Pensées d'une amazone 22
Ces musiciens errants, que nous trouvâmes, sur quelle route? et
ramenâmes, à quelle demeuré? Ces voiliers, sur quelle mer?
Quelle était, au soir, cette île lumineuse que nous regardions d'une
montagne, et qui semblait avoir attiré tous les astres du ciel? Naples?
Montmartre?
Dans quel pays, ces courses interminables entre des oliviers, leurs
feuilles aux tons doubles comme ses yeux?
... Et avec, au retour, dans la bouche, une plume de l'oiseau
merveilleux, et dans le cerveau, le stimulant bref que donne la joie
égoïstement partagée.
Vos intermittences et mes continuités finiront peut-être par
s'exaspérer au point où vous ne pourrez plus me voir et où, moi, je ne
pourrai plus cesser de vous voir.
Je la contemple à sa toilette, cherchant ses affaires, se coiffant
avec humeur et difficulté. Hélas! que ses moments avec moi soient des
moments sans femmes de chambre!
On ne résiste pas longtemps à préférer le confort au bonheur.
Chez nous les pommiers et les cerisiers en fleurs sont plus prodigues
et plus beaux qu'au Japon--car personne ne les acclame et personne ne
les voit.
D'être libre et seul je l'aime plus qu'elle ne peut m'aimer de ne
pouvoir que me préférer.
Au bord des routes et des ruisseaux, nous voyons des pêcheurs et nous
leur achetons deux truites à peine enlevées de leurs bambous, et dont
l'haleine respire encore la fraîcheur de l'eau. Peu après, nous les
revoyons, à peine changées par le feu, pour notre déjeuner, à l'auberge
peu confortable du plaisir.
L'air l'appelait au dehors, frappant de toute sa clarté aux fenêtres.
La belle chaleur rare d'un jour qui représente parfois à lui seul tout
l'été et qui offre ses cueillaisons précoces de fleurs, de foins et de
fruits (voluptés successivess et mélangées) à nos narines.
Les dons, de l'air.
Ses paumes très creuses ressemblent aux pétales striés d'une rose rose.
Y lire notre destinée?
Mais pour me repousser, elle leva sa main, comme un visage d'aveugle...
AUTRES ÉPARPILLEMENTS
LITTÉRATURES
Les romans sont bien plus longs que la vie.
Le premier roman, d'Adam et d'Ève, est tiré à trop d'exemplaires.
Je ne vais jamais au bout d'une idée--il y a trop loin.
... La sensibilité écourtée de ceux qui ont besoin d'observer pour
comprendre.
Sa haine s'éveille sous des mots comme des cloportes sous une pierre
qu'on remue.
Tout jugement est plus ou moins bilieux. Il y a plusieurs justices. Il
ne peut y avoir de «dernier jugement».
Qui parle «contre» n'a rien à dire. Pourquoi démolir, lorsqu'on peut
surpasser? On se limite à ce qu'on attaque et l'on ne prouve que ses
limitations.
Trop de suites pour une suite?
On ressemble toujours un peu à ce que l'on comprend.
Encore plus grisant que le corps à corps, le mot à mot.
Ces poètes, secrétaires de l'inconnu.
Mon lyrisme: une exactitude.
Dire toujours ce que l'on a à dire secrètement à du papier, comme le
barbier du roi aux roseaux. Le papier seul aurait des oreilles?
Leurs vers réguliers: un jeu de patience.
Leurs vers irréguliers: un jeu d'impatience.
Les poèmes de Mallarmé sont si faciles à retenir parce que chaque mot
y est nécessaire et à sa place: d'une commotion inespérée. Une fois la
vibration saisie, le dessin perçu, il devient inoubliable.
Souvent chez les autres poètes, notre mémoire remplace--remplace mieux.
Il y a aussi ces génies en fermentation, non encore limités dans
l'__EXPRESSION__.
Ceux dont l'art est teinté d'une personnalité inexorable, ceux chez qui
l'on ne voit pas tout de suite clair. Les pensées imprécises donnent
l'atmosphère aux autres.
Il se prépara un grand vocabulaire, et attendit toute la vie une idée.
Ne pas aller vers les romans, ni laisser venir les romans à nous. C'est
pour la pensée une mauvaise fréquentation de plus.
Aspirant à une délicatesse qu'il ne réalise que dans son œuvre, il
semble rester en dehors d'elle, à peine la comprendre.
Un corps trop long de n'avoir pas de plus larges épaules: une tête mal
défendue.
Les vils petits mots consacrés, tout enflés de non-sens.
Une pensées tombe comme un fruit mûr de l'arbre de l'oisiveté.
Sa voix stridente semblait poignarder la subtilité de ses pensées au
passage.
Ne pas forniquer avec d'autres cerveaux: il en naît toujours quelque
chose de bâtard.
Travailler les circonstances brutes que la vie nous amène, les recréer
à notre image.
Leurs créations ne sont même pas des récréations.
Tant d'images nouvelles, audacieuses, belles, cinglent et stimulent
mon imagination au passage, qu'au lieu de vous écrire, je m'écris à
moi-même.
Je vous relis, et c'est toujours une autre première fois.
On n'épuise jamais un beau livre, et un beau livre ne nous épuise pas.
Un dessein se fait dans mon cerveau, je le sens derrière mes yeux, je
prends contact par cette image avec l'intérieur de moi-même... De ses
hasardeuses tracées il reste à peine un résumé de pensée.
N'aimant que le côté nocturne des choses, il se bornait à faire des
chefs-d'œuvre d'obscurité.
Il y a aussi ces réalités intangibles qui errent près de nous, sans
formes et sans paroles, ces réalités que personne n'a pensées, et qui
sont exclues faute d'interprètes.
Il y a cependant une si mince différence entre ce qui est, et ce qui
pourrait être.
--Biffage du pire, du meilleur?
Derrière certains écrivains se tient un inconnu, mais ils n'ont pas
souvent les yeux placés pour le voir, et ces scribes s'attribuent tout
ce qui leur est suggéré par cette présence invisible. Ils portent sa
couronne à sa place.
Les paroles viennent au poète comme à un aimant, à un penseur comme une
épée.
On dit: Il suit son idée et, c'est peut-être son idée qui le suit, ou
serait-il vraiment docile au point de suivre une idée? et, dans ce cas,
son idée est-elle à lui?
... L'esprit de famille, des familles d'esprit.
Il est temps que les langues mortes se taisent.
Virgule: cil tombé entre les mots, le temps de faire un vœu, de
penser à autre chose, et de continuer.
Il écrit une œuvre de «longue haleine». Il est à regretter que les
auteurs ne soient pas plus souvent nés essoufflés.
Quand je lis A... je me rends compte combien la mauvaise littérature
ressemble à de la bonne littérature, et quand je lis Z... combien la
bonne littérature ressemble à de la mauvaise littérature.
C'est la préoccupation de l'art qui détruit l'art.
Ce qui rend les mauvais écrivains agaçants, ce sont leurs belles pages.
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