Pensées d'une amazone 11
On se rappellera aussi toute la subtile délicatesse que met Platon
à différencier la supériorité de l'amant par rapport à l'aimé, sans
concevoir la possibilité que l'un ou l'autre puisse être répréhensible.
«_L'épris, en effet, est plus divin que l'élu, car l'épris est inspiré
par Dieu._»
«_Je ne connais pas un bien plus grand pour un adolescent que la
possession d'un amant vertueux, et de bonheur plus précieux pour
un amant que l'élection d'un digne favori..._
(Banquet, trad Mario Meunier).
Personne n'a jamais songé à discuter certains goûts d'Hercule, de
Zeus. Il est vrai qu'ils ne nous touchent pas de près! Une esquisse,
attribuée à Michel-Ange, exalte même cet aigle divin qui emporte dans
ses serres l'adolescent Ganymède, au corps extasié. Ils sont si haut
dans les airs que ni l'un ni l'autre ne semble conscient des jappements
que leur adresse un roquet resté là-bas tout au loin sur la terre.
Les défenseurs de la vertu de Shakespeare, de Sappho, de Verlaine, de
Rimbaud, etc..., sont issus sans doute de l'ours à pavé de La Fontaine
ou de ce chien dessiné par Michel-Ange.>
Plutôt que de blâmer, en persécutant nos dissemblables, cherchons à
surprendre dans la nature ou la divinité leurs causes et leurs raisons
d'être.
Dans la Genèse, aussi bien que dans les livres sacrés hindoux et
persans, il est écrit que l'être primitif fut créé mâle et femelle.
Aristophane, dans le Banquet, nous donne de curieuses explications sur
la séparation des Androgynes.
Ève formée de la côte d'Adam, n'est que la parabole d'une division
semblable. (Naissance d'Ève, autrement conçue par Salomon Reinach.
_Revue de l'Histoire des Religions_, 1918).
Il reste encore des exemples dans certains animaux et dans les végétaux.
Il semble naturel que des êtres, nés de deux sexes, portent parfois
leurs doubles attributs mélangés. Hommes par le corps, femmes par
l'esprit, ou le contraire, ou une fraction du contraire, variables à
l'infini. Il y a des androgynes d'esprit aussi bien que de corps.
La gynécologie, ainsi que l'esthétique grecque, reconnaît l'influence
des objets extérieurs sur la gestation, et il serait temps d'observer
l'influence de la pensée des femmes enceintes «prégnant»--sur leur
enfant--pensée qui, chez les orientales, se borne peut-être à une
influence ou à une habitude, car c'est toujours un fils qu'elles
doivent réclamer, mais la vie du harem, composée de femmes, souvent
amoureuses ... peut influer autant qu'une volonté précise sur le
sexe moral de l'enfant qu'elles portent. Combien d'entre les femmes
occidentales, obsédées par le désir d'un fils ou d'une fille,
choisissent jusqu'au nom masculin ou féminin qu'ils doivent recevoir
en naissant; et les témoins de la délivrance ne constatent que le
sexe corporel, seul abandonné aux hasards de la nature, la femme ayant
peut-être inconsciemment formé, selon son choix, le sexe intérieur de
son enfant.
De quel courage viril est douée mademoiselle de Maupin, celle qui se
battit en duel, et qui mit à feu un couvent pour en libérer une des
sœurs qu'elle convoitait (Voir Théophile Gautier, _Mademoiselle de
Maupin_, et G. Letainturier-Fradin, _La Maupin: sa vie, ses duels, ses
aventures)._
Sappho songe peut-être aussi à arracher sa bien-aimée à celui qui la
possède.
_«Il me paraît l'égal des dieux, l'homme qui est assis en ta présence
et qui entend de près ton doux langage et ton rire désirable, qui font
battre mon cœur au fond de ma poitrine. Car lorsque je t'aperçois, ne
fut-ce qu'un instant, je n'ai plus de paroles, ma langue est brisée,
et soudain un feu subtil court sous ma peau, mes yeux ne voient plus,
mes oreilles bourdonnent, la sueur m'inonde et un tremblement m'agite
toute; je suis plus pâle que l'herbe et dans ma folie je semble presque
une morte... Mais il faut oser tout_». («_Ode à une femme aimée_»;
Sappho, trad. Renée Vivien).
Elle est plus orgueilleuse dans la paraphrase «d'Anactoria» de
Swinburne:
«_M'ayant faite moi il ne me détruira pas,_
_Ne me détruira ni ne m'assouvira, comme des troupeaux à lui_
_Qui rient, vivent an peu, et sont contents de leurs baisers_
_Et leurs amours sont rapides et légers_,
_Et la mort certaine les enserre_...
_«Moi, Sappho, serai une avec toutes ces choses._
_Avec toute chose qui plane éternellement; et mon visage_
_Entrevu, mes chants écoutés dans un étrange domaine,_
_S'enrouleront à l'esprit des hommes..._»
(Je ne connais qu'une tirade aussi magnifique dans l'exaltation de son
entité: c'est lorsque Satan répudie à son tour Jéhovah, dans Milton).
