2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 17

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 17


Oh! je n'aurais pas avoué cela avant d'être arrivé à l'âge où je suis.
Maintenant je peux tout dire. Il est permis de n'être pas brave devant
les dangers imaginaires, quand on a quatre-vingt-deux ans. Devant les
dangers véritables, je n'ai jamais reculé, Mesdames.
 
Cette histoire m'a tellement bouleversé l'esprit, a jeté en moi un
trouble si profond, si mystérieux, si épouvantable, que je ne l'ai même
jamais racontée. Je l'ai gardée dans le fond intime de moi, dans ce
fond où l'on cache les secrets pénibles, les secrets honteux, toutes
les inavouables faiblesses que nous avons dans notre existence.
 
Je vais vous dire l'aventure telle quelle, sans chercher à l'expliquer.
Il est bien certain qu'elle est explicable, à moins que je n'aie eu mon
heure de folie. Mais non, je n'ai pas été fou, et je vous en donnerai
la preuve. Imaginez ce que vous voudrez. Voici les faits tout simples:
 
«C'était en 1827, au mois de juillet. Je me trouvais à Rouen en
garnison.
 
Un jour, comme je me promenais sur le quai, je rencontrai un homme que
je crus reconnaître sans me rappeler au juste qui c'était. Je fis, par
instinct, un mouvement pour m'arrêter. L'étranger aperçut ce geste, me
regarda et tomba dans mes bras.
 
C'était un ami de jeunesse que j'avais beaucoup aimé. Depuis cinq ans
que je ne l'avais vu, il semblait vieilli d'un demi-siècle. Ses cheveux
étaient tout blancs; et il marchait courbé, comme épuisé. Il comprit ma
surprise et me conta sa vie. Un malheur terrible l'avait brisé.
 
Devenu follement amoureux d'une jeune fille, il l'avait épousée dans
une sorte d'extase de bonheur. Après un an d'une félicité surhumaine et
d'une passion inapaisée, elle était morte subitement d'une maladie de
cœur, tuée par l'amour lui-même, sans doute.
 
Il avait quitté son château le jour même de l'enterrement, et il était
venu habiter son hôtel de Rouen. Il vivait là, solitaire et désespéré,
rongé par la douleur, si misérable qu'il ne pensait qu'au suicide.
 
--Puisque je te retrouve ainsi, me dit-il, je te demanderai de me
rendre un grand service, c'est d'aller chercher chez moi dans le
secrétaire de ma chambre, de notre chambre, quelques papiers dont j'ai
un urgent besoin. Je ne puis charger de ce soin un subalterne ou un
homme d'affaires, car il me faut une impénétrable discrétion et un
silence absolu. Quant à moi, pour rien au monde je ne rentrerai dans
cette maison.
 
Je te donnerai la clef de cette chambre que j'ai fermée moi-même en
partant, et la clef de mon secrétaire. Tu remettras en outre un mot de
moi à mon jardinier qui t'ouvrira le château.
 
Mais viens déjeuner avec moi demain, et nous causerons de cela.
 
Je lui promis de lui rendre ce léger service. Ce n'était d'ailleurs
qu'une promenade pour moi, son domaine se trouvant situé à cinq lieues
de Rouen environ. J'en avais pour une heure à cheval.
 
A dix heures, le lendemain, j'étais chez lui. Nous déjeunâmes en tête à
tête; mais il ne prononça pas vingt paroles. Il me pria de l'excuser;
la pensée de la visite que j'allais faire dans cette chambre, où gisait
son bonheur, le bouleversait, me disait-il. Il me parut en effet
singulièrement agité, préoccupé, comme si un mystérieux combat se fût
livré dans son âme.
 
Enfin il m'expliqua exactement ce que je devais faire. C'était bien
simple. Il me fallait prendre deux paquets de lettres et une liasse
de papiers enfermés dans le premier tiroir de droite du meuble dont
j'avais la clef. Il ajouta:
 
--Je n'ai pas besoin de te prier de n'y point jeter les yeux.
 
Je fus presque blessé de cette parole, et je le lui dis un peu
vivement. Il balbutia:
 
--Pardonne-moi, je souffre trop.
 
Et il se mit à pleurer.
 
Je le quittai vers une heure pour accomplir ma mission.
 
Il faisait un temps radieux, et j'allais au grand trot à travers les
prairies, écoutant des chants d'alouettes et le bruit rythmé de mon
sabre sur ma botte.
 
Puis j'entrai dans la forêt et je mis au pas mon cheval. Des branches
d'arbres me caressaient le visage; et parfois j'attrapais une feuille
avec mes dents et je la mâchais avidement, dans une de ces joies de
vivre qui vous emplissent, on ne sait pourquoi, d'un bonheur tumultueux
et comme insaisissable, d'une sorte d'ivresse de force.
 
En approchant du château, je cherchais dans ma poche la lettre que
j'avais pour le jardinier, et je m'aperçus avec étonnement qu'elle
était cachetée. Je fus tellement surpris et irrité que je faillis
revenir sans m'acquitter de ma commission. Puis je songeai que j'allais
montrer là une susceptibilité de mauvais goût. Mon ami avait pu
d'ailleurs fermer ce mot sans y prendre garde, dans le trouble où il
était.
 
Le manoir semblait abandonné depuis vingt ans. La barrière, ouverte
et pourrie, tenait debout on ne sait comment. L'herbe emplissait les
allées; on ne distinguait plus les plates-bandes du gazon.
 
