Pensées d'une amazone 12
Il y a quelque chose de charmant dans l'union de deux jeunes femmes,
à la condition qu'elles veuillent bien rester féminines toutes les
deux..._» (Pierre Louys, _Aphrodite_).
«_Il y avait une jolie femme dans cette société: Madame B..., mais elle
faisait l'amour avec un autre point d'interrogation noir et crochu,
Mademoiselle de M... (Et, en vérité, j'approuve ces pauvres femmes)._
Vie de Henri Brulard, page 98.
Autobiographie de _Stendhal_, publié par Casimir Styenski (Emile-Paul).
En lisant attentivement «La Colère de Samson», d'Alfred de Vigny, il
semble clair que l'infidélité qu'il reproche à la Dorval (à peine
déguisée en Dalila) est toute féminine:
«_Elle rit et triomphe; en sa froideur savante_,
_Au milieu de ses sœurs elle attend et se vante_
_De ne rien éprouver des atteintes du feu._
_A sa plus belle amie elle en a fait l'aveu_;
_Elle se fait aimer sans aimer elle-même;_
_Un maître lui fait peur. C'est le plaisir qu'elle aime;_
_L'Homme est rude et le prend sans savoir le donner.--_»
«_La femme aura Gomorrhe et l'homme aura Sodome_».
... _Et se jetant, de loin, un regard irrité_,
_Les deux sexes mourront, chacun de son côté._»
Mais que ceux qui craignent la fin de l'espèce se rassurent!
«_Les deux sexes mourront, chacun de son côté_» lorsqu'ils ne se
jetteront plus «_un regard irrité_»...
Nous sommes encore loin de cette entente indifférente qu'il nous
est permis de supposer entre Gomorrhe et Sodome (qu'en doit dire
prochainement Marcel Proust?)
L'amour de Ruth pour sa bru s'exprime avec une piété plus fervente
qu'il n'est généralement admis de la part d'une belle-mère ...
occidentale.
«_Noémi dit à Ruth: Voici, ta belle-sœur est retournée vers son
peuple et vers ses dieux; retourne, comme ta belle-sœur. Ruth
répondit: Ne me presse pas de te laisser, de retourner loin de toi. Où
tu iras, j'irai, où tu demeureras, je demeurerai; ton peuple sera mon
peuple, et ton Dieu sera mon Dieu; où tu mourras, je mourrai, et j'y
serai enterrée. Que l'Eternel me traite dans toute sa rigueur, si autre
chose que la mort vient à me séparer de toi!_»
Et l'amitié de David pour Jonathan est encore moins équivoque:
Oraison funèbre du jeune conquérant:
«_Tu faisais tout mon plaisir._
_Ton amour pour moi était admirable,_
_Au-dessus de l'amour des femmes._»
Les mystères de la Bona Dea n'admettaient aucun homme dans leurs
réunions sacrées.
_Comme autour de l'autel les femmes de la Crète,_
_Nos corps dansent la danse ancienne et secrète._
(«Actes et entr'actes.» N. C. B.)
Ce qui fut peut-être un culte (?) pour elles, devint sous l'abbesse de
Chelles un prétexte à débauches.
Si quelqu'un ne m'avait pas empruntés les deux livres où Westermark
traite du «Development of the Moral Idea», je pourrais donner
d'intéressantes citations sur ces mœurs très répandues chez quelques
tribus que nous nommons sauvages.
Peu connu, ce chef-d'œuvre de Charles Warren Stoddard: «South-sea
Idyls»,
Je me souviens trop nébuleusement de certaines légendes chinoises, dont
il nous reste, réalité très mince, des boys et fumeurs d'opium,
En Perse, les amants choisis pour le plaisir des Shahs...
Les Mille et Une Nuits abondent en chants, en poèmes d'un adolescent à
un autre; et il est question de jouvencelles amoureuses dans l'Histoire
du Capitaine de Police et des deux poules, etc., etc...
Les différences atmosphériques, (rendons-les responsables une fois de
plus!) et les types humains qui en résultent, n'ont fait qu'augmenter
le «Malentendu». (Le malentendu, cette espèce de tour de Babel où tous
disent des choses à peu près pareilles sans se comprendre).
Tel cénacle londonien exclura l'intrus, qui, en la présence de l'auteur
des «Two magies» ou d'un «Régiment of women» osera parler de «Colette à
l'école!» Sans qu'il soit pour cela des Antipodes, l'Anglais ressentira
toujours de la gêne (une gêne souvent recherchée) devant la franchise
latine. Franchise poussée jusqu'à l'exhibitionnisme chez certains
écrivains. Et l'Angleterre demande comme dernière bienséance, _at least
the shadow of a doubt_! Est-ce cette «ombre d'un doute» qui permet à
Lady M... de critiquer sévèrement les mœurs de l'empereur Adrien, tout
en regrettant de ne pouvoir faire escale à Mytilène «to have a dish of
tea with Sappho?» (Mémoires de voyage de Lady M..., XVIIIe
siècle).
