2015년 9월 9일 수요일

Pensées d'une amazone 28

Pensées d'une amazone 28


La vie et son reflet sont identiquement réels: ce que je pense m'arrive
autant que ce qui m'arrive.
 
Tout prend sa valeur, tout perd sa valeur vu de ma fenêtre ouverte au
ras des rivières où je passe.
 
 
On ne devrait se souvenir que de ce qu'on espère.
 
Mes nerfs, cette traîne invisible, sur laquelle presque chacun marche
... Lorsqu'on me la déchire trop maladroitement, je tourne vers eux mon
profil tranchant.
 
Que de romans nous avons vécus, qui ne furent pas des romans pour nous.
 
Lui préparer «des couleuvres à avaler» en excellente matelote
d'anguilles.
 
Sa possession est délicate et difficile à effectuer--quelque chose
qui ressemblerait au domptage d'un cheval fougueux et à la pêche à la
truite.
 
Larmes! Que j'aime vos verreries fondues, fragiles et tarissables, les
faire jaillir de votre cœur, comme Moïse l'eau du rocher--être, non un
fou faisant rire les rois, mais un roi qui fait pleurer les fous, les
fous d'ennui, tous les sourds-muets aveugles de la vie!
 
Ah! la puissance de faire refleurir de mon regard nocturne, tous ces
visages dévastés de lassitude.
 
 
Cet automne nous offre des crépuscules comme des serres chaudes où l'on
avance dans une buée, humant l'air prisonnier dans l'espoir de sentir
une exhalaison de plante précieuse, de voir fleurir, de la boue humide
des pavés, quelque végétation exotique mêlée à l'odeur des frêles
capillaires. Une femme (semblable aux femmes que Carrière aurait dû
mettre dans sa belle atmosphère) passe avec des orchidées à son manteau
ouvert.--Les réverbères (un halo couronne les moins proches), comme une
procession de géantes tulipes jaunes, semblent l'accompagner vers je
ne sais quelle porte. Les allées de cette serre sont peut-être sans
issues; tant dépassants les encombrent, semblent revenir sur leurs pas
... y demeurer?
 
Se laisser doucement asphyxier par cette gluante atmosphère toute
imprégnée de cultures et de parfums imaginés?
 
 
Ce premier matin verdoyant, mes voisins ont ouvert leurs fenêtres en
cercle sur mon jardin. Comme d'innombrables scènes de Guignol, les
habitants accomplissent minutieusement les détails matériels de leur
ménage. Des scènes utilitaires et des éclats de voix imposent leur
rouage quotidien à la fraîche journée. Seul, un bébé blond, profitant
de son âge inutilisé, sans responsabilités, regardait au dehors--posait
ses yeux sur toute chose comme pour en jouer. Nos regards se
rencontrèrent, et nous sourîmes, complices.
 
... Les portes à glaces des armoires qu'on ouvre font de vivaces
miroitements à l'encontre du soleil, taches mobiles de clarté,
qu'enfant je poursuivais pensant les mettre en cage.
 
Trilles de canaris, vrillages de sons: menuiserie.
 
 
«A casement ope at night to let the warm love in» (Keats, Ode to
Psyché).
 
Un lierre s'est insinué chez moi par une fenêtre restée ouverte, il
déroule à présent une longue tige à vrilles dans ma chambre, et il
faudrait le couper pour refermer la fenêtre. A cette image, ils se sont
insinués dans ma vie. Laisser la fenêtre ouverte?
 
 
Au mois de juillet, les chats, redevenus à peu près sauvages, aiguisent
leurs griffes aux arbres et s'appellent en de longues sérénades
alternées, si pleines de cette exécration amoureuse qui les attire l'un
vers l'autre, selon la ruse de la nature, inéluctablement.
 
Les passants auraient-ils en toutes choses la meilleure part? Mon
jardin sans fleurs, enclos, loin de la rue terne, étonne, au milieu de
Paris. Ceux qui y allongent leurs regards ne voient ni les fourmis, ni
après les fourmis, l'invasion des chenilles, des mites qui vivent de
verdures surannées comme d'une tapisserie, ni la scie du «photographe
sur métaux» qui semble scier des dents de géants, ni ces faux nuages:
fumées jaillissantes en grosses touffes salement ouatées, d'une espèce
de panier à salade qui surmonte le tuyau de l'imprimerie Balzac, ni les
tilleuls du Japon, moitié oiseaux à la saison où ils muent, couvrant
toute chose de leur duvet tenace, ni la suie qui noircit les troncs
(pareils à des bras d'Éthiopiens portant le plus haut possible la
fraîche offrande des feuilles).
 
