Pensées d'une amazone 25
Souhaiter la vieillesse, cette lassitude définitive qui ne viendra donc
jamais?
Ils disent qu'il est tragique de vieillir, mais il me semble qu'il
serait plus affreux encore de ne pouvoir vieillir.
Mourir avant de s'être éteint ou s'éteindre avant de mourir?
Ils sont là dans la vie, comme des morts debout, à qui l'on aurait
oublié de fermer les yeux.
Ce n'est pas leur jeunesse, mais leur vieillesse, qu'ils craignent de
perdre.
La veulerie de leurs mâchoires ouvertes et que décompose, jour par
jour, la vermine des paroles.
Il faut de belles dents pour traverser les écorces et arriver à la
chair protégée et succulente de la vie.
Ils croient goûter à son fruit et c'est le sang de leurs gencives
malades; aussi la trouvant amère, ils la déconseillent.
Les mots que sa bouche fait vivre sont des parasites. En la regardant,
je pense aux fruits mangés des vers. Ses lèvres sont rongées par les
mots vils qu'elle dit: qui veut y mordre n'a que le temps.
Ses paroles sont si vénéneuses qu'elles lui ont gâté les dents.
Elle critiquait la nature qui le lui rendait bien.
Vieillie, ridée et flagellée par le froid de trop d'hivers.
Comme son vieux parquet, elle tombait en morceaux à force d'être
contrariée.
Chrysanthèmes: fleurs des feuilles de l'automne.
Éclatantes floraisons ou «brillantes décrépitudes.
Même les «jeunes filles» de notre temps sont vieilles plus ou moins:
quelle est la «promise» comparaissant auprès d'un pommier en fleurs
(comme devant ce Paris bourgeois, l'«Egoist» de George Mérédith) sans
qu'elle paraisse aussitôt flétrie?
L'enfant: le commencement de leur vieillesse.
Tranche d'argent dans les arbres, que vous lacérez, ô chevelure blanche
de la lune répandue... Se souvenir de ses souvenirs: vieillesse.
Je pressens déjà parfois l'accent de la vieille femme dans sa voix, le
regard de la vieille femme dans ses yeux et surtout sur ses paupières.
Pauvres traits sans surveillance dans le sommeil, et que les mains
inconscientes des dormeurs sculptent de vieillesse.
C'est en regardant les autres que l'on se voit vieillir.
La vieillesse--un refroidissement...
Le vieux roi David avait au moins de bonnes raisons de dormir avec ses
esclaves: il s'y réchauffait.
Ces lignes vieillissantes et raturées où rien ne s'est écrit d'héroïque
ou de passionné, ces lignes que l'on parcourt comme des faits divers,
où seule l'existence médiocre a fait ses marques: pauvres fronts
plissés par de petits tracas, de petits accidents impersonnels, qui
leur ont laissé cet aspect anonyme, apeuré.
J'aime les figures écrites--bien écrites.
Le temps, ce sculpteur qui réussit parfois si bien des têtes de vieux.
Jeunesse masque--beau masque!
Attendre que les visages s'expriment,--la vieillesse seule est
expressive.
Sur son front, un merveilleux dessin de rides en forme de lyre.
Elle étalait ses yeux bleus, son teint blanchi au blanc, et ses lèvres
du rouge des drapeaux neufs, comme un défi à cette ennemie, la Vie, qui
viendrait là, marquer quand même ses défaites et ses victoires.--Je
ne scrute que les visages d'après la guerre. Là seulement on lit
l'héroïsme du la lâcheté, les passions, les désertions, les attentes,
les élans grandioses et les courages avortés, les causes vaines de
toute une existence, de toute une guerre accomplie. Les visages où la
vie a mis sa mitraille, son sang, sa pâleur ou sa diverse friperie. Des
visages plantés comme des drapeaux sur un champ de victoire inconnu et
solitaire--ou de ces visages ployés, comme passés à l'ennemi, tassés
dans un amas de rides ou de graisse veule--prisonniers bien nourris
ne cherchant plus que la préservation au moyen de l'inactivité, ou la
considération avec ses concessions et ses aveuglements de lâches--que
de défaites, que de différence entre les défaites!
... Puis les bras ne s'étendent plus vers rien,--ils retombent à nos
côtés, s'y raccourcissent,--ce raccourcissement des bras où l'âge
semble nous ôter nos rallonges!--puis nos doigts s'engourdissent,
perdent leurs antennes de sensibilité.
... Des jours où notre vitalité est si lente que même notre âge nous
rattrape!
Le clair de lune: jour du malfaiteur.
Que de platitudes sur l'amour; ils veulent faire ressemblant--et ce
n'est qu'à eux-mêmes qu'ils font ressemblant: l'amour s'enfuit à la
première odeur de leur maladroite lampe.
