2016년 3월 14일 월요일

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 18

Oeuvres complètes de Guy de Maupassant 18


Oh! Monsieur, vous pouvez me rendre un grand service!
 
Je voulus répondre, mais il me fut impossible de prononcer un mot. Un
bruit vague sortit de ma gorge.
 
Elle reprit:
 
--Voulez-vous? Vous pouvez me sauver, me guérir. Je souffre
affreusement. Je souffre toujours. Je souffre, oh! je souffre!
 
Et elle s'assit doucement dans mon fauteuil. Elle me regardait:
 
--Voulez-vous?
 
Je fis: «Oui!» de la tête, ayant encore la voix paralysée.
 
Alors elle me tendit un peigne de femme en écaille et elle murmura:
 
--Peignez-moi, oh! peignez-moi; cela me guérira; il faut qu'on me
peigne. Regardez ma tête... Comme je souffre; et mes cheveux, comme ils
me font mal!
 
Ses cheveux dénoués, très longs, très noirs, me semblait-il, pendaient
par-dessus le dossier du fauteuil et touchaient la terre.
 
Pourquoi ai-je fait ceci? Pourquoi ai-je reçu en frissonnant ce
peigne, et pourquoi ai-je pris dans mes mains ses longs cheveux qui
me donnèrent à la peau une sensation de froid atroce comme si j'eusse
manié des serpents? Je n'en sais rien.
 
Cette sensation m'est restée dans les doigts et je tressaille en y
songeant.
 
Je la peignai. Je maniai je ne sais comment cette chevelure de glace.
Je la tordis, je la renouai et la dénouai; je la tressai comme on
tresse la crinière d'un cheval. Elle soupirait, penchait la tête,
semblait heureuse.
 
Soudain elle me dit: «Merci!» m'arracha le peigne des mains et s'enfuit
par la porte que j'avais remarquée entr'ouverte.
 
Resté seul, j'eus, pendant quelques secondes, ce trouble effaré des
réveils après les cauchemars. Puis je repris enfin mes sens, je courus
à la fenêtre et je brisai les contrevents d'une poussée furieuse.
 
Un flot de jour entra. Je m'élançai sur la porte par où cet être était
parti. Je la trouvai fermée et inébranlable.
 
Alors une fièvre de fuite m'envahit, une panique, la vraie panique des
batailles. Je saisis brusquement les trois paquets de lettres sur le
secrétaire ouvert; je traversai l'appartement en courant, je sautai
les marches de l'escalier quatre par quatre, je me trouvai dehors
je ne sais par où, et, apercevant mon cheval à dix pas de moi, je
l'enfourchai d'un bond et partis au galop.
 
Je ne m'arrêtai qu'à Rouen, et devant mon logis. Ayant jeté la bride
à mon ordonnance, je me sauvai dans ma chambre où je m'enfermai pour
réfléchir.
 
Alors, pendant une heure, je me demandai anxieusement si je n'avais
pas été le jouet d'une hallucination. Certes, j'avais eu un de ces
incompréhensibles ébranlements nerveux, un de ces affolements du
cerveau qui enfantent les miracles, à qui le Surnaturel doit sa
puissance.
 
Et j'allais croire à une vision, à une erreur de mes sens, quand je
m'approchai de ma fenêtre. Mes yeux, par hasard, descendirent sur ma
poitrine. Mon dolman était plein de cheveux, de longs cheveux de femme
qui s'étaient enroulés aux boutons!
 
Je les saisis un à un et je les jetai dehors avec des tremblements dans
les doigts.
 
Puis j'appelai mon ordonnance. Je me sentais trop ému, trop troublé,
pour aller le jour même chez mon ami. Et puis je voulais mûrement
réfléchir à ce que je devais lui dire.
 
Je lui fis porter ses lettres, dont il remit un reçu au soldat. Il
s'informa beaucoup de moi. On lui dit que j'étais souffrant, que
j'avais reçu un coup de soleil, je ne sais quoi. Il parut inquiet.
 
Je me rendis chez lui le lendemain, dès l'aube, résolu à lui dire la
vérité. Il était sorti de la veille au soir et pas rentré.
 
Je revins dans la journée, on ne l'avait pas revu. J'attendis une
semaine. Il ne reparut pas. Alors je prévins la justice. On le fit
rechercher partout, sans découvrir une trace de son passage ou de sa
retraite.
 
Une visite minutieuse fut faite du château abandonné. On n'y découvrit
rien de suspect.
 
Aucun indice ne révéla qu'une femme y eût été cachée.
 
L'enquête n'aboutissant à rien, les recherches furent interrompues.
 