Cette oasis pour autrui, petite Égypte aux sept fléaux pour moi, où
pas une fleur ne se plaît à pousser. Il y a pourtant du soleil et de
l'ombre, et du clair de lune sur la douce herbe, vierge chaque année.
J'y ai parfois trempé mes pieds pendant les rosées de Juin. De mon
hamac tâchant d'entendre monter la sève le long des arbres. Mais les
divers rendez-vous quotidiens viennent m'enlever à ces rendez-vous
délicats. Ce morceau de nature, enserré entre les maisons, grand
appartement d'arbres, à ciel ouvert comme d'une lucarne, laisse à
peine filtrer les saisons. Mon deuxième jardin a su garder son temple
à l'amitié, sans fenêtres, aux portes mi-closes--refuge d'un solitaire
invisible ou disparu. Ses colonnes doriques soutiennent un toit à
coupole vitrée. Son fronton triangulaire est marqué de trois chiffres
ou lettres D. L. V., que surmonte une guirlande.
 
A l'intérieur la rotonde a un parquet contrarié reproduisant les mêmes
chiffres incrustés dans une étoile. Dans l'emplacement de ses trois
cheminées, quelles amitiés frileuses sont venues s'abriter? Notre
fatigue moderne, d'une usure si diverse, ne connaît plus en rien la
saveur du recueillement, et si nous nous reposons, n'est-ce pas dans de
nouvelles fatigues: ces poursuites variées de notre lassitude?
 
A un côté du temple une colonne soutient une amphore vide et l'autre
une Vénus, en pierre moussue, se courbe pour essuyer ses pieds devant
le seuil.
 
 
Des amis qui viennent me voir, me disent, émerveillés, loin de moi: «Ce
sont les jardins de Racine et de la Champmeslé... La reine Marguerite y
a erré avec ses philosophes?... Clairon est votre spectrale voisine...
Adrienne Lecouvreur y est morte. C'est peut-être elle qui fit
construire ce petit temple à l'amitié!... C'est l'empire napoléonien
qui a placé sur votre entrée ces sphynx?... C'est ici que le jeune
Balzac cachait ses amours avec la Dilecta?... qui lui était «plus qu'une
mère, plus qu'une amie, plus que toute créature»... C'est sans doute
à une de ces célèbres «diableries» des bocages de jadis que le comte
de Clermont-Tonnerre enleva sa maîtresse au poète amphitryon. Vous
connaissez l'épigramme:
 
«A la plus tendre amour elle fut destinée,
Qui prit longtemps Racine dans son cœur:
Puis, par un insigne malheur,
Le Tonnerre est venu qui l'a déracinée.»
 
 
Le malin petit Vauquelin des Yvetots y reçut la vertueuse Mme
d'Hautefort, et un passage souterrain conduisait les charmantes et
frivoles Parisiennes à ses fêtes galantes... En ce temps il n'était
question que du sérail de Vauquelin, Richelieu visita cette propriété
de Vauquelin; s'arrêta devant la charmille secrète et dit à son hôte
interloqué: «Si nous visitions le souterrain?» (que le brutal percement
de la rue de Rennes mettra sans doute un de ces jours à découvert).
 
Une hôtesse d'autrefois y accueillit aussi Charles de Sévigné, Boileau,
etc... Comment ne pas leur préférer la visite de mes contemporains si
riches d'eux-mêmes, qui semblent en entrant fermer les portes au passé,
rendant, malgré son prestige, mon jardin un peu public.
 
 
Mes fêtes:
 
Heureuse dans l'oubli de ceux qui sont exclus.
 
 
Mon désir souvent crée votre pas, je crois voir votre forme, et je me
vêts hâtivement de mon hermine pour la royale visite de l'amour,--mais
vous passez ailleurs...
 
 
Ses frêles mains, comme submergées, semblent toujours se soutenir, se
mouvoir en quelque onde native, tracent sur l'espace vide je ne sais
quel souvenir, de remous invisibles dont j'aurais voulu fixer les
dessins en tons vagues sur les murs: que ses gestes soient mes fresques.
 
 
Trois bougies:
--Signe de mort!
--Toi ou moi?
--Cela ne revient-il pas au même?
 
 
Déclaration:
 
Je commence déjà à vous entendre, afin de donner à la journée la
valeur qu'elle mérite, ô seule vous--dont l'esprit convienne à mon
imagination, dont la méchanceté éveille mes nerfs, dont la saveur grise
mon cerveau, dont la bouche plaise à mes lèvres, dont mon cœur aime le
cœur, dont la venue de toutes ces choses puisse s'appeler vivre, dont
mon souffle exige la vie.
 
 
Cette bergère sur laquelle elle fut séduite, et qui n'est même pas
ancienne...
 
Il la regardait pleurer: la petite gouttière de son nez, quelle jolie
liaison entre deux traits et, architecturalement, quelle économie?
 
 
Être égoïste et empressé, ou comme elle sans égoïsme et sans prévoyance?
 
 
Le jour montre trop toute chose, pour pouvoir montrer quelque chose.
J'attendrai le soir pour l'interroger. Elle dit seulement: Je sens que
ton regard se fixe au loin.
 
--Je te regarde.
 
--Mais tu ne peux me voir.
 
--Je vois l'ombre où tu es.
 
   

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