lui confier, avec une certaine
coquetterie, qu'il venait d'hériter de quatre cent mille francs.
 
Pour la première fois de sa vie il ne s'ennuya pas au théâtre, et il
passa sa nuit avec des filles.
 
Six mois plus tard il se remariait. Sa seconde femme était très
honnête, mais d'un caractère difficile. Elle le fit beaucoup souffrir.
 
 
_Les Bijoux_ ont paru dans _le Gil-Blas_ du mardi 27 mars 1883, sous
la signature: MAUFRIGNEUSE.
 
 
 
 
APPARITION.
 
 
ON parlait de séquestration à propos d'un procès récent. C'était à la
fin d'une soirée intime, rue de Grenelle, dans un ancien hôtel, et
chacun avait son histoire, une histoire qu'il affirmait vraie.
 
Alors le vieux marquis de la Tour-Samuel, âgé de quatre-vingt-deux
ans, se leva et vint s'appuyer à la cheminée. Il dit de sa voix un peu
tremblante:
 
--Moi aussi, je sais une chose étrange, tellement étrange, qu'elle
a été l'obsession de ma vie. Voici maintenant cinquante-six ans que
cette aventure m'est arrivée, et il ne se passe pas un mois sans que
je la revoie en rêve. Il m'est demeuré de ce jour-là une marque, une
empreinte de peur, me comprenez-vous? Oui, j'ai subi l'horrible
épouvante, pendant dix minutes, d'une telle façon que depuis cette
heure une sorte de terreur constante m'est restée dans l'âme. Les
bruits inattendus me font tressaillir jusqu'au cœur; les objets que
je distingue mal dans l'ombre du soir me donnent une envie folle de me sauver. J'ai peur la nuit, enfin.

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