Et, depuis cinquante-six ans, je n'ai rien appris. Je ne sais rien de
plus.»
 
 
_Apparition_ a paru dans _le Gaulois_ du mercredi 4 avril 1883.
 
 
 
 
LA PORTE.
 
 
AH! s'écria Karl Massouligny, en voici une question difficile, celle
des maris complaisants! Certes, j'en ai vu de toutes sortes; eh bien,
je ne saurais avoir une opinion sur un seul. J'ai souvent essayé de
déterminer s'ils sont en vérité aveugles, clairvoyants ou faibles. Il
en est, je crois, de ces trois catégories.
 
Passons vite sur les aveugles. Ce ne sont point des complaisants
d'ailleurs, ceux-là, puisqu'ils ne savent pas, mais de bonnes bêtes
qui ne voient jamais plus loin que leur nez. C'est, d'ailleurs, une
chose curieuse et intéressante à noter que la facilité des hommes, de
tous les hommes, et même des femmes, de toutes les femmes à se laisser
tromper. Nous sommes pris aux moindres ruses de tous ceux qui nous
entourent, de nos enfants, de nos amis, de nos domestiques, de nos
fournisseurs. L'humanité est crédule; et nous ne déployons point pour
soupçonner, deviner et déjouer les adresses des autres, le dixième de
la finesse que nous employons quand nous voulons, à notre tour, tromper
quelqu'un.
 
Les maris clairvoyants appartiennent à trois races. Ceux qui ont
intérêt, un intérêt d'argent, d'ambition, ou autre, à ce que leur
femme ait un amant, ou des amants. Ceux-ci demandent seulement de
sauvegarder, à peu près, les apparences, et sont satisfaits de la chose.
 
Ceux qui ragent. Il y aurait un beau roman à faire sur eux.
 
Enfin les faibles! ceux qui ont peur du scandale.
 
Il y a aussi les impuissants, ou plutôt les fatigués, qui fuient le lit
conjugal par crainte de l'ataxie ou de l'apoplexie et qui se résignent
à voir un ami courir ces dangers.
 
Quant à moi, j'ai connu un mari d'une espèce assez rare et qui s'est
défendu de l'accident commun d'une façon spirituelle et bizarre.
 
J'avais fait à Paris la connaissance d'un ménage élégant, mondain, très
lancé. La femme, une agitée, grande, mince, fort entourée, passait
pour avoir eu des aventures. Elle me plut par son esprit et je crois
que je lui plus aussi. Je lui fis la cour, une cour d'essai à laquelle
elle répondit par des provocations évidentes. Nous en fûmes bientôt aux
regards tendres, aux mains pressées, à toutes les petites galanteries
qui précèdent la grande attaque.
 
J'hésitais cependant. J'estime en somme que la plupart des liaisons
mondaines, même très courtes, ne valent pas le mal qu'elles nous
donnent ni tous les ennuis qui peuvent en résulter. Je comparais donc
mentalement les agréments et les inconvénients que je pouvais espérer
et redouter quand je crus m'apercevoir que le mari me suspectait et me
surveillait.
 
Un soir, dans un bal, comme je disais des douceurs à la jeune femme,
dans un petit salon attenant aux grands où l'on dansait, j'aperçus
soudain dans une glace le reflet d'un visage qui nous épiait. C'était
lui. Nos regards se croisèrent, puis je le vis, toujours dans le
miroir, tourner la tête et s'en aller.
 
Je murmurai:
 
--Votre mari nous espionne.
 
Elle sembla stupéfaite.
 
--Mon mari.
 
--Oui, voici plusieurs fois qu'il nous guette.
 
--Allons donc! Vous êtes sûr?
 
--Très sûr.
 
--Comme c'est bizarre. Il se montre au contraire ordinairement on ne
peut plus aimable avec mes amis.
 
--C'est qu'il a peut-être deviné que je vous aime?
 
--Allons donc! Et puis vous n'êtes pas le premier qui me fasse la cour.
Toute femme un peu en vue traîne un troupeau de soupireurs.
 
--Oui. Mais moi, je vous aime profondément.
 
--En admettant que ce soit vrai, est-ce qu'un mari devine jamais ces
choses-là?
 
--Alors, il n'est pas jaloux.
 
--Non... non...
 
Elle réfléchit quelques instants, puis reprit:
 
--Non... Je ne me suis jamais aperçue qu'il fût jaloux.
 
--Il ne vous a jamais... jamais surveillée.
 
--Non... Comme je vous le disais, il est très aimable avec mes amis.
 
 
A partir de ce jour, je fis une cour plus régulière. La femme ne me
plaisait pas davantage, mais la jalousie probable du mari me tentait beaucoup.

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