Et dans ses «Sapphics»:
«_Ah the singing, ah the delight, the passion_!
_All the Loves wept, listening; sick with anguish_,
_Stood the crowned nine Muses about Apollo_;
_Fear was upon them_,
«_While the tenth sang wonderful things they knew not._
_Ah the tenth, the Lesbian_!...»
Les livres de physiologie traitent d'exemples parfois moins poétiques,
et autrement définis: «En naissant elle était très petite. Sur un
portrait d'elle à 4 ans, le nez, la bouche et les oreilles sont
d'une grandeur anormale et elle porte un petit chapeau de garçon...»
(_L'inversion sexuelle_ par Havelock Ellis. Cas. IV, etc):
«_Il a beaucoup de soldats dans sa famille... N'aime pas les sports,
mais la musique, les livres, la mer. Ne peut pas siffler._
«_Son aspect n'a rien d'anormal, sinon un air de jeunesse. Il voudrait
avoir un fils, mais craint le mariage._»
«... _Je crois que l'affection entre personnes du même sexe, même si
elle comprend la passion sexuelle et sa satisfaction, peut conduire aux
résultats les plus merveilleux que la nature humaine puisse atteindre.
Bref, je mets l'amour inverti sur le même plan, exactement, que l'amour
normal.._»
«_Comme la race ne semble pas en danger immédiat de périr, je le laisse
à ceux qui l'aiment._»
D'ailleurs on pourrait presque ériger en proverbe: prolifique comme un
inverti, vu le nombre d'enfants que nombre de ceux-ci infligent à leurs
épouses. En revanche «_ces dames de l'île_» n'apportent au mariage
qu'un ou deux exemplaires humains--normaux et fort bien réussis
généralement.--La nature voulant affirmer sans doute par celles-ci et
ceux-là ses inébranlables capacités d'équilibre et loi de compensation.
Si j'ai choisi mes exemples plutôt dans la littérature, c'est que
les êtres doués d'__EXPRESSION__ se racontent avec plus de subtilité et
d'étendue, et dans une forme plus acceptable.
La légende nous a fait connaître: Alexandre le Grand, Parménion,
Aristogiton et la fidélité inébranlable d'Harmodius; ils renversèrent
le pouvoir des tyrans athéniens Hippias et Hipparque (Voir Platon).
L'amour d'Adrien pour Antinoüs:
«_You heard from Adrian's gilded barge the laughter of Antinoüs._»
(Oscar Wilde).
Voyant qu'Adrien, pour lui, négligeait ses devoirs d'État, Antinoüs
se noya pour le libérer de l'enchantement qu'il subissait, ou pour
d'autres raisons... Et le Nil le reçut.
«_The ivory body of that rare young slave._
_With his pomegranate mouth!_» (Oscar Wilde).
Lesbie et cette esclave que Catulle nommait «son moineau», dont il
était à la fois admirateur et jaloux. (Voir le conte de Catulle Mendès
_Le moineau de Lesbie_, aussi son curieux _Mephistophela_.)
«_Il n'y a donc pas de détails libidineux?»--murmure en lui-même le
public oiseux, désappointé, avec une nuance de reproche.--Ce public, à
l'esprit vide, est généralement dépravé._
_Ainsi vous observerez chez les chiens:--deux chiens courent tout
d'abord en se rencontrant aux parties honteuses de leurs anatomies, en
effectuent un examen complet, et plus ou moins satisfaisant. Ceci fait,
leur curiosité pour autre chose se réduit à néant, et les voilà prêts à
repartir, ayant élucidé le nœud de la question._» (Carlyle, Frédéric
the Great).
La liste interminable des chroniques scandaleuses, etc., serait
peut-être moins longue que les cas actuels, plus probants encore, mais
que je ne veux citer, l'inversion n'étant pas encore revenue tout à
fait à la mode, malgré que certains petits faiseurs d'embarras, pitres
des arts, espèces de plagiaires de femmes, faux mignons ou damoiseaux
dégénérés, de préférence homosexuels, sont admis dans un certain monde
où les frivolités de toute espèce les réclament. Si les homosexuels de
plus d'envergure ne s'y rencontrent guère, c'est que toute véritable
passion rend insociable.
«_Ah! leurs petits vices, ah! le pauvre vice maigre!... Comment
s'indigner des modestes exploits des petits hors-nature?... Les doux
crétins qui pensent aimer le vice ne l'aiment même pas. L'éphèbe vêt
l'éphèbe en femme. S'il haïssait le sexe adverse--ainsi que Renée
Vivien: «On m'avait condamnée aux laideurs masculines»--«il serait
beau comme ce qui vit sous l'ordre d'une fureur. Mais en humbles
«gosses», ils singent le Féminin. Pâles cabots qui ne se passent pas de
mise en scène. Le vrai vice n'est possible que dans l'esprit. Le doux
corps, n'est jamais qu'un benêt, un innocent (sans nuisance, au sens
latin)..._»
«... _Si un homme aimait sans faillir un homme jusqu'à la vieillesse,
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