Mais aussi, parler avec esprit de l'amour, ce n'est que parler avec
esprit.
Ses yeux pleins d'eau regardent l'estuaire!
_Contrat de mariage de la quarantaine_: résolu après neuf années de vie
commune, de joies et de soucis partagés, de tromperies avouées.--Dans
la survivance d'un attachement que nous croyons--et voulons
croire--indestructible--puisqu'à son minimum d'émotivité réciproque, on
arrive à cette conclusion:
La conjonction mise à l'épreuve des armées a failli doublement à
la fidélité vers la sixième année, nous prouvant que l'adultère
est inévitable à des unions sans préjugés, sans religion autre que
leurs sentiments, sans lois autres que leurs désirs; incapables des
sacrifices vains qui semblent des négations à la vie. Mais forts
cependant dans la foi de pouvoir, sans illusions et sans exagérations,
mourir ou vivre l'un pour l'autre. Tant il est vrai que, tout en
reconnaissant mutuellement que l'on ne se suffit pas, l'on est
cependant indispensable l'un à l'autre.
L'amour passion, qui n'a reconnu aucun obstacle, pur, exclusif,
dévorant, affranchi comme le feu, a fait place à l'amour amour: d'une
autre beauté, d'une autre pureté: évoluée, patiente, pitoyable, souple,
cruelle, logique humaine et complexe comme la vie.
Nous l'acceptons comme telle: car une victoire mutilée vaut mieux
que pas de victoire. Et nous croyons que le temps ne permet que des
victoires mutilées, que ce sont les seules vivantes--et survivantes...
Étant libres, et non libres de choisir autrement, nous nous choisissons!
Car qui avons-nous trouvé à préférer à la longue l'un à l'autre? Il
nous a été souvent clair et prouvé que notre évolution et celle de
notre amour doivent s'accorder--que notre amour comporte des nécessités
vitales--et des habitudes indestructibles--que nous devons tenir hors
de danger, au-dessus des fluctuations momentanées, cet amour que nous
savons être seul digne à la fois de représenter notre cœur, notre
cerveau et notre corps. De le protéger contre nos caprices, égarements,
changements probables, par les résolutions suivantes:
_Réhabilitation de l'aventurier_: _Gentleman of fortune._
La vie est la grande aventure offerte à tout aventurier. Les
démocraties vulgarisatrices et les monarchies industrielles avec
leurs incessants besoins de plaisirs et de peines plébéiens, ont tué
les grands appétits tyranniques. Les aventuriers ne sont plus que
de vulgaires valets d'infortune, poussés à des actes rapaces par
la nécessité. Leurs voyages ne sont plus des conquêtes d'agrément.
L'aventurier né, n'est plus. Le titre d'aventurier reste cependant
le premier titre de valeur. Ils furent de la forte race de ceux qui
prennent sans rien demander: les maîtres de la terre, et au ciel des
archanges révoltés ne reconnaissant rien au dessus-d'eux, ils fondèrent
leur propre hiérarchie, méprisant à juste titre ces nobles peu nobles,
domestiques traditionnels de leurs monarques héréditaires. Que le
pauvre «ich diene» ou «Dieu est mon droit» est peu aristocratique. Tout
ce qui est fortement individuel aime, réclame et impose l'aventure!
Le premier penseur fut un aventurier, les inventeurs, les hommes de
science et d'idées sont des aventuriers. Un mélange d'audace et de
sagacité les caractérise, trop d'audace ou trop de sagacité faussant
l'équilibre.
Il y a aussi le faux aventurier et l'aventurier raté. L'homme doué
d'héroïsme et la femme douée de beauté ne peuvent se soustraire aux
luttes et aux risques. Leurs aventures viennent les chercher et
chacun y retrouve ce qui est déjà en lui et crée des événements à sa
ressemblance. Et la postérité les reconnaîtra à ces événements, aussi
distinctement qu'une monnaie marquée d'une effigie. L'aventurier ne
doit pas croire à d'autre fatalité qu'à celle de son désir: vouloir et
pouvoir, oser et vaincre sont pour lui synonymes. Les petits esprits
disent: «n'être pas victime», et ils s'enferment: victimes de ce qu'ils
acceptent comme nécessité, lois et devoirs, usages, préjugés, etc...,
mais l'aventurier, que peut-il attendre de plus d'une gloire qu'il
a faite et qu'il dépasser Après avoir vivifié un monde où il fut le
seul vivant, il lui reste le désir de s'immoler sur son propre bûcher,
d'être, après tant de victimes indignes, victime de lui-même.
Les beaux aventuriers, ces grands seigneurs de la vie, valent
tellement mieux que leurs aventures, et que la vie même, qu'ilsn'arrivent jamais à se satisfaire d'elle.
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