Au bruit que je fis en tapant à coups de pied dans un volet, un vieil
homme sortit d'une porte de côté et parut stupéfait de me voir. Je
sautai à terre et je remis ma lettre. Il la lut, la relut, la retourna,
me considéra en dessous, mit le papier dans sa poche et prononça:
 
--Eh bien! qu'est-ce que vous désirez?
 
Je répondis brusquement:
 
--Vous devez le savoir, puisque vous avez reçu là dedans les ordres de
votre maître; je veux entrer dans ce château.
 
Il semblait atterré. Il déclara:
 
--Alors, vous allez dans... dans sa chambre?
 
Je commençais à m'impatienter.
 
--Parbleu! Mais est-ce que vous auriez l'intention de m'interroger, par
hasard?
 
Il balbutia:
 
--Non... Monsieur... mais c'est que... c'est qu'elle n'a pas été
ouverte depuis... depuis la... mort. Si vous voulez m'attendre cinq
minutes, je vais aller... aller voir si...
 
Je l'interrompis avec colère:
 
--Ah! ça, voyons, vous fichez-vous de moi? Vous n'y pouvez pas entrer,
puisque voici la clef.
 
Il ne savait plus que dire.
 
--Alors, Monsieur, je vais vous montrer la route.
 
--Montrez-moi l'escalier et laissez-moi seul. Je la trouverai bien sans
vous.
 
--Mais... Monsieur... cependant...
 
Cette fois, je m'emportai tout à fait:
 
--Maintenant, taisez-vous, n'est-ce pas? ou vous aurez affaire à moi.
 
Je l'écartai violemment et je pénétrai dans la maison.
 
Je traversai d'abord la cuisine, puis deux petites pièces que cet homme
habitait avec sa femme. Je franchis ensuite un grand vestibule, je
montai l'escalier et je reconnus la porte indiquée par mon ami.
 
Je l'ouvris sans peine et j'entrai.
 
L'appartement était tellement sombre que je n'y distinguai rien
d'abord. Je m'arrêtai, saisi par cette odeur moisie et fade des pièces
inhabitées et condamnées, des chambres mortes. Puis, peu à peu, mes
yeux s'habituèrent à l'obscurité, et je vis assez nettement une grande
pièce en désordre, avec un lit sans draps, mais gardant ses matelas et
ses oreillers, dont l'un portait l'empreinte profonde d'un coude ou
d'une tête comme si on venait de se poser dessus.
 
Les sièges semblaient en déroute. Je remarquai qu'une porte, celle
d'une armoire sans doute, était demeurée entr'ouverte.
 
J'allai d'abord à la fenêtre pour donner du jour et je l'ouvris; mais
les ferrures du contrevent étaient tellement rouillées que je ne pus
les faire céder.
 
J'essayai même de les casser avec mon sabre, sans y parvenir. Comme je
m'irritais de ces efforts inutiles, et comme mes yeux s'étaient enfin
parfaitement accoutumés à l'ombre, je renonçai à l'espoir d'y voir plus
clair et j'allai au secrétaire.
 
Je m'assis dans un fauteuil, j'abattis la tablette, j'ouvris le tiroir
indiqué. Il était plein jusqu'aux bords. Il ne me fallait que trois
paquets, que je savais comment reconnaître, et je me mis à les chercher.
 
Je m'écarquillais les yeux à déchiffrer les suscriptions, quand je crus
entendre ou plutôt sentir un frôlement derrière moi. Je n'y pris point
garde, pensant qu'un courant d'air avait fait remuer quelque étoffe.
Mais, au bout d'une minute, un autre mouvement, presque indistinct,
me fit passer sur la peau un singulier petit frisson désagréable.
C'était tellement bête d'être ému, même à peine, que je ne voulus pas
me retourner, par pudeur pour moi-même. Je venais alors de découvrir
la seconde des liasses qu'il me fallait; et je trouvais justement la
troisième, quand un grand et pénible soupir, poussé contre mon épaule,
me fit faire un bond de fou à deux mètres de là. Dans mon élan je
m'étais retourné, la main sur la poignée de mon sabre, et certes, si je
ne l'avais pas senti à mon côté, je me serais enfui comme un lâche.
 
Une grande femme vêtue de blanc me regardait, debout derrière le
fauteuil où j'étais assis une seconde plus tôt.
 
Une telle secousse me courut dans les membres que je faillis m'abattre
à la renverse. Oh! personne ne peut comprendre, à moins de les avoir
ressenties, ces épouvantables et stupides terreurs. L'âme se fond; on
ne sent plus son cœur; le corps entier devient mou comme une éponge;
on dirait que tout l'intérieur de nous s'écoule.
 
Je ne crois pas aux fantômes; eh bien! j'ai défailli sous la hideuse
peur des morts; et j'ai souffert, oh! souffert en quelques instants
plus qu'en tout le reste de ma vie, dans l'angoisse irrésistible des
épouvantes surnaturelles.
 
Si elle n'avait pas parlé, je serais mort peut-être! Mais elle parla;
elle parla d'une voix douce et douloureuse qui faisait vibrer les
nerfs. Je n'oserais pas dire que je redevins maître de moi et que je
retrouvai ma raison. Non. J'étais éperdu à ne plus savoir ce que je
faisais; mais cette espèce de fierté intime que j'ai en moi, un peu
d'orgueil de métier aussi, me faisaient garder, presque malgré moi,
une contenance honorable. Je posais enfin, je posais pour moi, et pour
elle sans doute, pour elle, quelle qu'elle fût, femme ou spectre. Je me
suis rendu compte de tout cela plus tard, car je vous assure que, dans
l'instant de l'apparition, je ne songeais à rien. J'avais peur.

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