Lady M..., si toutefois elle soupçonnait la renommée de Sappho, semble
moins la condamner qu'Adrien à cause de l'intérêt qu'elle, poétesse
aussi, portait à un confrère.--et discuter prosodie avec la «dixième
muse» eût été certes plus profitable qu'avec son Alcée: Pope.
Il y a autant de préjugés que de classes, de castes de contrées, de
coutumes et de climats. Seuls, les pornographes de tous les pays me
paraissent se ressembler; mais l'érotisme descriptif, cette exagération
de précisions inexactes, est en général aussi loin de la vraisemblance
que de l'art--sauf au Japon et chez A. Beardsley, où l'exagération sert
si merveilleusement à rendre l'impression ressentie. En Angleterre,
à ma connaissance--si imparfaite--il n'y a que A. Beardsley qui dans
son roman «Vénus et Tannhaüser» ait excellé dans le genre d'érotisme
fantaisiste et descriptif jusqu'au chef-d'œuvre. Et, dans le genre
de l'érotisme mystique, son dessin de l'Assomption de la Vierge et de
sa demoiselle élue nous montre jusqu'où la perversité puritaine peut
s'élever.
Les mièvreries du XVIIIe siècle français sont des enfantillages
espiègles, sujets d'éventails galants, bergerie, amitiés amoureuses
de reines, liaisons si peu dangereuses, piments visuels, petits jeux
d'alcôve, lits toujours défaits pour gens de cour, aux sensualités
continues, émoussés plutôt que pervertis.
Il a fallu que le romantisme vienne ajouter l'innovation de ses «femmes
damnées» pour galvaniser d'un semblant de «vice» infernal ces couples
féminins et pour dissiper la fadeur et les «désordres charmants» de
ces «tourterelles». Car, quel Français élevé à contempler les Greuze,
etc..., ne trouve en effet charmant «deux petites femmes ensemble» tout
en étant trop de l'époque du libertinage plaisant pour ne pas sentir
exagérés et manquant de mesure «les rires effrénés mêlés aux sombres
pleurs» auxquels se vante--«dès l'enfance--d'assister Baudelaire.
(Baudelaire qui reste cependant complaisamment XVIIIe en décrivant le
décor et jusqu'aux coussins et éclairages de la scène entre Hippolyte
et Delphine.) Mais ici l'influence _psychique_ plutôt que _physique_
rapproche ce romantique protestant? de la tendance anglo-saxonne. Et
les perversités d'âme intéressent à juste titre davantage ce cérébral
que les perversités plus limitées du domaine corporel. Même à ces
écrivains d'un ordre érotico-cérébral, il répugnerait de s'arrêter aux
grouillements plastiques d'un Rodin, groupements de femmes damnées et
autres ou à des complexités de muscles, de chairs ou d'épidermes. Ils
échappent ainsi aux rigueurs de la censure anglaise en creusant assez
profond pour s'esquiver dans les souterrains infernaux où fermentent
tous les miasmes, où toutes les anormalités--d'être obscures--sont
permises.
Outre-Manche, où les idées sont admises comme des joujoux sans danger,
on exerce une vigilance extrême contre les simples «hors nature» dont
les perversités ne se manifestent que charnellement et le charnel en
général est «tabou»; comme résultat, les races nordiques n'ont pas
moins de «pervertis» et beaucoup plus de détraqués. Quoi qu'il eût sa
mode en France, je suppose le Satanique davantage un attribut de la
nature septentrionale. Lucifer a dû être un Nordique! L'imagination
confinant à la folie et les bizarreries de l'esprit ne semblent pas
être une fleur exotique des sens, mais bien une «fleur du mal» des sens
en protestation contre eux-mêmes et leur libre éclosion.
Les contes de fées, les revenants et les fantômes et toutes les
floraisons étranges, délicates ou maladives de l'esprit viennent plutôt
des brumes. Mais la désapprobation puritaine où sont tombées les
choses de l'amour me semble aussi incompréhensible que l'égrillarde
incompréhension de la tolérance parisienne.
Les Grecs («qui nous débarrassera des Grecs?»--celui qui les égalera!)
semblent encore en ceci avoir su donner le ton juste. Car l'amour,
qui ne saurait s'arrêter à un sexe, n'est ni vicieux, ni puéril, ni
joli, ni satanique--car il y a dans chaque amour et tous les amours
et tout l'amour: L'amour sans frontières, identique et multiforme;
et qui n'obéit qu'à des influences élémentales, à des attractions et
à des volontés encore mystérieuses. A. Symonds (voir: _A problem of
Ethics_, complément de son _Problem in Greek Ethics_) en écrivant
à Whitman, pour lui poser la question d'une façon tout à fait
physiologique, n'embrouilla que davantage le malentendu, car Whitman ne
s'explique-t-il pas lui-même:
_Mon enveloppe n'est pas une dure coquille_,
_Je possède sur toute ma surface de prompts conducteurs que je marche_
[_ou que je m'arrête_,
_Ils saisissent chaque objet et le font pénétrer sans peine en moi._
_Je n'ai qu'à remuer, bouger, toucher avec mes doigts_
[_pour être heureux_,
_Le contact du corps d'une autre personne avec le_
_mien, c'est assez, je ne puis guère supporter davantage.
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